Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous connaissons toutes et tous ici le contexte européen qui a poussé nos collègues du groupe Mouvement démocrate et apparentés à inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de leur niche parlementaire : une réforme de la directive de 2001 sur les droits d'auteur traîne en raison des positions divergentes des États baltes et du Nord de l'Europe. Mais aujourd'hui les choses semblent se décanter, puisqu'une majorité d'États européens – dont la France fait partie – semble devoir se prononcer en faveur de cette directive. Le parti populaire européen, majoritaire au Parlement européen, a d'ailleurs tranché en interne pour les droits voisins.

Les voyants semblent donc être au vert pour que cette directive soit adoptée dans les prochains mois. La proposition de loi que nous étudions aujourd'hui serait donc – avec un peu d'avance – une transposition classique d'une directive européenne en droit français.

Ce n'est pas la première fois que le Parlement est saisi de ce sujet. Deux propositions de loi ont été déposées – l'une en 2012 devant notre chambre, l'autre en 2016 au Sénat – mais elles n'ont pas connu de suites.

Nous comprenons également la situation financière difficile que traversent les éditeurs de presse en ligne ; elle est invoquée à juste titre par les signataires de cette proposition de loi. Il a en effet fallu mener de très lourds investissements pour passer du tout-papier au numérique, sans qu'un modèle économique rentable ait encore été trouvé par tous.

Nous connaissons évidemment l'emprise totale des géants de l'internet, les GAFAM, sur le marché de l'information en ligne et de la publicité ciblée. Nous combattons au quotidien la menace qu'ils font peser sur la liberté financière, l'indépendance et le pluralisme de la presse. Les GAFAM collectent nos données personnelles dès que nous naviguons en ligne ; celles-ci sont ensuite vendues aux annonceurs pour qu'ils puissent développer des publicités ciblées selon notre profil de consommation. Vous connaissez l'adage : « si c'est gratuit, c'est vous le produit ».

Ce texte propose de mettre en place un droit voisin pour les éditeurs de presse en ligne, c'est-à-dire une sorte de droit d'auteur qui leur permettrait de donner leur autorisation pour la reproduction de leurs contenus, mais aussi et surtout de monnayer cette autorisation auprès des plateformes et des services en ligne. L'instauration d'une commission permettrait ainsi aux éditeurs et aux représentants des GAFAM de négocier entre eux l'attribution aux premiers d'une partie des revenus des seconds ; cette recette serait ensuite répartie collectivement, sur le modèle de la diffusion de la musique à la radio.

Ce texte met en place des exceptions pour certaines données qui pourront être reproduites sans autorisation, comme les citations, les analyses courtes, les revues de presse ou la communication au public d'informations d'actualité. Il fixe également la durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse en ligne et des agences de presse à vingt ans.

Cependant, par cette proposition, et sûrement malgré vous, vous ne faites que renforcer le pouvoir des géants de l'internet et leur emprise sur le marché de l'information.

Qui vous dit, d'abord, que les GAFAM se laisseront faire ? Il leur suffit de refuser la diffusion de l'information émanant d'un éditeur de presse qui souhaite faire payer son contenu. Prenons l'exemple très récent de TF1 et des différentes plateformes de diffusion française : si ces dernières sont capables de bloquer la diffusion, imaginez ce que peut faire le plus grand moteur de recherche au monde ! En se ruant sur cette manne financière, les éditeurs de presse risquent de voir leur diffusion réduite et donc mécaniquement de perdre de l'argent.

Rappelons-nous l'exemple de l'Allemagne dont la « Lex Google », adoptée en 2013, visait à mettre en place exactement le même système que celui que ce texte prévoit. Résultat : baisse de la fréquentation et perte de plusieurs millions d'euros pour les éditeurs de presse. Même loi en Espagne en 2014, même résultat : il n'y a plus de Google News de l'autre côté des Pyrénées.

Et puis qui pourra se permettre d'acheter les droits de diffusion de l'information, si ce n'est les GAFAM ? Que pèse un acteur français ou européen émergent face à un mastodonte américain ? Voilà une menace de plus pour la pluralité.

Vous nous répliquerez qu'à plusieurs, les éditeurs de presse seront plus forts pour négocier ; mais ils ne pourront négocier que le poids de leurs chaînes, tout en légitimant la marchandisation de nos données personnelles.

Vous pensez, avec cette proposition de loi, dégager une nouvelle source de financement pour la presse en ligne, en imposant une vague contrainte aux GAFAM. Mais en réalité, il s'agit simplement d'un texte qui pourrait offrir la possibilité aux éditeurs de presse en ligne et aux GAFAM de se partager, en toute légalité, les recettes de la vente de nos données personnelles à des annonceurs qui les utiliseront pour nous vendre des produits ciblés. Voter ce texte reviendrait pour nous à reconnaître la légitimité de la collecte, de la compilation et de la revente des données personnelles de l'ensemble des utilisateurs d'internet et nous nous y refusons.

Il existe d'autres solutions pour aider la presse en ligne, comme la remise à plat totale des aides à la presse afin de les rendre réellement équitables et efficientes. Il faut également une véritable harmonisation à l'échelle européenne de la fiscalité à l'encontre des GAFAM ; une partie des recettes pourrait par exemple être reversée aux éditeurs de presse en ligne.

Nous devons encadrer et limiter la collecte des données personnelles. En aucun cas la monétisation des données personnelles des citoyens ne doit être vue comme une façon de venir en aide à la presse en ligne. Ce serait aller à l'encontre même des principes d'internet, mais aussi des principes de la protection de la vie privée comme de l'indépendance et de la pluralité de la presse.

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