Intervention de Jean-Carles Grelier

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Désignation aléatoire des comités de protection des personnes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Carles Grelier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « On n'attend pas l'avenir comme on attend le train. L'avenir on le fait », disait Georges Bernanos. L'avenir, on l'imagine, on le façonne, on le construit. C'est précisément ce qui nous réunit aujourd'hui : notre capacité à penser l'avenir. L'avenir de la recherche en France. La place de la France dans le monde de la recherche.

Cette place, nous n'avons à l'envier personne, parce que nous l'avons conquise par l'excellence de notre recherche, l'expertise de nos chercheurs, la capacité de nos pouvoirs publics à soutenir l'innovation médicale, la qualité et la formation de nos universités.

Grâce à la science, notre rapport au monde a changé. Le progrès semble infaillible dans sa course vers l'avenir. Les usages sont transformés. Notre quotidien s'est amélioré. Nous vivons mieux et plus longtemps.

Mais il est des moments dans l'Histoire où il faut redoubler d'efforts parce que la science cristallise le paradoxe de la tentation de l'hybris face à la nécessité de la vigilance. L'Histoire se souvient encore des horreurs de la guerre. Elle n'oublie pas les apprentis médecins qui jouaient aux apprentis sorciers. Pourtant, il aura fallu attendre plus de trente ans, pour donner naissance, en 1988, aux comités consultatifs de protection des personnes pour la recherche médicale, trente et un ans exactement après la publication du code de Nuremberg.

Puis, les premières lois de 1994 dites « de bioéthique » ont institué les principes de primauté de la personne humaine, du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, de l'inviolabilité, de l'intégrité et de l'absence de caractère patrimonial du corps humain. La dignité de la personne humaine a désormais valeur constitutionnelle.

C'est dans cet esprit qu'ont été introduits les comités de protection des personnes par la loi relative à la politique de santé publique de 2004, qui définit leur rôle et leurs missions, et qu'ils ont été renforcés à plusieurs reprises, jusqu'à l'ordonnance du 16 juin 2016.

Les CPP ne sont pas des autorités administratives. Ils ne sont pas chargés de dire le droit. Ce ne sont pas des autorités religieuses ou morales. Ils ne sont pas chargés de dire la morale. Ils sont là pour dire l'éthique, ce qui au nom de l'homme et de son humanité est acceptable – ou ne l'est pas – en termes d'expérimentation médicale.

Si le droit et l'éthique avancent lentement, de manière progressive, les innovations bousculent l'Histoire. Dans le domaine de la santé, notamment, les capacités technologiques enrichies par la robotique, la digitalisation, les avancées significatives en sciences cognitives ou sur le génome ont transformé les modes opératoires et apporté des thérapies aux maladies qui jadis étaient considérées comme incurables.

« Sans la curiosité de l'esprit, que serions-nous ? Telle est bien la beauté et la noblesse de la science : désir sans fin de repousser les frontières du savoir, de traquer les secrets de la matière et de la vie. » Si ces mots de Marie Curie résonnent encore, le progrès ne doit pas, ne peut pas être une fin en soi si l'on ne s'interroge pas sur son impact sur l'homme et son humanité.

Alors où faut-il placer le curseur du droit ? Jusqu'où la loi doit-elle aller pour conjuguer les bénéfices thérapeutiques de la recherche et la nécessaire protection de la personne humaine ? Jusqu'où faut-il contraindre la recherche en France, pays d'innovation et d'excellence scientifique ?

C'est en France que s'est développé le premier coeur artificiel. C'est en France qu'ont été faites des découvertes prometteuses de traitements contre le sida. C'est en France qu'a été créé un dispositif de pancréas artificiel. C'est en France qu'a été conçue une nouvelle génération de tests prédictifs pour déterminer l'évolution des fibroses.

Pourtant, la place de la France s'érode année après année. Le nombre d'essais cliniques diminue, souvent en raison de contraintes administratives. Le nombre de publications scientifiques chute. Et l'attractivité de la France pourrait se trouver en berne.

Or le secteur de la santé connaît une révolution sans précédent, accélérée par la convergence des avancées biologiques, des innovations d'ingénierie et des technologies de l'information. La France doit embrasser cette mutation, l'accompagner, s'en emparer. Dès lors, face à cet horizon des possibles sans cesse repoussé, il nous revient une exigence : celle d'une recherche plus juste, mieux financée et mieux réglementée.

Car les chercheurs et les entrepreneurs créent la santé de demain. Celle-ci sera prédictive, personnalisée. Elle apportera des réponses aux inégalités d'offre de soins sur les territoires. Elle sera plus juste, parce qu'elle permettra à des patients de garder espoir lorsqu'ils sont frappés par des maladies orphelines ou incurables. Elle sera collaborative. Et elle devra demeurer responsable.

Si la science nous invite à repenser l'organisation de la santé, elle nous appelle aussi à revisiter les frontières de l'humain, des frontières qu'hier on croyait figées et qui se déplacent par et avec les progrès de la recherche.

« Ce n'est que par et à travers mon corps que je puis être moi-même » déclarait Michel Foucault, inscrivant la question de l'homme dans la continuité du droit romain, où le corps était indissociable de l'être, et par conséquent où le sujet de droit se distingue de l'objet du droit.

Depuis, l'expérimentation de nouveaux traitements sur la personne humaine, placée sous l'évaluation scientifique et éthique des CPP, fait du corps un objet de recherches. Il est un objet de recherches aussi lorsque des transplantations d'organes, de cellules, de tissus sont réalisées ou lorsque des implants, des prothèses mécaniques, électroniques, robotiques sont installées en lieu et place de la chair. Ainsi, la question anthropologique – qu'est-ce que l'homme ? – glisse progressivement vers la vision utilitariste : que peut-on faire de l'homme ?

Il s'agit bien d'un renversement intellectuel qui oblige à interroger la relation entre le corps et la personne humaine. Notre corps nous appartient-il ? Notre corps doit-il se distinguer de notre conscience, de notre individualité ? En somme, notre corps est-il notre personne ?

Comment ne pas interroger avec Habermas cette relation particulière de l'homme et de son corps dans la compréhension qu'il aura de lui-même, de ce qui le constitue et éventuellement lui confère son autonomie ? Qui suis-je si une partie de moi provient d'un autre corps ?

Face à ces innombrables défis, quelle place doit tenir la France ? Si la France est la France et que la recherche n'a jamais versé dans les excès ni dans les dérives, c'est parce que la France s'est toujours nourrie de cette tension complexe entre la science et l'éthique, entre le progrès et l'humain.

Mais quelle posture doit-elle adopter face à ces autres pays, parfois limitrophes, qui n'ont pas les mêmes scrupules vis-à-vis de la question éthique ? Est-ce le rôle de la France, cette France des Lumières, des sciences, de la philosophie et de la raison que d'aller plus avant dans la recherche, pour mieux la contrôler et la réguler ?

Mes chers collègues, si tel ou tel passage de mon propos a pu vous apparaître comme une digression un peu philosophique par rapport au sujet, soyez assurés qu'il n'en est rien. Parce que les CPP sont au coeur de l'organisation de l'éthique dans notre pays, parce que c'est leur mission première, il ne pouvait être question de les envisager uniquement sous un angle procédural.

En cette année où s'ouvre le débat sur la refonte des lois de bioéthique, n'ayons pas peur de mettre l'éthique au coeur de chacune de nos interrogations, d'en faire, chaque fois que possible, un objet de débat et de discussion.

Parce que la proposition de loi ne porte atteinte ni à la mission confiée aux CPP en matière d'éthique, ni à leur indépendance, puisqu'elle conserve le caractère aléatoire de leur désignation, le groupe Les Républicains lui apportera son soutien.

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