Intervention de Jean-Paul Ortiz

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF) :

La CSMF est très sensible au problème des déserts médicaux, qu'elle préfère appeler les zones sous-denses, et l'a beaucoup étudié. Il s'agit en effet de l'accès aux soins pour tous les Français sur le territoire. La situation actuelle en ce qui concerne la médecine libérale, tant des spécialistes, dont on parle moins, que des généralistes est le résultat d'une évolution sur plusieurs années, et s'il y avait une solution simple pour y remédier, on l'aurait déjà trouvée. Il faut donc envisager une série de mesures, sachant que pour la démographie médicale globale, nous allons traverser une dizaine d'années difficiles. En effet, le numerus clausus dans les facultés a limité le nombre de médecins. Cependant, depuis quelque temps un quart des nouveaux inscrits au Conseil de l'Ordre possèdent un diplôme délivré par une faculté étrangère, européenne ou non. Malgré ce contournement du numerus clausus, la densité médicale va diminuer pendant les dix années à venir.

Une série de mesures devraient donc être immédiatement mises en oeuvre, mais la plupart n'auront que des effets décalés dans le temps. Ainsi l'ouverture du numerus clausus - que nous ne préconisons pas – ne permettra de produire de nouveaux praticiens que dans dix à douze ans, donc trop tard car, dans dix ans, le nombre de médecins en exercice augmentera nettement.

La première série de mesures concerne la formation. Elle est centrée uniquement sur les centres hospitaliers universitaires (CHU). Seuls les médecins généralistes font six mois de formation à la fin de leur troisième cycle dans des cabinets de médecine générale en ville. Il faut élargir ce temps de formation et surtout étendre, en troisième cycle, la formation en médecine spécialisée libérale à l'extérieur des CHU. Il faut même pratiquer cette ouverture dès le deuxième cycle, car il est anormal que la délivrance d'un diplôme à exercer une profession ne prépare pas au véritable exercice professionnel qui sera celui de la plupart, la médecine de ville libérale. En troisième cycle, il faut repenser l'accompagnement des stages y compris sur le plan financier, pour le déplacement et l'hébergement, surtout en zone sous-dense, et aussi indemniser les surcoûts que subiront les étudiants pour effectuer ces stages.

En second lieu, l'accès à la vie professionnelle doit être facilité et se faire par étapes. Les étudiants sont un peu angoissés à l'idée de s'installer en exercice libéral, qu'ils connaissent mal. Il faut les accompagner par des périodes de remplacement, d'assistant, de collaborateur. La réglementation y met trop d'obstacles et il faut la simplifier. De même, il faut faciliter l'exercice mixte libéral et salarié. Les jeunes y aspirent, mais même les anciens avaient de grands regrets de ne pas garder un pied à l'hôpital. Les ordonnances de 1958 devraient donc être revues, voire remises en question.

Il faut aussi développer l'exercice multisites. Mesdames et messieurs les élus, il faut faire comprendre à la population que l'exercice à la Charles Bovary est du passé. Nous ne mettrons plus un médecin au pied de chaque clocher. Les médecins veulent travailler en équipes, regroupés, car c'est l'exercice médical moderne. Pour autant, il ne faut pas délaisser les populations plus éloignées des centres importants. Il va donc falloir développer des consultations avancées, des exercices multisites et accompagner ce mouvement pour assurer la fluidité de l'accès aux soins sur le territoire.

Toujours sur la vie professionnelle, il faut prendre en compte les conjoints. Cela nécessite de penser à ces choses simples comme l'accès à l'éducation, pour faciliter son installation. Il faut aussi faire que la vie professionnelle soit viable, grâce à une bonne organisation de la permanence des soins et des gardes. Malheureusement, en beaucoup d'endroits les pouvoirs publics ne soutiennent pas cette organisation de la continuité des soins. Il convient de développer la délégation de tâches chaque fois que c'est possible. Par exemple, il faudrait une évolution réglementaire pour faire appel aux médecins retraités, même à temps partiel. Or ils ne sont pas très encouragés à le faire sur le plan financier.

Enfin, les nouveaux modèles de pratiques autour de la télémédecine doivent faciliter l'accès aux soins dans les territoires. Nous avons beaucoup travaillé avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur la téléconsultation et la téléexpertise. La télésurveillance reste au stade expérimental, mais est une voie à développer, accompagnée de l'extension à tous les Français du dossier médical partagé.

Tel est l'éventail de mesures que nous avons présentées à plusieurs reprises pour assurer l'accès aux soins sur tout le territoire.

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