Intervention de Sébastien Jumel

Séance en hémicycle du mardi 22 mai 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel :

… de profonds déséquilibres, qui n'ont cessé, ces dernières années, de précipiter de nombreuses filières dans des crises à répétition. En Normandie, cela signifie que pratiquement aucune production – lait, viande, légumes, fruits – n'y a échappé.

Il faut, monsieur le ministre, chers collègues, faire revenir le berger dans la bergerie où les moutons ont été abandonnés au loup. Pour cela, cette loi doit renforcer le cadre contractuel, ce qui implique de soustraire les indicateurs pris en compte dans la définition des contrats, de la mainmise des acheteurs qui, vous le savez et nos débats l'ont montré, peuvent abuser de leur position dominante.

Renforcer ce cadre, c'est renforcer le poids des interprofessions pour mettre en selle les acteurs publics – Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, FranceAgriMer, Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer – , et les placer au-dessus des parties, afin qu'elles puissent donner de la pertinence aux indicateurs de prix.

C'est encore définir le prix abusivement bas sur la base des coûts de production, intégrant une juste rémunération des producteurs ; c'est traquer la vente à perte ; c'est rendre transparente la fixation du prix par une formule claire et compréhensible ; c'est donner mission à l'OFPM de définir pour chaque filière un coût moyen de production, sans tomber dans une économie entièrement administrée. C'est développer l'arbitrage en cas d'échec de la médiation et, pour aller au bout de cette logique, l'accès au juge des référés si le litige commercial demeure non résolu. C'est renforcer enfin le pouvoir dissuasif de la sanction en cas d'irrégularité, en la rendant proportionnelle au chiffre d'affaires de l'acheteur fautif – nous avons, vous le savez, des amendements en ce sens.

En l'état, ce qui figure dans le texte est insuffisant. Nous proposerons donc de nombreux amendements. L'audace et le courage seront convoqués, monsieur le ministre, chers collègues, car nombre de ces amendements vont à l'encontre des lobbies économiques et idéologiques – des forces contraires, très actives ces derniers mois dans les arrière-cours de l'élaboration du projet de loi pour tenter de faire de celui-ci un taureau de papier.

Mais si, comme nous, vous souhaitez que ce texte devienne la plus belle bête du comice, il n'y a d'autre choix que de réguler avec audace, même si on vous intimide avec des expertises pseudo-économiques ou juridiques sur les conséquences supposées de tel ou tel amendement favorable à une loi qui protège.

De l'audace, il en faudra également dans la partie du texte qui peut contribuer à faire évoluer progressivement notre paysage agricole en confortant ce qui constitue l'identité de notre territoire : les petites fermes, que nous proposons de définir pour mieux les soutenir. Ce modèle d'agriculture familiale de taille moyenne ou petite, qui représente encore un tiers de nos entreprises agricoles, est un gisement d'emplois et un levier de l'agriculture raisonnable, de l'agriculture bio. Il pratique la diversification d'activité et cherche sa respiration dans l'essor des circuits courts. Ce modèle, nous avons le devoir impérieux de lui donner, par ce texte, un coup de main afin de le pérenniser, parce qu'il recule sous les coups des faillites. Il va de pair avec le pouvoir de transformation à des fins environnementales, de qualité de vie et de santé publique que possède le consommateur et qu'il défend désormais avec beaucoup de force, à juste titre.

C'est en rapprochant le consommateur du producteur que l'on parviendra à raffermir le revenu paysan et à développer les débouchés locaux. Sur ce point également, la loi doit aller plus loin ; ce sera le sens de nombre de nos amendements.

Le projet de loi mise beaucoup sur le levier de la restauration collective ; c'est bien. Encore faut-il que les collectivités publiques et les hôpitaux soient accompagnés par l'État dans la réalisation de cette ambition ; nous avons déposé d'autres amendements en ce sens. Encore faut-il également que les gestionnaires privés, chargés ou non d'une mission d'intérêt général, soient astreints aux mêmes obligations que les gestionnaires publics ; nous proposerons d'amender le texte à cette fin. On peut enfin agir par le biais des marchés communaux, à travers des critères de priorité aux producteurs locaux ; nous le proposerons.

Nous serons force de proposition, soucieux en premier lieu que les producteurs agricoles soient les grands bénéficiaires de ce texte, car c'est en leur donnant les moyens de tirer un revenu convenable de leur travail que l'on répondra aux attentes légitimes des consommateurs en matière de qualité, de traçabilité des produits agricoles et alimentaires et de sincérité à leur endroit.

Monsieur le ministre, il ne peut y avoir développement durable que s'il y a développement. Derrière cette lapalissade, une vérité lourde d'implications : il faut sauver la petite et moyenne agriculture qui maille le territoire, nous nourrit bien, fait vivre la ruralité et entretient le paysage. Parmi les moyens d'y parvenir, nous croyons beaucoup à la convergence des intérêts et à celle des combats menés par les producteurs et par les consommateurs.

C'est la raison pour laquelle nous vous soumettrons une innovation qui doit permettre au consommateur citoyen, quand il achète, de choisir préférentiellement les produits, transformés ou non, qui rémunèrent correctement les producteurs. C'est l'idée d'un étiquetage ou d'un marquage « juste prix-prix rémunérateur » des produits vendus dans le commerce. Là aussi, le courage et l'audace ne devront pas manquer.

Telle sera notre ligne de conduite tout au long de l'examen du texte : le nourrir et défendre l'idée d'une transformation de la loi. Le monde paysan attend cela de nous, pour que cette loi, souvent perçue comme la loi de la dernière chance, soit réellement efficace. Nous avons rendez-vous avec cette formidable partie de nous-mêmes, cette formidable partie de la France que sont l'agriculture et le monde rural.

À cet égard, je veux conclure sur une dimension qui ne figure pas directement dans le texte, mais qui conditionne sa réussite et sa capacité à dessiner notre paysage agricole pour les dix années qui viennent.

Le ciel au-dessus de nos plaines n'est pas sans menaces. On a évoqué les traités internationaux de libre-échange : le CETA, le MERCOSUR et ceux de la même veine libérale qui se présenteront. Il appartient au Président de la République, au Gouvernement, à votre majorité d'imposer que cette entreprise destructrice de valeur soit stoppée ; et, pour cela, vous devez rendre au peuple le pouvoir qui lui revient.

Il appartient également à votre exécutif et à sa majorité d'agir résolument pour éviter que la politique agricole commune soit privée de sa capacité budgétaire. Nous avons noté, monsieur le ministre, que votre détermination récemment affirmée n'épouse pas tout à fait les propos et la ligne du Président de la République, qui a beaucoup critiqué cette politique et a approuvé la possibilité pour l'Union européenne de décider de modifier ses priorités d'action.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.