Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 22 mai 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous avez raté une belle occasion d'assurer un revenu aux agriculteurs. Les 35 000 heures de discussions avaient pourtant produit des effets : mis autour de la table, industriels et distributeurs étaient ramollis. Les états généraux les avaient conduits sur un autre terrain que la seule préoccupation du profit, et ils étaient prêts à des concessions. Mais à l'arrivée, c'est le néant : nous n'avons qu'un projet de loi famélique.

Dominique Voynet, qui animait l'atelier consacré à la santé, dressait le bilan suivant : dans le projet de loi, il n'y a rien ; c'est décevant, car les participants – industriels, transformateurs, distributeurs – , qui n'étaient pas des perdreaux de l'année, s'attendaient à ce qu'on leur impose des choses. Ils ont négocié des compromis, ils ont accepté d'avancer parce qu'ils pensaient qu'ils seraient traités bien plus durement. Mais à l'arrivée, il n'y a rien, alors forcément, ils respirent, ils rigolent !

Vous avez raté une autre occasion, celle de transformer l'agriculture. Plein de paysans doutent aujourd'hui : quel chemin emprunter ? Le bio, le raisonné ou le durable ? Alors que je visitais leur ferme, Isabelle, son frère Pascal et sa fille Marion pestaient tous les trois contre les écolos ; puis Isabelle me montre un coin plus loin, dans les pâtures, et me dit : « Pour épurer l'eau, on a planté des roseaux, et cela marche bien comme filtre. » Cela signifie qu'en pratique, ils sont déjà en transition, ils ont fait les premiers pas. Et l'enjeu réside là pour moi : comment faire glisser des Pascal, des Isabelle et des Marion, pas forcément vers le bio mais vers une autre agriculture ? Comment rendre ce changement socialement viable et économiquement rentable ? Et Isabelle de prolonger : « On pourrait faire partir nos bêtes à l'herbe, mais il faudrait le double de surface. Si le consommateur veut des vaches en pâture, on peut, mais il faut que le prix du lait suive. » C'est le moment de leur garantir un revenu comme un socle, une assurance pour se projeter vers l'avenir. Voilà le premier étage nécessaire, indispensable, de la fusée.

Mais c'est le moment aussi de leur dire quelle est notre ambition : sortir notre agriculture du productivisme, de la chimie, de la mécanique ; préserver l'eau, l'air et la terre ; en finir avec les élevages en batterie où les animaux ne voient ni la couleur de la terre ni la lumière du jour ; mieux traiter les ouvriers de l'agroalimentaire ; approvisionner nos régions, notre pays d'abord, sans ruiner les paysanneries d'ailleurs ; surtout, offrir à tous une alimentation saine, sans substances cancérigènes ni perturbateurs endocriniens, pour que nos enfants ne nous accusent pas. En l'absence de tout cela, votre projet de loi, monsieur le ministre, atteint au vide, à l'insignifiance.

Mercredi dernier, nous nous sommes tous levés, sur tous les bancs, pour appeler au sauvetage des abeilles. C'était une unanimité touchante. Nous nous étions tous levés déjà, un autre mercredi, pour les oiseaux cette fois. Côté grandes déclarations, ça va ; mais au pied du mur, dans le concret des projets de loi, qu'il s'agisse de transports, avec le nouveau pacte ferroviaire, ou aujourd'hui d'agriculture, ces questions du réchauffement, de la pollution ou des abeilles disparaissent. Et le ministre qui est supposé les traiter, lui aussi disparaît. Où est passé M. Hulot ? A-t-il pris des vacances ?

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