Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du mardi 22 mai 2018 à 21h30
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Il faut arrêter de se payer de mots, monsieur le ministre : votre texte ne constitue pas une grande révolution. En réalité, vous n'avez pas inventé grand-chose. La contractualisation, c'est Bruno Le Maire qui en avait chanté les charmes lorsqu'il était ministre de l'agriculture et qui l'avait introduite dans le projet de loi qu'il avait défendu à l'époque. La construction du prix à partir des conditions générales de vente figure déjà dans le code de commerce. Quant à la possibilité de se structurer en organisations de producteurs, en associations d'organisations de producteurs et en organisations interprofessionnelles, elle existe déjà.

Vous ne faites qu'une seule chose : vous tenez compte des évolutions du droit européen. Vous en avez certes le mérite, et nous vous en remercions, mais, en toute franchise, ce n'est pas non plus vraiment à mettre à l'actif du Gouvernement. Si la Cour de justice de l'Union européenne n'avait pas rendu son arrêt sur les endives en novembre dernier et si le règlement dit « omnibus » n'avait pas été adopté, nous ne discuterions pas ce soir de votre texte. Vous ne faites que tirer les conséquences des évolutions du droit européen. Nous ne sommes donc pas devant un grand texte, qui serait sorti de magnifiques États généraux de l'alimentation, au cours desquels on aurait réinventé l'agriculture française. Cessez de vous payer de mots et revenons à une approche un peu plus réaliste et modeste de ces sujets.

La vraie question est de savoir si ce texte permettra aux agriculteurs de toucher un revenu décent et à l'agriculture française de retrouver sa première place en Europe. Malheureusement, je crains que nous ne devions répondre non à ces deux questions à l'issue de nos débats.

D'abord, votre texte ne s'appliquera, bien évidemment, qu'en France. Or nous sommes dans un marché complètement ouvert : le marché unique européen. Qu'est-ce qui empêchera, demain, un transformateur ou une grande surface qui voudra échapper à l'application de votre texte d'aller acheter ses produits dans un autre pays au lieu de le faire auprès des agriculteurs français ? Telle est la faille principale du dispositif que vous nous proposez.

Il y a une autre faille, sur la question des centrales d'achat. En toute franchise, monsieur le ministre, l'amendement que vous avez proposé à ce sujet est vide de sens. Vous nous avez expliqué que, dans le cas d'un rapprochement entre centrales d'achat, on appliquerait le droit de la concurrence. Or nous n'avons pas besoin d'un amendement pour introduire, dans le code de commerce, une disposition indiquant que ledit code s'appliquera ! Malheureusement, vous êtes incapable d'apporter une réponse à la super-concentration du pouvoir des acheteurs, qui constitue pourtant la vraie difficulté. Certes, grâce aux avancées permises par le droit européen, les agriculteurs pourront, petit à petit, mieux s'organiser et se structurer, mais cela prendra énormément de temps. Or, pendant ce temps, les centrales d'achat s'organiseront, de leur côté, aux niveaux français et européen ; elles deviendront encore plus puissantes et le rapport de forces ne cessera de se déséquilibrer. En réalité, votre texte est déjà dépassé alors même qu'il n'est pas encore adopté.

Je passe sur les normes. Nous savons que des divisions existent au sein de votre majorité sur un certain nombre de questions. Elles ne manqueront pas d'apparaître au cours des débats ou à l'issue de la discussion du texte. Dès lors, les agriculteurs, qui se plaignent d'être écrasés de normes, le seront plus encore demain. Je ne parle pas non plus de l'accord avec le Mercosur.

Quant à la politique agricole commune, nous savions tous, dès le mois de janvier, que M. Macron l'avait abandonnée et que la Commission européenne proposerait une baisse du budget consacré à l'agriculture. Vous poussez aujourd'hui des cris d'orfraie, mais, en réalité, tout cela était inscrit. Si nous assistons aujourd'hui à une baisse du budget de la PAC, qui se traduira, demain, par une baisse du revenu des agriculteurs, c'est votre responsabilité qui est en jeu, parce que le Président de la République et vous-même n'avez pas su défendre les intérêts de l'agriculture française à Bruxelles, parce que M. Macron a laissé filer le dossier.

Pour conclure, ce texte est, au mieux, le reflet d'une bonne intention, au pire, un leurre. Ce qui est certain, c'est que le compte n'y est pas : il manque une grande politique volontariste en faveur de l'agriculture française. Or vous êtes incapable de promouvoir une telle politique.

Je ne vous mets pas en cause personnellement, monsieur le ministre, car vous êtes plein de bonne volonté et faites tout ce que vous pouvez, mais, malheureusement, vous êtes pris au piège du « en même temps ». On ne peut pas en même temps vouloir que l'agriculture française soit la première d'Europe, vouloir un revenu décent pour les agriculteurs, proposer tout ce qui figure dans ce texte et écouter un certain nombre de voix qui défendent, nous le savons très bien, une autre vision de l'agriculture. Aucune vision forte, claire et nette de l'agriculture ne se détache de votre texte et de vos propos. Vous essayez de concilier toutes les positions contradictoires qui existent au sein de votre majorité. Il en résulte un texte qui n'apportera pas grand-chose à l'agriculture française.

En réalité, vous allez beaucoup décevoir. En cela, vous portez une grande responsabilité, car vous avez chanté pendant des mois que ce texte constituerait la grande révolution qui permettrait d'améliorer la situation des agriculteurs français. Les réveils seront malheureusement très difficiles demain. Vous porterez alors la responsabilité de l'immense déception que vous ne manquerez pas de créer, hélas, dans le monde agricole.

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