Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du lundi 28 mai 2018 à 21h30
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Après l'article 14 quater

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

… il y a un Sénat unanime qui a le courage, sur un texte d'initiative parlementaire, d'approuver des solutions à la fois modérées et pratiques au problème posé.

On pourrait dire que tout le monde s'est trompé ; que la science s'est trompée, depuis cinquante ans, et encore depuis le rapport de l'INSERM ; que les sénateurs se sont fourvoyés. On pourrait dire que Phyto-Victimes est une équipe d'illuminés qui ne connaît pas le sujet ; ce serait leur faire une terrible injure, mais certains pourraient le penser.

Quelle est, pourrait-on demander, l'expertise de la puissance publique sur le sujet, celle de l'État ? Il se trouve qu'elle existe, sous la forme d'un rapport de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, le CGAAER, c'est-à-dire les trois instances compétentes.

En voici les grands traits. En France, aujourd'hui, près de 100 000 personnes sont concernées par une exposition à risque du fait des pratiques phytopharmaceutiques. Près de 10 000 de ces personnes sont concernées par des catégories de maladies professionnelles ou d'accidents du travail peu ou mal prises en considération. Or, pour 100 000 victimes potentielles, et 10 000 personnes pour lesquelles le lien de cause à effet entre leur pathologie et la phytopharmacie est avéré, seules 1 000 sont prises en charge.

Je n'établirai pas de comparaison avec l'amiante, avec les grands combats de ce genre – quoique des parallèles seraient possibles. En tout cas, on peut penser que, six ans après le rapport de l'INSERM, et après celui des inspections de l'État auquel s'ajoute le vote unanime du Sénat, le temps est venu.

C'est du moins ce que nous pensons au sein du groupe Nouvelle Gauche, où j'ai livré ce combat avec Delphine Batho, à qui je veux témoigner mon amitié et mon respect. Nous sommes allés voir les sénateurs au Sénat ; nous les avons invités à la questure ; tous les mouvements politiques représentés par les différents groupes étaient présents. À l'issue de la réunion, ayant entendu Bernard Jomier, Nicole Bonnefoy et Paul François, vous avez tous pensé que 2018 serait l'année où la France réparerait la souffrance de ces victimes que notre société n'a pas su prendre en considération.

Mes chers collègues, le moment est donc venu de nous rassembler dans le but de créer un fonds. Les procédures habituelles ne suffiront pas. Le ministère de la santé risque de se borner à répondre qu'il faut revoir les catégories de maladies professionnelles ; ce ne sera pas assez. L'IGF, l'IGAS et le CGAAER proposent la création d'un fonds dont la dotation annuelle serait de 30 à 90 millions d'euros au cours des dix ans à venir, pour accompagner les victimes et réparer autant que possible le mal qui leur a été fait.

Ce fonds pourra être alimenté pour moitié par ce que j'appellerais le monde paysan, avec deux grandes catégories : la contribution de la Mutualité sociale agricole, qui est favorable à l'idée de prendre sa part dans cette réparation ; ainsi que le produit d'une taxe sur la production et la vente de produits phytopharmaceutiques créée à l'occasion de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – une véritable innovation de la loi Le Foll – , qui alimente essentiellement la phytopharmacovigilance, c'est-à-dire l'analyse ex post des autorisations de mise sur le marché des produits du point de vue écosystémique et sanitaire. L'autre moitié du fonds serait, sur proposition de la mission, abondée par l'État, comme pour l'amiante. Face à une crise sanitaire importante, c'est toute la société qui est engagée ; aussi l'État doit-il venir abonder ce fonds.

Notre proposition est réaliste, puisqu'elle a été validée par les différentes inspections que j'évoquais et qu'elle a fait l'unanimité. Elle prévoit tous les garde-fous s'agissant de l'établissement des chaînes de causalité, et laisse une large part à l'État pour jauger les dimensions financières du problème, l'évaluer et fixer les normes de maladies professionnelles adaptées à la souffrance que nous évoquons ce soir.

Toute une part du monde rural, qui a souffert des années de croissance et de progrès, mérite notre attention. Plus que jamais, son combat, son propre engagement nous obligent à faire le choix de l'agro-écologie, d'une alimentation saine et durable pour tous. C'est le combat qui nous rassemble dans cette loi ; mais elle apparaîtrait vaine, artificielle et méprisant la dignité humaine, si elle ne faisait pas ce pas sur les traces des sénateurs et de Phyto-Victimes.

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