Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du jeudi 31 mai 2018 à 9h30
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

« Notre politique du logement est encore trop pensée pour les besoins d'hier, et pas assez pour ceux d'aujourd'hui, encore moins pour ceux de demain. » Cet extrait de l'exposé des motifs du projet de loi affiche l'ambition de répondre aux besoins de nos populations dans les domaines du logement, de l'aménagement et du numérique.

L'objet de notre travail politique est de traduire ces ambitions louables en actes législatifs bienfaiteurs. Si nous saluons l'arrivée de ce texte et notons des éléments manifestement positifs et novateurs à certains égards, force est de déplorer ses faiblesses.

Une ambition partagée et concertée, oui. L'objet visant à la fois à libérer les initiatives et à protéger les plus fragiles ne peut que susciter une adhésion unanime. Ce projet de loi ELAN a déjà un mérite, celui d'avoir mobilisé toutes les bonnes volontés afin de le corser, de le booster. Parce que cet élan doit être suivi d'un envol, pas d'un saut dans un vide social et sociétal.

En premier lieu, le postulat de départ, idéologique et consistant à apporter une réponse exclusivement libérale aux problématiques du logement, conduit à des dérives et éloigne le texte des ambitions affichées. Par exemple, la logique d'économie mixte, en harmonisant l'action des partenaires publics et privés, a permis à la France de résister plus longtemps et mieux qu'ailleurs à la crise du logement. En déstabilisant l'action publique, ce texte remet en question cet atout français.

D'autre part, ce projet de loi porte en son sein le risque d'un retour à une urbanisation frénétique, sans esthétique, et aux fautes architecturales faisant écho aux grandes tours et aux grandes barres des années 1960 et 1970. Ce serait une véritable régression sociale et sociétale. À ce propos, la suppression de l'avis conforme de l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France constitue, dans l'ensemble du territoire, une menace objective à la préservation de la qualité architecturale.

Par ailleurs, l'émergence salutaire de nouveaux outils techniques et institutionnels ne saurait masquer la cruelle insuffisance des moyens financiers adossés à ce texte.

Enfin, le Gouvernement a pris la fâcheuse habitude de renvoyer à d'obscures ordonnances des décisions majeures, qui devraient constituer le coeur même du travail parlementaire. Sur ce plan, chaque nouvelle loi vient pulvériser le record établi par la précédente.

Si toutes ces conséquences constituent une véritable préoccupation pour la France, que dire des outre-mer ? Force est de constater l'absence d'une réelle prise en considération de nos spécificités. Outre l'absence de mesures phares, on peut craindre que la dérive idéologique redoutée pour l'ensemble de la France retentisse encore plus gravement dans nos territoires, faute de garde-fous prenant en compte notre insularité, la rareté du foncier et la nécessaire préservation de notre patrimoine architectural. La marginalisation de l'avis de l'ABF et le recours à la préfabrication en sont des signes évocateurs.

D'ailleurs, la volonté de construire moins cher ne saurait faire l'impasse sur nos particularités outre-mer, et notamment sur les risques sismiques et cycloniques auxquels nos territoires sont confrontés. La réduction du coût des constructions ne doit pas rimer avec la baisse de la qualité et de la sécurité des biens et des services, d'autant que, nous le savons et vous le savez, les phénomènes naturels seront de plus en plus violents, comme les catastrophes Irma et Maria l'ont brutalement rappelé. À défaut de précaution, la généralisation du recours au préfabriqué et au low cost pourrait conduire à une réelle mise en danger de la vie d'autrui.

Nous aurions pu, nous aurions dû profiter de l'opportunité de ce texte pour instituer et sanctuariser un principe de précaution pour l'habitat, à l'exemple de celui pour la santé. Voilà une idée novatrice et révolutionnaire ! Voilà un changement de paradigme ! Outre-mer, le non-recours systématique aux architectes, dû à l'allégement des procédures, pourrait exacerber la production de logements inadaptés aux conditions climatiques, notamment à la ventilation naturelle, et pourrait contribuer à la hausse de la facture énergétique liée à la climatisation et à l'électricité.

Et que dire de l'impact de la défiguration par bétonisation du littoral sur notre tourisme, qui constitue un véritable enjeu économique pour nos territoires, nous le savons et vous le savez ? L'allégement des procédures relatives aux permis de construire et aux documents d'urbanisme ne doit en aucun cas compromettre le développement de notre agriculture, déjà affectée par les intempéries et les pollutions phytosanitaires. En la matière, j'ai été porteur de propositions pertinentes, malheureusement déjà écartées au mépris du bon sens.

Ainsi, non seulement cette loi refuse de prendre en compte nos spécificités, mais, pire, elle refuse encore plus obstinément de corriger certaines discriminations dont nos territoires sont déjà victimes. Or c'est cela, en réalité, réduire la fracture territoriale, objectif pourtant affiché par ce texte. Pourquoi avoir écarté d'emblée des propositions qui auraient pu permettre une forme de rééquilibrage, y compris celles qui n'ont pas d'incidences financières ?

Prenons, par exemple, le cas de l'amiante, problématique majeure et excessivement coûteuse au plan financier, social et sanitaire. Certes, la France est aussi touchée, mais chez nous, près de 70 % des constructions sont potentiellement concernées : toitures, façades, cloisons, peintures, réseaux d'assainissement… Aujourd'hui, dans tous les outre-mer, des lotissements entiers, cofinancés par l'État jusqu'en 1997 dans le cadre de l'accession sociale à la propriété, sont chargés d'amiante. Le seul coût du transport des déchets en amiante condamne les familles les plus modestes à un empoisonnement homéopathique. Un amendement proposant, à enveloppe budgétaire constante, j'insiste sur ce point, de financer moins de dossiers, mais de mieux les financer, en allant au-delà du plafond de 80 % d'aide publique a, contre toute attente, et très injustement, été victime des foudres de l'article 40 de la Constitution. Quoi qu'il en soit, il nous faudra être très vigilants pour défendre la sécurité de nos concitoyens, qui ont aussi droit à la même qualité de vie qu'en France.

Concernant l'accès au numérique et la qualité des réseaux de communication mobile, des efforts restent encore à faire, c'est le moins que l'on puisse dire. S'agissant des zones non-interconnectées, tant dans l'hexagone qu'outre-mer, il convient de remédier au fait qu'en plein XXIe siècle, de nombreux habitants n'ont même pas accès à l'électricité. Mettre fin à cette fracture électrique est le préalable pour remédier à la fracture numérique, dont nos populations paient le prix à plus d'un titre. Payer une 2G à Fort-de-France revient plus cher qu'une 4G à Paris : tel est notre quotidien !

Autre exemple de discrimination, les bailleurs sociaux d'outre-mer contribuent à alimenter le Fonds national des aides à la pierre, alors que nos territoires en sont expressément exclus par la loi. Pourtant, l'exonération de ce prélèvement injustifié aurait pu permettre de répondre, au moins partiellement, à nos besoins en production de logements, qui s'élèvent à cinq cents par an.

Énième paradoxe, le texte dit vouloir faciliter les constructions et encourager la vente de HLM, afin de pallier le désengagement financier de l'État – la baisse de la ligne budgétaire unique – LBU – avoisine cette année les 270 millions d'euros. Les professionnels du secteur n'en sont pas du tout convaincus. C'est particulièrement vrai en outre-mer, où, après la mort de la défiscalisation solidaire et sociale, la suppression des aides facilitant l'accès à la propriété pénalisera encore nos populations. Pire, c'est l'ensemble de l'économie, notamment le secteur du BTP, déjà à bout de souffle, qui risque d'en subir l'impact. Vous le savez, nous le savons.

Nous sommes porteurs d'un certain nombre d'amendements, constructifs et constructeurs, qui démontrent bien l'exigence que nous nous imposons, en tant qu'élus responsables, forts de notre connaissance du terrain : l'exigence d'agir pour ne plus subir. Sur ce sujet comme sur d'autres, le pouvoir central parisien ne saurait demeurer aveugle ni sourd aux remontées des territoires. À défaut, je vous le prédis : à force de tirer sur toute initiative constructive du peuple d'en bas, Jupiter risque d'être très prochainement à court de foudre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.