Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du vendredi 1er juin 2018 à 15h00
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Article 15

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Je voulais saisir l'occasion de l'examen de l'amendement de la commission des affaires culturelles et de l'éducation pour livrer quelques réflexions. On a dit qu'il ne fallait plus se mentir, mais la réalité est que cette disposition consacre un recul pour les ABF, qui doivent activer, j'imagine – je n'ai jamais eu ce genre de problèmes – quelques lobbys.

Je ne vous cacherai pas que j'ai eu quelques difficultés avec les ABF. Il en est de ceux-ci comme des maires : il y en a des bons et des mauvais.

Vous êtes parvenus à un certain équilibre, grâce, à n'en pas douter, à l'intense dialogue que M. le ministre a noué dans sa sagesse avec le ministère de la culture et qui, comme l'atteste cet amendement, n'est pas terminé. L'avantage, c'est que vous ne laissez pas le problème tabou, mais je ne suis pas sûr que cet équilibre soit exactement le bon.

Aujourd'hui, ce qui ne va pas, c'est qu'en dehors du juge d'instruction, l'ABF, dans votre secteur, est l'homme le plus puissant de France ; plus puissant que le Président de la République. Vous avez peut-être en tête l'épisode de la rénovation urbaine des Courtillières de Pantin. Un ABF avait imaginé que c'était une oeuvre d'art, même si, bien évidemment, il n'aurait pas accepté d'y vivre – et c'est aussi arrivé dans ma circonscription, dans une cité encore plus triste et inhumaine. Ces oeuvres qu'il voulait protéger, on les impose aux gens. Mais d'un autre côté, si vous allez vous balader vers la cathédrale de Saint-Denis, haut lieu de l'histoire de France, vous verrez ce que les ABF ont laissé construire ! Vous pourrez en conclure que le système n'est pas parfait.

Il me semble que ce qui ne va pas, dans les relations entre les ABF et les élus locaux, c'est que l'ABF est absolument tout-puissant, mais que malgré toutes les circulaires du monde, s'il est invité au dialogue, il n'y est pas poussé. Il me semble, messieurs les ministres, que nous aurions dû aller un peu plus loin, en inversant les choses.

Il ne suffit pas de dire que dans certains cas, comme celui des antennes téléphoniques, la décision sera prise même si l'ABF n'est pas content. D'abord, il n'est pas simple de régler ce type de situation, comme le disait M. Saddier. Ainsi, pour une antenne téléphonique située à côté de la cité de La Muette – ancien camp de Drancy – je pourrai, grâce à votre loi, me passer de l'avis de l'ABF. Mais quand je devrai construire à côté, en covisibilité, je serai bien obligé de passer sous ses fourches caudines, et c'est moi qui serai obligé de dialoguer, pas lui !

C'est l'inverse qu'il faudrait faire : prescrire un avis simple sur l'ensemble, et, si l'ABF n'est pas d'accord, faire exercer le recours par le préfet ou le directeur régional des affaires culturelles. C'est à lui d'exercer le recours si l'élu va trop loin, de démontrer que ce n'est pas arbitraire, y compris vis-à-vis, non de ceux qui travaillent avec lui, mais de ceux qui appartiennent à sa corporation.

Car j'ai vu aussi des ABF qui craignaient le jugement qu'on porterait sur leur décision ultérieurement. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de patrimoine social, de l'histoire du logement social – dans mon département, le sujet se pose souvent : l'oeuvre de tel ou tel architecte doit-elle être protégée définitivement ou pas ? Et nous en revenons à l'exemple des Courtillières. Finalement, ce n'est pas toujours par mauvaise volonté, carence ou incompétence qu'ils agissent ainsi, mais par préoccupation de l'avis des autres.

L'équilibre trouvé par le texte devra encore être encore amélioré, monsieur le ministre. Donner un avis simple et avoir la possibilité d'exercer un recours à l'encontre d'un élu local, pour un ABF, c'est avoir du pouvoir, mais plus celui de bloquer. Cela l'oblige à dialoguer – et nous ferons d'ailleurs des propositions en ce sens – alors qu'aujourd'hui, l'obligation de dialogue ne s'impose qu'à une partie, même avec votre amendement.

Enfin, il m'a semblé déceler une pointe d'humour chez le ministre lorsqu'il a donné son avis de sagesse gouvernementale. L'amendement se lit ainsi : « L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peut proposer un projet de décision à l'architecte des Bâtiments de France. Celui-ci donne son accord ou demande la modification de ce projet de décision, le cas échéant après examen conjoint du dossier. » Le dialogue intervient donc « le cas échéant ». S'il le veut bien. En revanche, dès lors que l'élu local a décidé de consulter, il faut que l'ABF soit donne son accord, soit demande la modification ! S'il ne donne pas son accord, l'élu qui l'a sollicité est piégé. Je crains qu'aucun élu n'utilise cette disposition, parce qu'entre un avis simple et un accord obligatoire en cas de sollicitation, peu d'élus choisiront la seconde option !

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