Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Françoise Nyssen, Ministre de la Culture :

Monsieur Anglade, les élections européennes pourraient effectivement être particulièrement affectées par les fausses nouvelles. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitons voir cette proposition de loi adoptée rapidement afin qu'elle soit applicable dès les prochaines élections, en 2019.

De manière générale, je ne peux que me réjouir des initiatives de la Commission européenne, notamment de la mise en place d'un groupe d'experts de haut niveau. C'est le signe qu'elle a pleinement conscience de l'importance des enjeux. Pour l'instant, les pistes qu'elle a retenues reposent surtout sur l'auto-régulation des plateformes, solution qui nous paraît manquer d'ambition. En appeler uniquement à la responsabilité des acteurs du numérique risque en effet de conduire à une forme de censure privée.

Les États membres ont toute légitimité à se saisir de cette problématique. Plusieurs d'entre eux l'ont déjà fait : le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, la Suède et plus récemment la Lettonie, qui nous a demandé conseil. Il serait bon toutefois de parvenir à une législation européenne harmonisée.

La France insiste fortement sur la redéfinition du régime de responsabilité des plateformes numériques, ce qui suppose une révision de la directive « E-commerce » et la création d'un statut intermédiaire entre éditeurs et hébergeurs pour sortir du statut d'irresponsabilité absolue des plateformes d'hébergement. Dans cette attente, le cadre actuel offre des marges de manoeuvre qu'il serait dommage de ne pas exploiter.

Monsieur Vuilletet, vous évoquiez la limitation aux périodes électorales de la transparence des contenus sponsorisés. L'obligation de transparence vise la publication d'informations pouvant relever de la liberté du commerce. Cette limitation se veut strictement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire lutter contre les atteintes à la démocratie pendant les périodes électorales. C'est durant ces périodes particulièrement exposées que les citoyens ont le plus besoin de connaître l'origine des informations. Nous avons vu comme l'activité des bots avait explosé pendant la campagne référendaire du Brexit puis comme elle est retombée une fois le vote intervenu. Étendre cette obligation de transparence pour la rendre applicable à tout moment au motif que les opinions ne se forment pas uniquement pendant les périodes électorales nous exposerait à un risque juridique.

Madame Colboc, beaucoup d'autres pays ont pris des initiatives mais elles se réduisent pour l'instant soit à l'auto-régulation comme en Allemagne soit à une régulation exercée par l'État. Notre dispositif vise à donner au juge des référés la possibilité d'intervenir, à permettre aux citoyens de disposer d'une information transparente en période électorale et à renforcer les obligations de signalement à travers le devoir de coopération, qui nous semble constituer une piste prometteuse. La Commission européenne a fait en ce domaine des propositions qui peuvent alimenter notre travail. Plusieurs initiatives de factchecking ont émergé dans les médias : Les Décodeurs du Monde ou le moteur de recherche Checknews de Libération. Nous pouvons nous appuyer aussi sur la labellisation de l'information émanant de la presse professionnelle, sur la publication d'une liste noire de sites spécialisés dans la désinformation. Nous réfléchirons à une mobilisation des acteurs de la publicité pour priver de ressources financières les sites spécialisés dans la désinformation. La réécriture qui sera proposée par votre rapporteur va dans le sens d'un élargissement des formes de coopération susceptibles d'être mises en oeuvre.

L'enjeu essentiel, de mon point de vue, est que les initiatives prises par les plateformes puissent être discutées collectivement et être inscrites dans des chartes de bonnes pratiques ou des accords interprofessionnels associant journalistes, médias et annonceurs et faire l'objet d'évaluations par une instance indépendante.

Madame Kuster, je suis d'accord avec vous pour retenir un délai de trois mois pour la période électorale.

Vous évoquiez le degré de précision des critères. Le CSA devra démontrer que la chaîne est contrôlée par un État extra-européen ou sous l'influence de celui-ci. La notion de contrôle est très précisément définie par l'article 41-3 de la loi de 1986. L'influence ne fait pas l'objet d'une définition mais elle peut être établie par la technique du faisceau d'indices. Le CSA peut déterminer si la chaîne en question porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation des institutions. Le premier concept existe déjà en droit français : il est défini dans le code pénal et dans le code de sécurité intérieure. Le deuxième constitue une innovation : il renvoie à une volonté délibérée de saper les fondements mêmes de la démocratie. Ces concepts sont généraux mais c'est précisément le rôle du régulateur que d'appliquer des principes abstraits à des situations concrètes en s'appuyant sur des éléments tangibles et objectifs. Ajoutons que les décisions du CSA seront systématiquement soumises au contrôle du juge administratif. Il n'y a donc pas de risque d'arbitraire.

Quant au référé, il constitue un complément nécessaire par rapport aux voies de droit existant en matière pénale et électorale. Il est d'ores et déjà possible de poursuivre pénalement les auteurs de fausses informations mais la mise en route de la procédure est forcément lente car il faut identifier le premier émetteur d'une fausse information sur Internet et établir la mauvaise foi. Le juge électoral peut annuler un scrutin s'il constate que sa sincérité a été altérée par des manquements aux règles du droit électoral mais seulement après le scrutin.

Le référé judiciaire a pour objet non pas de sanctionner l'auteur de la diffusion d'une fausse information ou d'annuler un scrutin mais d'endiguer la propagation de la fausse information en sollicitant le concours des intermédiaires de l'Internet tels que les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux. C'est ce qui permet une réaction rapide, indispensable pendant la période électorale où la propagation de fausses nouvelles se fait sur un mode viral et peut causer des dommages graves et irréversibles sans qu'il soit toujours possible de riposter par des moyens démocratiques. Plus la diffusion de la fausse nouvelle est proche du moment du scrutin, moins il est possible d'y répliquer pour rétablir la vérité des faits.

Monsieur Garcia, le dispositif de la proposition de loi est pour l'instant circonscrit aux scrutins nationaux – élections présidentielles, législatives, sénatoriales – et européens, qui sont les plus susceptibles d'être visés par des campagnes de désinformation massives et organisées dont les conséquences sont potentiellement graves et irréversibles, comme nous avons pu le constater dans certains pays. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas se contenter du contrôle a posteriori du juge électoral et qu'il faut disposer de la possibilité de réagir en temps réel avant le scrutin. Cela ne veut pas dire que les scrutins locaux ne méritent pas eux aussi d'être protégés. Le devoir de coopération pourra être utile à cet égard.

Vous évoquiez aussi une extension aux fausses informations scientifiques. Celles-ci pourraient entrer dans le champ du devoir de coopération qui vise les fausses informations qui troublent l'ordre public, dont la salubrité et la santé publiques font partie. Il ne serait pas opportun d'étendre l'obligation de transparence des contenus sponsorisés ou le référé civil à ce type d'informations car ces deux dispositions ont un objet bien précis : protéger la sincérité du scrutin ; elles n'ont vocation à s'appliquer qu'en période électorale.

S'agissant de l'intervention préventive du CSA, rappelons que la proposition de loi donne à cette instance le pouvoir de refuser de conventionner une chaîne contrôlée par un État extra-européen ou sous l'influence de celui-ci en cas de risque d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participation à une entreprise de déstabilisation des institutions. Il s'agit d'empêcher la reprise dans les offres de distributeurs destinés au public français de programmes audiovisuels dont le but est de saper le fonctionnement de notre démocratie. Comme le souligne le Conseil d'État, le CSA devra établir l'existence de ce risque en apportant des éléments matériels objectifs, en se fondant notamment sur le comportement passé de la chaîne qui demande le conventionnement, y compris dans d'autres pays ou sur son site internet. Cette disposition ne confère en aucun cas au CSA un pouvoir arbitraire. La crainte d'éventuels procès d'intention est là encore infondée.

Monsieur Bournazel, vous évoquiez l'idée de créer une instance de régulation tripartite. Restaurer la confiance des citoyens dans leurs médias passe sans nul doute par un renforcement de la déontologie. La loi Bloche de 2016 va dans ce sens en prévoyant la rédaction obligatoire de chartes déontologiques dans les entreprises de la presse et de l'audiovisuel et la constitution par les éditeurs de services de télévision et de radio de comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, dispositions dont nous pourrons faire un bilan de la mise en oeuvre. Nous sommes bien évidemment prêts à réfléchir à de nouvelles améliorations. Toutefois, en matière de déontologie, c'est l'auto-régulation de la profession qui nous paraît constituer la meilleure réponse. Je ne crois pas qu'il appartienne à l'État de s'y substituer. C'est la raison pour laquelle nous suivons avec beaucoup d'intérêt les initiatives de la profession qui visent à offrir au public des garanties quant au respect des règles déontologiques. Je pense notamment à la Journalism Trust Initiative, lancée par Reporters sans frontières ou au conseil de presse proposé par l'Observatoire de la déontologie de l'information.

Vous vous interrogez sur la possibilité d'établir en urgence la véracité d'une information. Les procès relatifs aux fausses nouvelles sont souvent complexes. La réunion des preuves demande du temps. Il y a toutefois des cas qui relèvent de l'évidence manifeste. L'assertion selon laquelle « le nombre d'étrangers résidant en France a été multiplié par dix au cours des cinq dernières années » peut, par exemple, facilement être vérifiée sans enquête lourde. Le juge des référés est le juge de l'évidence. Il ne fera usage de son pouvoir pour obtenir le retrait d'une information que s'il a la certitude qu'elle est manifestement fausse et qu'il n'existe aucun doute raisonnable et sérieux sur ce point. Cela peut contribuer à lever toute ambiguïté et à apaiser les craintes. Le texte pourrait être modifié pour ne viser que les « nouvelles manifestement fausses ».

Madame Pau-Langevin, nous considérons que le nouveau référé permet plusieurs améliorations. Les procédures existantes ne sont pas adaptées à la problématique de la désinformation en ligne. Le référé prévu par la loi de 1881 ne s'applique pas au délit de fausses nouvelles mais uniquement à des infractions comme la diffamation ou l'injure. Le référé dit « LCEN », en référence à la loi pour la confiance dans l'économie numérique, repose sur des critères très généraux, qui sont difficiles à appliquer à la divulgation de fausses informations. La nouvelle procédure permet de fournir au juge un mode d'emploi en définissant précisément les critères : « diffusion artificielle et massive d'une fausse information » et « risque d'altération de la sincérité du scrutin ». Les conditions d'appréciation du juge sont ainsi mieux encadrées, ce qui concourt à la sécurité juridique et protège contre toute atteinte à la liberté d'expression. En outre, cette procédure spéciale présente deux spécificités qu'il faut souligner ici : la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris et, surtout, un délai maximal de quarante-huit heures.

Monsieur Saulignac, vous vous interrogez sur le soutien que nous apportons à la presse. Nous sommes très attachés à garantir aux citoyens un accès à une information pluraliste, fiable et de qualité. C'est la raison pour laquelle nous accordons une grande importance au soutien à la presse professionnelle : le travail des journalistes est le meilleur rempart contre la prolifération des fausses nouvelles. Les aides au pluralisme, aux médias sociaux de proximité, à l'émergence et à l'innovation sont intégralement préservées dans le budget pour 2018. Le Gouvernement s'est mobilisé pour répondre aux difficultés que connaît actuellement la distribution de la presse au numéro, notamment grâce au soutien à Presstalis. Par ailleurs, nous accompagnons l'Agence France Presse, pilier essentiel du secteur de la presse, garante de l'accès à une information fiable, rigoureuse et impartiale, dans la redéfinition de son modèle économique.

Le combat se joue aussi au niveau européen. Je suis attentive à ce que l'objectif légitime de protection de la vie privée ne conduise pas à adopter des règlementations qui fragiliseraient excessivement le modèle économique des éditeurs. Je pense au règlement « E-privacy » qui comporte le risque de priver la presse de revenus publicitaires. En outre, je me bats avec détermination pour faire reconnaître à l'échelon européen un droit voisin des éditeurs de presse et éviter que les modalités techniques de sa mise en oeuvre ne le vident pas de sa substance dans les discussions qui ont lieu au sein de la Commission. Je me rends d'ailleurs demain à Bruxelles dans cet objectif.

S'agissant du secret des sources, madame Faucillon, monsieur Larive, je reviendrai sur ce qui est désormais un véritable cas d'école : l'article de Mediapart publié durant la campagne présidentielle de 2012 sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Si la présente proposition de loi était adoptée, le juge serait-il en mesure de bloquer une telle publication ? vous demandez-vous. La réponse est non pour deux raisons principales : d'une part, l'information n'a pas fait l'objet d'une diffusion artificielle sur les réseaux sociaux ; d'autre part, elle a été produite par des journalistes qui peuvent se prévaloir du secret des sources. L'information est issue d'une enquête et le juge ne pourra pas considérer qu'elle est manifestement fausse. Il n'en irait pas de même pour l'information selon laquelle l'agent du FBI à l'origine des fuites d'e-mails d'Hillary Clinton aurait été retrouvé assassiné chez lui, qui a été massivement relayée sur les réseaux sociaux américains deux jours avant l'élection de 2016. Elle n'avait pas d'auteur et la preuve de son caractère manifestement faux n'aurait pas été difficile à apporter dans le délai prescrit. La diffusion d'une fausse information de ce type pourrait être bloquée grâce au nouveau texte de loi.

Vous avez eu raison de souligner l'importance majeure de l'éducation aux médias. Bruno Studer y reviendra certainement.

Vous doutez, monsieur Larive, de la légitimité du juge à établir la véracité d'une information. Le droit existant confie déjà au juge le soin de dire si une information est vraie ou fausse, à l'occasion des procès en diffamation, par exemple, ou sur le fondement du délit de fausse nouvelle. Sa légitimité pour le faire n'est ni contestée ni contestable. Notre Constitution prévoit que le juge judiciaire est le garant des libertés publiques. En l'espèce, le référé ne vise pas à confier au juge le soin de statuer sur la véracité de n'importe quelle information. Seules sont concernées en période électorale les informations diffusées de manière massive et artificielle et qui sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Enfin, vous avez évoqué les chaînes étrangères, madame Faucillon. La loi ne vise pas la simple diffusion des fausses informations qui peuvent survenir occasionnellement sur n'importe quelle chaîne de télévision, généralement par erreur. Le CSA a déjà les moyens de réagir à ce type d'incident en usant de son pouvoir de mise en demeure voire de sanction. Ce que vise la proposition de loi, c'est l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou la participation à une entreprise délibérée de déstabilisation des institutions. Force est de reconnaître aujourd'hui que ce ne sont pas les chaînes françaises ou européennes qui sont susceptibles de se rendre coupables de telles pratiques. Le texte est donc volontairement circonscrit aux chaînes contrôlées par un État extra-européen ou sous l'influence de celui-ci.

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