Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Madame Rilhac, je rappellerai en préalable le cadre juridique. Actuellement, le décret de 1992 prévoit la possibilité d'une coupure publicitaire pour tous les journaux télévisés ou radios de plus de 30 minutes. TF1 avait consenti en 1996 à renoncer à cette possibilité et à accepter cette contrainte supplémentaire du fait de l'extrême puissance des écrans publicitaires de sa régie à l'époque. Pour mémoire, son audience était alors de 10 % supérieure, de même que la clientèle de sa régie.

Aujourd'hui, toutes les émissions d'information politique et générale sont soumises à ce droit commun, notamment les chaînes d'information en continu dont les séquences publicitaires sont fort longues et variées... Fallait-il maintenir cette exception, d'autant que, depuis le début de la procédure en novembre 2016, TF1 avait indiqué publiquement qu'il ne l'utiliserait pas, ce qui, je le reconnais, peut paraître curieux ? Mais cela lui apparaissait comme une forme de mesure discriminatoire non justifiée. Nous avons d'autres exemples : M6 a demandé la reconduction de sa convention dans les mêmes conditions et a, de la même façon, sollicité l'abrogation de dispositions restrictives spécifiques relatives à son capital, qui ne lui semblaient pas économiquement justifiées.

Nous nous sommes trouvés devant la question suivante : en droit, compte tenu de la hiérarchie des normes, était-il possible d'imposer à TF1 une restriction conventionnelle contraire à une disposition réglementaire ? Puisque nous aurions eu du contentieux de toute manière, il nous a semblé plus solide de remettre TF1 sur un pied d'égalité avec ses concurrentes. Par ailleurs, nous avions les plus grands doutes sur l'opportunité pour TF1 d'user de cette possibilité alors que la chaîne est en compétition avec le journal télévisé de France 2 et qu'il existe une proportion de spectateurs que l'on qualifie volontiers de « publiphobe ».

Je rappellerai les ordres de grandeur financiers en cause. En 2015, la publicité a représenté 10,5 milliards d'euros pour tous les médias, contre 11 milliards d'euros en 2016. Pour ce qui concerne la répartition de ce marché, la publicité sur internet vient de dépasser la publicité à la télévision, qui oscille entre 30 et 31 %, alors que la publicité à la radio est passée de 8 à 6 %. Dans notre appréciation économique, nous avons à la fois tenu compte de l'importance relative des gains potentiels pour TF1 – quelque 40 millions d'euros – et de la masse globale des crédits publicitaires. Pour provoquer une étude d'impact, il faut que la modification des conditions financières porte réellement atteinte aux conditions du marché. Or nous avons considéré que nous n'étions pas ici dans ce cas.

Par ailleurs, la répartition des compensations ne serait-elle pas complètement dispersée ? M6 a été à la tête de la contestation mais la thématique essentielle de cette chaîne n'est pas l'information. Tout cela nous a conduits à estimer qu'il valait mieux obtenir de ces chaînes des garanties supplémentaires sur des sujets de société essentiels, comme, en particulier, la promotion des femmes dans leur environnement professionnel, en leur concédant une mesure virtuelle et financièrement marginale. Actuellement, le nombre des femmes expertes a diminué, oscillant entre 20 et 30 %, alors que celui des journalistes et chroniqueuses a légèrement augmenté – de l'ordre de 30 à 40 %. Fixer cet objectif de parité à une chaîne aussi puissante que TF1 est emblématique. Vous pouvez être certains que nous en userons dans nos rapports conventionnels avec les autres chaînes.

Monsieur Bournazel, nous n'avions pas fait de demande de fusion avec l'HADOPI. Nous avions cependant accueilli favorablement les conclusions du rapport Lescure. Lorsque la question nous avait été posée, au sein même de cette commission, sous la précédente législature, nous avions considéré que l'apport de cette institution indépendante, les études qu'elle avait menées, les recherches qu'elle avait conduites, pouvaient nous donner un supplément de légitimité dans les discussions que nous avions alors engagées avec les grands opérateurs du numérique en vue de la signature de conventions. Nous avions accepté cette charge supplémentaire car cela nous semblait aller dans le sens d'un élargissement indispensable du périmètre de régulation. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Ces grands acteurs ont en quelque sorte leurs polices privées – l'expression ne se veut pas polémique –, leurs réglementations, fondées d'ailleurs sur des principes complétement différents. Ainsi, la nudité est taboue pour Facebook tandis que Twitter est moins strict.

Le plus important pour nous est que la puissance publique puisse se préoccuper de la masse d'informations – et de désinformation – que les réseaux et parfois, même à leur corps défendant, certains opérateurs diffusent, plutôt que, ponctuellement, et avec retard, à la faveur d'une poursuite du juge pénal ou d'une action devant le juge administratif, de mettre fin à tel ou tel errement.

Nous attachons une grande importance à cette question car, à quoi servirait de faire preuve d'une attention extrême à l'honnêteté et la précision de l'information délivrée par l'audiovisuel si, à la faveur ou non de fuites, de fausses informations – les fameuses fake news – sont diffusées et que même le Président de la République en fait mention ? Il est beaucoup plus fondamental pour l'avenir de la régulation que, par un mécanisme de conventions ou de labellisation, l'État puisse garantir un minimum de crédibilité des informations diffusées. Il ne faut pas que les différents publics soient enfermés à l'intérieur des programmes de certains opérateurs dont le message – quel qu'il soit – est souvent unilatéral et ainsi en contradiction avec les objectifs de cohésion nationale et de diversité culturelle qui nous sont fixés par le législateur.

Le CSA n'a donc rien fait pour favoriser la fusion avec la HADOPI mais il l'aurait accepté. Aujourd'hui, nous constatons que la question n'est plus posée.

Madame la ministre Pau-Langevin, nous sommes sensibles aux paroles que vous avez prononcées à l'égard du CSA. J'ai répondu en partie à votre question relative à la publicité : il ne faut pas qu'elle l'emporte sur la programmation mais il convient également de prendre garde à l'équilibre publicitaire à l'intérieur de la sphère médiatique. Si tout est autorisé sur internet, il faut veiller en effet à ne pas déséquilibrer gravement les ressources financières des acteurs privés de l'audiovisuel qui nous offrent plus de garanties quant à la qualité de la programmation. C'est la raison pour laquelle nous faisons preuve d'une certaine souplesse. D'ailleurs, dans son avant-projet du 25 avril 2016, la Commission européenne a pris des positions favorables à une libéralisation de la publicité en fonction des tranches horaires. La question est en discussion.

S'agissant du mode de gouvernance des chaînes publiques, le choix de la compétence en matière de désignation relève de vous, pas de nous. C'est le législateur du 15 novembre 2013 qui a rétabli le mode de désignation qui prévalait depuis 1982 et qui avait été interrompu pendant une législature. J'ai simplement fait observer que si cette compétence était conférée au conseil d'administration, il convenait au préalable de bien s'entendre sur ce qu'est le conseil d'administration. Doit-il rester dans une optique de contrôle budgétaire, comptable et administratif, aux mains de l'État, face à une société nationale dont il possède 100 % du capital ? Quel sera dans ce cas son poids dans la procédure de désignation des dirigeants de l'audiovisuel public ? Cela soulève d'autres questions : faudra-t-il envisager d'autres types de composition pour l'occasion ? Je ne sais pas et n'ai pas à me prononcer sur ce sujet. J'attends la décision – si elle doit venir – du pouvoir politique. Nous l'appliquerons alors avec ponctualité et scrupule.

Madame Calvez, le CSA est très attaché à la lutte contre la publicité sexiste. À tel point d'ailleurs que nous avons contredit l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), au sujet de femmes représentées dans un contexte disons « félin »... Cette séquence, à nos yeux particulièrement inadmissible, a fait l'objet d'un avertissement de notre part. La loi a renforcé notre mission en la matière, sans en préciser les mécanismes juridiques et sans limiter la compétence de l'ARPP. Pour autant, nous ne sommes pas dans une situation de conflit avec l'ARPP. Je m'en entretiens souvent avec M. François d'Aubert, son président. Mais nous sommes plus exigeants qu'elle. Pour nous, les considérations financières doivent totalement s'effacer devant les considérations personnelles qui donnent une image discriminatoire des femmes. Ces questions sont examinées avec une extrême attention et nous serons, M. d'Aubert le sait, de plus en plus sévères.

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