Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Au moment des événements tragiques de janvier 2015, madame Mörch, j'ai convié l'ensemble de nos interlocuteurs des médias et leurs responsables de rédaction à une après-midi de réflexion et de retour sur leur expérience. Surpris par des événements sans précédent, réduits aux petites équipes présentes sur le pont de la rédaction et dépourvus de références générales, ils ont dû improviser, et leurs réactions ont pu être différentes selon telle ou telle personnalité. Je crois qu'ils ont apprécié ce retour collectif sur expérience.

Il y a eu cependant un malentendu, alors que j'avais été très clair : ils ont cru que cela épuisait le sujet, que dès lors que nous avions débattu, il n'était pas question que nous usions de notre pouvoir d'avertissement. Or, sur un certain nombre de faits mettant en danger la vie des otages, il nous est apparu que des anomalies avaient été commises non seulement au regard de la dignité des personnes mais aussi de l'ordre public. À l'époque, les rédactions ont très vivement réagi ; elles se sont réunies, dans les locaux d'un service public d'ailleurs, pour protester contre l'attitude du CSA. Après le rejet de leur recours gracieux, elles se sont toutes adressées au juge administratif. Comme je l'ai rappelé, elles se sont ensuite désistées les unes après les autres, sauf une, dont le recours a fait l'objet d'une décision plutôt sèche du Conseil d'État indiquant qu'il s'agissait bien de préservation de l'ordre public. Cela montre à quel point nous sommes toujours, même sur des sujets qui touchent à tant de valeurs dont le législateur nous a confié la sauvegarde, suspects d'être tentés par la censure, de vouloir exercer une police de l'esprit. Nous devons donc être extrêmement prudents en la matière.

Je pense que l'expérience a été comprise par les rédactions et d'autres faits, sur le territoire national ou au-delà, ont montré que des précautions ont été prises, notamment sur le floutage des personnes de façon à préserver leur dignité. Vous observerez d'ailleurs que, s'agissant d'un service public et pas n'importe lequel, France 2, après les événements de Nice, nous n'avons pas hésité à marquer que cela ne devait plus se reproduire et que, malgré les excuses qui avaient été immédiatement présentées, nous ne saurions considérer que les choses pouvaient rester en l'état.

Notre pouvoir est limité, vis-à-vis de la presse bien entendu – je n'ai pas besoin de citer les titres qui publient des photos sanguinolentes –, et vis-à-vis d'internet. On trouve sur les réseaux sociaux, postées par des personnes sans lien avec le journalisme, des images extrêmement traumatisantes, et c'est une réelle tentation pour nos interlocuteurs de les reproduire, fût-ce par extraits, car ils sont soumis à un phénomène de concurrence. Il existe une porosité entre la communication des réseaux sociaux et celle des organismes traditionnels de l'audiovisuel. C'est une question que le législateur pourrait éventuellement se poser.

Nous restons très attentifs. Si je ne vous parle pas d'une émission que vous avez implicitement mentionnée, c'est parce qu'il s'agit d'une affaire en cours d'examen et que je ne peux vous en parler plus avant, mais sachez que nous restons vigilants et que nous prendrons toutes les mesures nécessaires à la préservation de la dignité des personnes.

Madame Kuster, la façon dont la législation pourrait évoluer n'est pas de notre compétence. Je le dis souvent mais où pourrais-je le dire mieux qu'ici-même ? Je me permets tout de même d'indiquer qu'indépendamment des modifications qui pourraient être apportées sur des points essentiels, en particulier le périmètre, il existe un impératif de simplification.

J'ai exprimé à plusieurs reprises ces dernières années le souhait qu'un effort de codification soit entrepris. Quand la législation a été tant de fois modifiée, à des époques différentes, dans des états d'esprit différents, parfois sans exposé des motifs ni travaux préparatoires dans le cas d'amendements parlementaires, cela conduit non seulement à de la complexité mais aussi à un effet de confusion et de difficulté d'interprétation et d'articulation entre des dispositions adoptées à des époques diverses. La codification, même à droit constant, permet donc d'avoir une vue générale sur une matière complexe. Quand un code de l'éducation a été proposé, cela paraissait une tâche insurmontable. Cette initiative a pourtant fini par aboutir au bout de longues années. Je ne dis pas que cela a résolu tous les problèmes mais au moins avons-nous désormais un texte unique là où il existait des circulaires dont même la publicité était sujette à caution. Sur le sujet des signes ostensibles à l'école, notamment, certaines circulaires inspiraient un doute sur leur fondement juridique. La codification permet de mettre de l'ordre dans le droit. C'est une première étape, qui n'est pas suffisante mais est assurément nécessaire. Le sort de la société d'aujourd'hui, société d'information, de communication et d'éducation, dépend beaucoup de l'évolution et de la clarification des textes.

Monsieur Cormier-Bouligeon se plaint d'un abâtardissement, en quelque sorte, de l'esprit public. Comme je l'ai dit, ce n'est pas à nous de faire les programmes. Nous devons veiller à ce que ces programmes n'encouragent pas, directement ou indirectement, la discrimination. Dès lors que l'on pratique, que ce soit dans un reportage ou une fiction, des jeux de rôle, cela s'appelle des stéréotypes, et les stéréotypes peuvent être malfaisants. Le législateur nous a d'ailleurs demandé, dans certains domaines tels que l'égalité des femmes et des hommes, de pourchasser les stéréotypes, et nous le faisons dans le cadre d'un dialogue et d'engagements réciproques avec nos interlocuteurs des médias, qui sont eux aussi convaincus de l'importance de ces enjeux.

J'ai conscience que ma réponse ne vous satisfera pas complètement, monsieur le député. Le principe reste la liberté, l'article 1er de la loi de 1986 commence par l'affirmation de la liberté de communication, mais si le législateur a produit une loi si précise et si longue, c'est bien pour marquer que la liberté de communication peut se retourner contre elle-même et que, pour être exercée sereinement et efficacement, elle doit respecter un certain nombre de principes qui procèdent de la préservation des droits d'autrui.

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