Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du jeudi 6 juillet 2017 à 9h30
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, mes chers collègues, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, la question que nous devons nous poser est simple : l'état d'urgence, mesure exceptionnelle et temporaire par essence, est-il encore si indispensable pour assurer la sécurité de nos concitoyens, qu'il nous faille le proroger pour la sixième fois ? Tel était d'ailleurs le sens de votre intervention, monsieur le ministre d'État. Si la question est simple, la réponse est, en réalité, bien plus compliquée qu'il n'y paraît, en dépit des explications que vous avez bien voulu nous donner. Car, au fond, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous devrions tous être partagés quant à l'état d'urgence et à sa prolongation.

En premier lieu, son efficacité est malgré tout contestable ; elle est devenue en tout cas assez marginale.

Le 14 novembre 2015, au lendemain de l'attentat au Bataclan, lorsque le Président de la République a décidé d'instaurer l'état d'urgence, la question ne se posait évidemment pas : cette mesure était absolument nécessaire. Elle a d'ailleurs été particulièrement efficace dans les premiers mois : grâce aux nombreuses perquisitions administratives et assignations à résidence, la plupart des réseaux terroristes alors existants ont été ébranlés. Ils ont souvent été découverts, des armes, de nature d'ailleurs très différente, ont été retrouvées et des attentats ont ainsi vraisemblablement pu être évités. C'est ce que j'ai désigné tout à l'heure par l'expression « coup de pied dans la fourmilière ».

Mais, vingt mois après sa mise en oeuvre, la question du maintien de l'état d'urgence se pose car son efficacité a plus que décru avec le temps. Une fois passé l'effet de surprise, les réseaux terroristes s'adaptent. Votre synthèse chiffrée de l'état d'urgence le démontre : au cours des six premiers mois, il y a eu près de 4 000 perquisitions administratives, 400 assignations à résidence et 500 interdictions de séjour ; au cours des six derniers mois, il y a eu 150 perquisitions, 70 assignations à résidence et 50 interdictions de séjour, soit jusqu'à dix fois moins qu'au début.

Pourtant, en parallèle, la menace terroriste n'a pas diminué. Au contraire, elle s'est fortement intensifiée, tous les gouvernements – vous l'avez vous-même fait aujourd'hui, monsieur le ministre d'État – l'ont rappelé aux Français, à juste titre. En témoignent les événements du 18 mars à l'aéroport d'Orly, du 20 avril sur l'avenue des Champs-Élysées, du 16 juin sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame ou encore du 19 juin, à nouveau sur les Champs-Élysées, sans oublier les attentats qui ont récemment frappé nos voisins britanniques, à Londres et à Manchester.

Oui, la menace est plus intense mais l'efficacité de l'état d'urgence décroît. Le bilan opérationnel de l'état d'urgence est désormais largement contrasté, ce qui devrait nous amener à nous interroger sur son efficacité, devenue relative.

Par ailleurs, nous sommes pour notre part préoccupés par la durée et le régime juridique de l'état d'urgence. Cela a été rappelé à plusieurs reprises et nous en avons tous parfaitement conscience : l'état d'urgence ne peut être un état permanent. Il y a un an, quelques heures avant l'attentat du 14 juillet à Nice, le Président de la République de l'époque avait lui-même fait part de son opposition à une nouvelle prorogation. Car c'est un régime qui permet la réaction de l'État face à une menace : prévu pour des actions à court terme, il n'est pas adapté à la lutte contre le terrorisme dans la durée.

L'article 1er de la loi du 3 avril 1955 le précise clairement : l'état d'urgence peut être déclaré face à un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ». Or, à l'évidence, ce péril n'est plus seulement imminent, il est désormais permanent. Et nous savons que, pour lutter contre une menace permanente, il faut des outils permanents et non pas des outils d'exception dérogatoires au droit commun comme ceux que nous subissons depuis vingt mois.

Pour notre part, lorsque François Hollande nous avait reçus au lendemain des attentats de novembre 2015, nous lui avions signifié que, si l'état d'urgence était nécessaire dans l'instant, il devait rester très temporaire : il fallait l'appliquer le temps d'adapter notre droit commun à une nouvelle menace qui, pour être exceptionnelle par sa gravité, ne pouvait être que durable.

C'est pourquoi, depuis le printemps 2016, je m'étais prononcé défavorablement sur les demandes de prolongation de l'état d'urgence. En effet, vos prédécesseurs avaient eu largement le temps d'ajuster notre arsenal juridique de droit commun à la menace, mais ils ne l'avaient pas fait sérieusement, courageusement et complètement.

Vous avez présenté, monsieur le ministre d'État, un projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui sera examiné à la rentrée prochaine dans cet hémicycle. Il vise à doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens juridiques de prévention et de lutte. Le régime de l'état d'urgence serait alors de nouveau réservé uniquement à des circonstances exceptionnelles, notre régime de droit commun nous permettant de lutter efficacement en temps normal.

Monsieur le ministre d'État, c'est parce que vous engagez enfin – ce dernier mot ne s'adresse pas à vous, qui venez d'être nommé – le travail que nous avions demandé dès novembre 2015 que nous voterons en faveur de ce projet de loi prorogeant l'état d'urgence, en sachant que cette prolongation sera très limitée dans le temps et en espérant naturellement que le calendrier fixé par le Gouvernement pour la discussion parlementaire permettra enfin l'adaptation législative nécessaire.

Je salue donc la volonté de l'exécutif, et nous prendrons toute notre part aux débats pour enrichir ce futur texte, qui, au regard de son ébauche et de ses grandes lignes, nous semble pouvoir et devoir être enrichi.

Un point de votre intervention et de celle de notre collègue Mme Vichnievsky doit retenir notre attention. Au cours de la période pendant laquelle l'état d'urgence a été appliqué, avez-vous dit, nous avons disposé de moyens qui ont permis de détecter des attentats que nous n'aurions pas pu détecter par la voie judiciaire. C'est naturellement celle-ci qu'il faut privilégier. Mais, si l'on tient ce raisonnement, on doit accepter que les moyens exceptionnels d'aujourd'hui soient intégrés dans les moyens judiciaires. Je le dis pour que les Français ne nous le reprochent pas demain. Vous nous avez dit que nous aurions pu détecter ces attentats mais que la voie judiciaire simple n'aurait pas permis de les éviter. Les Français ne pourront pas entendre un tel raisonnement au lendemain d'un attentat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.