Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 5 juin 2018 à 15h00
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Après l'article 40

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Madame la rapporteure, je ne doute pas que tout le monde fasse du mieux qu'il peut. Cela ne fait plaisir à personne d'expulser de pauvres gens. Nous le savons bien. Mais, pour avoir été élu local, je sais bien comment cela finit. À la fin des fins, quelqu'un passe entre les dents du peigne et se fait expulser avec sa famille. Nous avons tous connu cela. Les élus sont alors prévenus ; ils mettent leur écharpe ; vont faire du bruit devant la porte de l'intéressé ; et disent au commissaire qui s'est rendu sur place qu'il ne peut pas procéder à l'expulsion, parce qu'il y a un trouble manifeste de l'ordre public. Comme vous connaissez le commissaire, en tant qu'élu local, celui-ci vous regarde et vous dit que c'est vous, le trouble à l'ordre public. Il arrive un moment où c'est l'impasse.

On ne peut pas se contenter de dire que l'on a fait tout ce que l'on a pu. Si nous avions fait tout ce que nous pouvions et qu'il y avait, malgré tout, 3 000 personnes dans la rue, c'est que nous n'avons pas la solution. Il faut en amorcer le cycle. Nous ne disons pas que notre solution est la bonne idée qui réglera définitivement le problème. Mais si vous imposez de reloger quelqu'un qui a été expulsé, vous amorcez un cercle vertueux. L'élu local, confronté à cette obligation, fera une demande de réquisition au préfet, qui fera réquisitionner des surfaces vides. En s'en remettant à la seule bonne volonté, on obtient le résultat qui est sous nos yeux.

J'ai vécu assez longtemps pour m'étonner de ce que je vois. Du temps où j'étais gamin, dans un pays qui était fort pauvre à l'époque, il y avait une ou deux personnes qui dormaient en bas, dans la rue. Lorsque nous avons été rapatriés, ce qui nous a frappés, sur la terre de France, c'est que personne ne dormait dans la rue, ni ne mendiait. Vous me direz que nous avions peut-être un regard biaisé et que nous ne voyions pas les bidonvilles.

Aujourd'hui, dans mon boulevard, il y a une vieille dame qui dort sur un matelas devant une banque en rénovation et, un peu plus loin, deux gars installés sur des cagettes et des journaux. Que faisons-nous ? Ce que nous pouvons, nous aussi. Une fois, c'est une pièce ; une autre, un mot amical ou un sourire. Mais ce n'est pas dans ces conditions-là que nous voulons vivre. Que devons-nous faire ? Téléphoner ? Mais pour appeler qui ? On m'a répondu une fois – c'était le comble ! – qu'ils ne voulaient pas partir et que cela ne servait à rien de discuter. Mais renseignez-vous auprès de ceux qui s'occupent des gens dans la rue ! Un homme qui reste un an dans la rue mettra deux ans à être resocialisé, à réapprendre tous les circuits par lesquels passent le logement et les autres aspects de la vie en société. Le mal-logement est destructeur et extraordinairement coûteux pour la société.

Et puis… je le dis, parce que nous pouvons dire ces choses à l'occasion d'un débat parlementaire : que faites-vous, quand vous passez avec votre gosse à la main, cet enfant auquel vous essayez d'apprendre la morale et les bonnes manières, à qui vous dites, quand vous lui servez son assiette, de ne pas regarder dans l'assiette de son frère ou de sa soeur, mais de s'occuper de lui-même, soit de partager ? Que faites-vous, quand il vous demande dans la rue pourquoi on ne fait rien pour cette personne, pourquoi on ne lui dit rien ? Que devons-nous faire ? Non seulement nous nous endurcissons au spectacle de la violence que représente cet abandon, mais nous éduquons à l'indifférence à cette violence, bon gré mal gré. Si je n'en rends personne coupable dans l'hémicycle, nous avons tous cette expérience intime.

Débrouillez-vous, c'est vous qui gouvernez ! Pardon, monsieur le ministre, mais supposez que ce soit moi, on me dirait de même : « Débrouille-toi ! Si tu es là, c'est à toi de trouver la solution ! » On ne peut pas accepter que des gens soient dans la rue à se désocialiser, à grelotter de froid quand il fait très froid, de fièvre quand il fait très chaud, à faire leurs besoins entre les voitures, à chercher de l'eau potable, parce qu'il n'y a plus de fontaines dans nos villes, des bains-douches, qui ont disparu de nos villes, pour avoir un minimum de dignité humaine. C'est de tout cela dont nous parlons, pas seulement d'une quantité de gens à la rue, mais de la disparition de la dignité d'un être humain, à laquelle nous sommes indifférents. Je voulais à tout prix le dire, parce que, ce soir, quand je vais rentrer chez moi et que je vais revoir cette femme sur son matelas, en me faisant le reproche de ne pas en avoir un à lui proposer chez moi, je me dirai qu'au moins j'ai fait cela, et que je suis sûr que la plupart d'entre vous pensent exactement comme moi à cet instant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.