Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Il évoque les enjeux, d'une part, d'une utilisation du téléphone portable conduit vers un usage encadré, essentiellement réservé aux activités pédagogiques, et, d'autre part, de l'éducation des élèves à un usage responsable du numérique.

Permettez-moi, chers collègues, un petit rappel historique de la part du professeur de mathématiques que je fus dans une autre vie. Lorsqu'en 1971, les premières calculatrices électroniques sont apparues et ont progressivement envahi le marché, le premier réflexe fut de les interdire en classe. On craignait que les enfants ne sachent plus calculer et que les calculettes ne deviennent des objets de discrimination, avantageant ceux qui en possédaient une. Puis, progressivement – j'étais alors formateur à la MAFPEN, la mission académique à la formation des personnels de l'éducation nationale – , ce fut l'occasion d'imaginer des méthodes pédagogiques innovantes, surtout après l'avènement des calculatrices programmables. Plutôt que d'interdire, on utilisa les nouvelles possibilités offertes et, dans les petites classes, on força un peu plus sur le calcul mental. On adapta les sujets d'examen et on montra aussi les limites de ce nouvel outil, ce qui permit de développer le raisonnement et l'esprit critique des élèves. Ce fut l'occasion de redécouvrir les calculatrices mécaniques ou d'aborder la suite de Fibonacci sous un nouvel angle. Bref, d'une interdiction initiale, on a ouvert de nouveaux horizons pédagogiques. Pour le téléphone portable et les objets connectés en tout genre, ce sera pareil.

Pour autant, sommes-nous plus avancés avec les trois articles issus des travaux de la commission ? Non ! L'article L. 511-5 est parfaitement opérant aujourd'hui. Le problème n'est pas le téléphone portable mais l'usage qu'on en fait. Je pensais que la mission d'information sur l'école dans la société du numérique, dont les travaux sont en cours et dont le rapporteur n'est autre que le président Studer, devait déboucher sur une vraie loi sur le numérique à l'école ou, mieux, sur l'école à l'ère du numérique. La rapporteure nous a expliqué qu'il n'y avait pas d'autre texte prévu à l'automne mais que le sien était « le premier étage d'une fusée ». La fusée décollera-t-elle après les conclusions de la mission d'information ? Nous verrons bien !

Le groupe Les Républicains considère que l'utilisation des téléphones portables et, d'une manière générale, des objets connectés, doit faire l'objet d'études approfondies, ce qui n'est pas le cas à ce jour. Des études sérieuses sur la santé – domaine vaguement mentionné dans le rapport – devront être menées. L'addiction des jeunes aux écrans et smartphones et la connexion aux réseaux sociaux sont de réelles préoccupations. Avant de légiférer et d'aller plus loin, nous pensons qu'il faut prendre un maximum de précautions, confronter et conforter les bonnes pratiques pour éviter des conséquences qui pourraient être préjudiciables sur le plan éducatif ou de la santé publique.

Pourquoi le moment de légiférer n'est-il pas venu ? Parce que l'article L. 511-5 suffit pour le bon fonctionnement de nos écoles et collèges. Après une petite enquête réalisée dans ma circonscription, je peux affirmer que le téléphone portable n'est pas un problème dans la très grande majorité de nos écoles primaires : quelques photos volées sont à déplorer mais, globalement, l'interdiction du téléphone, en tant qu'objet de valeur, est respectée. L'IEN – l'inspecteur de l'éducation nationale – du secteur n'a d'ailleurs jamais été interpellé à ce sujet. La situation est différente au collège. Quelques cas d'interdiction totale sont à relever mais, de manière assez générale, le téléphone n'est pas interdit en tant que tel : il doit seulement rester éteint et non visible ; l'utilisation est souvent possible en présence d'un adulte.

Voici un extrait de l'article 1er du règlement intérieur d'un collège. « L'utilisation du téléphone portable est expressément interdite pendant les périodes d'enseignement, dans la cour de récréation, durant les trajets EPS ainsi que dans quelque bâtiment que ce soit. L'enregistrement de sons, de photos ou de vidéos (à l'aide d'appareils photographiques, numériques ou de téléphones portables) est strictement interdit dans l'établissement. Les mises en ligne d'enregistrements sonores, d'images, de photos ou de vidéos d'élèves, de professeurs ou de tout autre personnel du collège, sans consentement de la personne visée, de messages à caractère injurieux, diffamatoires, insultants, violents (y compris sur internet), seront sanctionnées par l'établissement. Elles feront également l'objet de signalement à la justice, laquelle se réserve la possibilité de poursuivre les parents. La sonnerie du téléphone en cours, en permanence ou dans les bâtiments fera également l'objet d'une sanction et de la confiscation du téléphone. Ce sera alors à la famille de venir le récupérer à l'administration. » Ce règlement intérieur traite ensuite de la perte, du vol, des baladeurs ou des objets dangereux.

Monsieur le ministre, votre vade-mecum sera certainement très utile. Il existe toutefois un excellent document intitulé « Document d'aide à la rédaction du règlement intérieur », émanant du bureau juridique de la vie scolaire de la DAAFCES – la direction académique des affaires financières, appui et conseil aux établissements et services. Il s'appuie évidemment sur l'actuel article L. 511-5 en vigueur. Une rubrique est consacrée à l'usage de certains biens personnels – téléphones mobiles ou smartphones. On y précise qu'un règlement intérieur ne peut prévoir d'interdiction générale et absolue : l'usage des téléphones portables, baladeurs ou autres objets ne peut être interdit dans l'établissement ; il peut seulement être réglementé.

La confiscation n'est pas une mesure illégale mais doit être entourée de précautions. Elle doit avoir une durée limitée dans le temps et ne peut être assimilée à une sanction. Comment cela se passe-t-il concrètement ? J'ai rencontré un principal qui a su s'entourer de personnes ressources, y compris de conseils juridiques, avant d'élaborer le règlement intérieur de son collège. Il y a eu débat avant l'adoption de ce règlement en conseil d'administration. Un groupe de travail a d'abord décliné tout ce qu'on pouvait faire avec un téléphone portable et s'est interrogé sur la façon de l'utiliser intelligemment. Il est parti de l'axiome selon lequel, le téléphone portable étant un objet privé, il est hors de question de le confisquer, sauf dans certains cas, sur lesquels je reviendrai.

Ainsi l'usage du téléphone portable est-il limité. Un élève peut à tout moment aller au bureau de la vie scolaire pour utiliser son portable personnel en présence d'un adulte. Le téléphone mobile est interdit dans la cour de récréation, afin de lutter contre l'isolement des enfants qui 1'utiliseraient constamment et plus ou moins en cachette. Toujours en présence d'un adulte, il est permis à des élèves en difficulté, dyslexiques ou dyspraxiques, malvoyants ou malentendants, d'utiliser le téléphone portable pour photographier, par exemple, le tableau en cas de difficultés de recopiage. L'élève peut ensuite aller au secrétariat pour procéder à une impression, ce qui lui permettra de disposer d'un document papier personnel. De même, il est possible d'enregistrer une séquence dans un cours de langue ou, dans le cadre de groupes participatifs, de filmer des chorégraphies durant le cours d'éducation physique et sportive, aux fins d'exploitation pédagogique. Un élève peut demander l'autorisation de photographier un copain qui joue, par exemple, au handball, mais toujours en présence d'un adulte.

J'ajoute que, pour éviter toute discrimination, le collège s'est doté d'une flotte de six téléphones portables, notamment pour qu'un enfant puisse appeler ses parents ou se faire appeler par eux, ou pour qu'il puisse leur envoyer un SMS, et qu'il a doté son CDI – centre de documentation et d'information – de dix-sept tablettes, également utilisables par les classes mobiles, et de deux appareils photographiques, mis à disposition des élèves. La wifi est partout, avec 127 prises filaires et la connexion à internet possible dans tout l'établissement. Merci au conseil départemental ! Il n'y a pas de casiers de rangement, qui pourraient poser des problèmes de sécurité ou de surveillance.

Il convient enfin de noter que, dans ce collège, dès la classe de sixième, tous les élèves bénéficient d'une sensibilisation aux dangers des réseaux et des images violentes et que le sujet du harcèlement y est clairement abordé, en quatrième et en troisième, avec les adolescents.

Tout est-il pour autant parfait dans ce collège de 400 élèves ? Évidemment non : le principal déplore en moyenne un cas par semaine de non-respect des règles. Lorsqu'un élève est pris sur le fait d'une utilisation frauduleuse de son téléphone portable, il est immédiatement convoqué par la direction. L'élève retire lui-même la carte SIM, qu'il conserve, et met son portable dans une enveloppe qui est cachetée devant lui. Le principal ou la personne représentant l'autorité ne touche donc le téléphone à aucun moment, et l'enveloppe est rangée au coffre du collège. Les parents ou le représentant légal sont immédiatement avertis que, par exemple, à dix heures vingt-deux, le téléphone de leur enfant a été mis en sécurité et qu'ils peuvent venir le récupérer.

Pour un fonctionnement optimal de l'établissement, un comportement exemplaire des adultes est requis. Les enseignants n'utilisent leur téléphone portable qu'en salle des professeurs. Il convient également de noter que, dans ce collège, parents, élèves et professeur principal signent en début d'année une charte des règles de civilité du collégien. On peut y lire qu'il faut respecter l'interdiction d'utiliser son téléphone portable pendant les cours et les activités éducatives et qu'il est interdit de l'utiliser pour filmer et diffuser des images portant atteinte à la dignité des personnes.

De même, chaque élève signe une charte d'utilisation de l'internet, dans laquelle on peut lire, entre autres engagements : « Je ne navigue pas sur des sites de vente, de jeux ou de "chat". Je respecte la loi protégeant les mineurs. Je ne me connecte pas à des sites violents, pornographiques, racistes, contraires aux droits de l'homme ou interdits aux mineurs. » Tout cela est rendu possible par l'article L. 511-5 en vigueur.

Quels sont les faits délictueux qui remontent dans les académies ? J'imagine, monsieur le ministre, que vous en connaissez certains. Ce sont des cas de cyberviolence, souvent à caractère sexuel, et de cyberharcèlement corrélés à l'utilisation détournée des réseaux sociaux. Or les trois articles de cette proposition de loi n'y changeront rien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.