Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

La majorité nous présente ce matin un texte relatif à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges. Nous le jugeons, nous aussi, inutile et ne comprenons pas son inscription à l'ordre du jour – mais il semble que nous ne nous comprenions pas.

Cette proposition de toi est inutile car, comme nous le disons depuis bientôt deux heures, l'usage du téléphone portable en classe est déjà réglementé. L'article L. 511-5 du code de l'éducation, que tout le monde a évoqué, dispose en effet : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l'utilisation durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d'un téléphone mobile est interdite. » Cette disposition adoptée en 2010, dans le cadre de la loi Grenelle 2, s'inscrivait alors dans une démarche de protection de la santé publique, afin de réduire l'exposition des enfants aux ondes électromagnétiques émises par les appareils radioélectriques. Depuis lors, nous avons effectivement tous pu observer à quel point les risques étaient grands et comment l'usage intensif du téléphone portable entraînait des problèmes relationnels, des troubles de la concentration, de la mémorisation et des apprentissages, et complexifiait encore la réalité pédagogique vécue par nos enseignants. C'est un fait : tous ces usages créent de l'isolement, ce contre quoi nous essayons de lutter. C'est probablement pour cela qu'environ la moitié des collèges ont déjà inscrit dans leur règlement l'interdiction du portable en classe voire dans tout ou une partie de la cour de récréation.

Dans le but d'améliorer le climat scolaire, vous souhaitez inverser la logique qui prévaut dans le droit en vigueur : à la place d'un principe d'autorisation, assorti d'exceptions, le texte propose un principe d'interdiction, accompagné d'exceptions. Vous conviendrez que ce changement est purement cosmétique, ou rhétorique, et qu'il ne donne aucun outil pratique aux chefs d'établissement, aux équipes et aux enseignants pour se débrouiller au quotidien des innombrables situations conflictuelles créées par la « percée [… ] fulgurante » – comme il est écrit dans le rapport – du téléphone portable et ses utilisations addictives.

Nous pensons que votre proposition de loi est inutile car, comme c'est déjà le cas actuellement, il reviendra à l'équipe dirigeante de chaque établissement de préciser, dans son règlement intérieur, les lieux d'interdiction et les sanctions, et surtout de mettre en oeuvre les modalités pratiques de cette interdiction. Ce n'est pas avec le principe que se battent les adultes inlassablement dans nos établissements mais bien avec les difficultés de le mettre en oeuvre, de le faire accepter et respecter par les élèves et souvent même par les familles. Car l'usage des téléphones et des écrans nous interroge tous sur nos propres contradictions. Ancienne professeure en lycée professionnel, je connais la difficulté à faire pénétrer des pratiques pédagogiques nouvelles tout en garantissant la sérénité sur le lieu d'enseignement.

Ainsi, ce texte ne règle en rien les problèmes logistiques auxquels sont confrontés les établissements. Actuellement, a minima, il est demandé à ce que le portable soit enfermé dans un sac à dos ou un cartable, règle difficile à faire respecter. A maxima, il est interdit d'apporter le téléphone à l'école, règle qui peut poser problème pour des collégiens dépendant des transports scolaires et qui est loin d'être admise par les parents eux-mêmes, souvent connectés à leur téléphone du matin au soir.

Vous avez également évoqué, monsieur le ministre, la possibilité d'installer des casiers dans lesquels pourront être déposés les téléphones au début des cours. Mais imaginons un collège de 1 000 élèves : par exemple, dans celui que ma fille fréquentait, à Tournon-sur-Rhône, le chef d'établissement devait déjà gérer au quotidien la problématique des casiers pour les livres et les sacs, insuffisants en nombre, régulièrement dégradés, ingérables pour les surveillants. Va-t-on demander aux élèves de mettre leur téléphone dans une boîte en arrivant au collège ? Comment faire pour les stocker, les sécuriser, les différencier puis les restituer à leur propriétaire à la fin des cours ? Qui, dans l'établissement, et avec quelle dotation horaire supplémentaire, sera chargé de ce suivi, alors que les surveillants sont déjà en nombre insuffisant pour assumer leurs tâches au quotidien ?

De plus, si la confiscation est autorisée à titre préventif dans les écoles, elle l'est seulement pour les objets dangereux, ce qui n'est pas le cas des téléphones, en tout cas pas tant que les pouvoirs publics n'auront pas redéfini de nouvelles priorités en matière de risques sanitaires. Enfin, si le règlement intérieur prévoit une confiscation comme punition, celle-ci risquera être annulée par la justice administrative si elle dépasse une certaine durée, au motif qu'elle va à l'encontre du droit de propriété. Voilà une précision précise et concrète à laquelle vous n'apportez pas de réponse nouvelle.

Cependant, vous souhaitez aller encore plus loin, un amendement proposant d'étendre l'interdiction du téléphone portable aux professeurs. S'il est adopté, l'ensemble de la communauté éducative dans les écoles et les collèges aura l'interdiction d'utiliser son téléphone portable dans les établissements si ce n'est dans « des lieux où, dans les conditions qu'il précise, le règlement intérieur l'autorise expressément ». Vous justifiez cela par la nécessité de « renvoyer à nos jeunes une image d'exemplarité ».

Ce serait un acte de défiance vis-à-vis de la communauté éducative. Placer des professeurs et des adultes au même régime que des élèves mineurs renforce la confusion des rôles de chacun. Dans un établissement, chers collègues, l'exemplarité ne consiste pas à mettre les adultes sur le même pied que les enfants ou les adolescents. Les règlements sont faits pour définir les droits et devoirs de nos élèves. Ce qui dicte la conduite de nos enseignants, au-delà de l'engagement qu'ils prennent en devenant fonctionnaires est leur propre engagement moral, la conscience que tous ont de l'importance de leur mission auprès des jeunes, le sens qu'ils donnent au respect des règles de vie et qu'ils essaient de faire partager à leurs élèves.

D'ailleurs, sommes-nous exemplaires, en tant que parlementaires, lorsque nous avons les yeux rivés sur nos téléphones plutôt que sur les orateurs de cette assemblée ? Le sommes-nous, en tant que parents, lorsque, par épuisement ou négligence, nous dérogeons à nos propres consignes régissant le vivre ensemble familial et baissons les bras sur la sacro-sainte injonction « pas de téléphone à table » ? Je n'en suis pas si sûre.

De plus, s'il était adopté, cet amendement poserait un problème de sécurité dans les établissements. Cela reviendrait en effet à priver les chefs d'établissement, les CPE – les conseillers principaux d'éducation – et leurs équipes de la possibilité de recourir à l'usage du téléphone dans des cas où la sécurité est en jeu, dans des circonstances plus ou moins graves et où le téléphone portable est un outil de travail.

C'est évidemment bien plus du bon usage, d'un usage raisonné du téléphone portable, sur lequel il nous faut travailler et faire réfléchir nos élèves. Si nous pouvons vous rejoindre sur la nécessité d'aider les jeunes à lutter contre l'addiction au portable et à tout ce que cela entraîne comme appauvrissement des relations humaines, comme risque de harcèlement et d'atteinte à l'intégrité psychique des enfants, nous ne souhaitons pas, une fois de plus, faire porter à l'école la responsabilité des dérives de notre société.

À l'heure de la dématérialisation généralisée de nos services et de pans entiers de nos pratiques – vous la soutenez, par ailleurs, dans de nombreux domaines – , votre texte demande aux établissements de fonctionner hors des réalités quotidiennes, sans pour autant permettre que l'interdiction posée comme un principe puisse être mise en oeuvre.

Le rôle et la place des parents dans l'architecture scolaire ; l'utilisation du téléphone portable, ainsi que le développement d'un usage pédagogique et de nouvelles façons d'enseigner en lien avec le rôle émancipateur de l'école ; ces nouvelles dépendances, que nous dénonçons tous mais dont nous sommes aussi responsables en tant qu'adultes et éducateurs ; les inégalités sociales que cette utilisation peut engendrer : toutes ces questions de société absolument essentielles méritent d'abord une réflexion profonde, un débat de fond, et ensuite seulement des mesures législatives ou réglementaires prises en concertation avec l'ensemble de la communauté éducative.

Pour conclure quand même, chers collègues, le président de notre assemblée demandait mardi au Gouvernement de « mettre de l'ordre » dans l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous venons en effet de siéger deux week-ends consécutifs, notre séance de ce jeudi interrompt le projet de loi ELAN pendant son examen et nous allons siéger toute la semaine prochaine sur la réforme de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'assurance chômage. C'est dire si l'agenda parlementaire est suffisamment chargé pour ne pas venir l'encombrer par une proposition de loi peu utile, …

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