Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de rejet préalable (proposition de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Désormais, une information en chasse une autre. Il faut être « dans le coup » ou disparaître. Il n'y a plus le temps pour les contre-enquêtes sérieuses – ni l'argent, d'ailleurs. Il est fréquent que les journalistes ne disposent que de quelques heures pour développer un argumentaire sur un sujet qu'ils découvrent le jour même. La majorité des médias commentent les événements selon la même grille d'analyse et une poignée d'experts répètent inlassablement la même litanie libérale dans les colonnes de nos journaux et sur tous les plateaux de télévision et de radio ayant les plus grandes audiences.

La diversité des points de vue n'existe pas quand la plupart des grands médias prennent ouvertement position en faveur de la réforme ferroviaire proposée par le Gouvernement et font preuve d'une hostilité certaine envers les mobilisations sociales actuelles. Les experts se succèdent pour expliquer que la réforme est inéluctable, qu'elle permettra l'amélioration du service public et que les privilèges des cheminots ont creusé la dette vertigineuse de la SNCF. Parallèlement, les opposants au projet n'ont pas la possibilité de développer leurs arguments, ils sont systématiquement malmenés sur les plateaux, on les accuse d'être des preneurs d'otages et on leur reproche de paralyser le pays.

Pouvons-nous parler de « manipulation médiatique » ou devons-nous simplement déplorer l'uniformisation des points de vue ? Ce qui est certain, c'est que des cas de manipulation existent. Ces manoeuvres prennent la forme de discours tronqués et de choix opérés dans la sélection des images et dans la présentation des faits. Il nous faut admettre ce constat que le pluralisme des médias n'est pas un fait établi et que, dans l'ensemble, nous vivons en état d'« insécurité informationnelle », pour reprendre l'expression d'Ignacio Ramonet.

L'information-spectacle prend souvent le pas sur le récit et l'analyse rigoureuse des événements. La mise en scène et le soin apporté à l'image remplacent alors l'authenticité et l'exactitude des faits rapportés. Nous devrions tous déplorer que la marchandisation de l'information se soit opérée au détriment de sa fonction civique. Était-ce si invraisemblable que personne n'ait su l'anticiper ?

Au royaume des images qui se succèdent en cadence, il n'y a de place ni pour les idées abstraites, ni pour la mémoire. Désormais seuls les chiffres de l'audimat comptent, comme l'illustre cet extrait d'un entretien avec l'ancien PDG du groupe TF1, paru en 2004 dans un ouvrage intitulé Les dirigeants face au changement : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective « business », soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. »

Reconnaissez, mes chers collègues, que dans ce contexte, la pertinence et la fiabilité des informations ne sont pas garanties, puisque l'objectif poursuivi par les entreprises de la presse et de l'audiovisuel n'est plus d'informer convenablement la population, mais de vendre des créneaux publicitaires à des annonceurs.

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