Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 21h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Je voudrais vous dire ma gêne, mon embarras, et surtout mon inquiétude.

De la dernière présidentielle, il est ressorti – c'est du moins ce qu'ont dit certains – qu'un pays étranger, la Russie pour ne pas la nommer, et les médias qu'elle contrôle ont tout fait pour peser sur le résultat de ce scrutin. Quitte, nous dit-on, à diffuser des fausses informations, à faire de la désinformation. Plus personne ne sait exactement à quoi il est fait référence, mais peu importe.

Pourtant, me semble-t-il, Emmanuel Macron a bien été élu et rien ne prouve que les informations émanant de Russia Today ou Sputnik, puisqu'il s'agit d'eux, aient pesé sur le vote de nos concitoyens. Contrairement, permettez-moi de le relever, à la procédure pénale contre François Fillon en pleine campagne électorale qui a, en revanche, magistralement servi le candidat Macron… Passons, une fois de plus.

Nous voilà donc, à partir de ce constat, entaché, vous en conviendrez, de quelques partis pris, sommés de prendre illico les mesures qui s'imposeraient pour que nos concitoyens n'aient plus sous leurs yeux innocents des informations, disons plutôt des « allégations » « dépourvues d'éléments vérifiables de nature à les rendre vraisemblables ».

Lénine, puisque nous parlons de la Russie, expliquait qu'il fallait « forcer à être libres » ces pauvres masses qui, décidément, ne comprenaient rien à rien, et avaient donc besoin d'être remises sur le bon chemin. Il y a, au fond, avec cette loi, cette même tentation de dire, de décréter, d'imposer, à la place de ces benêts de citoyens, ce qui est acceptable et ce qui doit être interdit, ce qui doit être tu…

Ailleurs qu'ici, on dénoncerait une censure inacceptable… Chez nous, je parlerais plus volontiers d'une vision « hygiéniste » de l'information. Il faudrait, d'urgence, purifier, se débarrasser de toutes ces scories, tordre le cou à tous ces mensonges.

En voilà de bonnes intentions ! Mais qui donc sera chargé de faire ce tri, de faire ce ménage ? Qui nous dira ce qu'on a le droit de dire ? Mais l'État, bien sûr, ou des structures qu'il a mises en place, comme le CSA, dont chacun sait qu'il est à l'abri des pressions, imperméable à l'air du temps et pas le moins du monde politisé.

On en sourit, parce que des mensonges, des fausses informations, des bobards, il y en a eu de tout temps. Et ce n'est pas parce qu'on les rebaptise « fake news» que nous avons affaire à une nouveauté qui nécessiterait une nouvelle loi. Puis-je vous rappeler que la loi sur la presse de 1881 nous en donne les moyens ?

Immédiateté d'Internet, puissance des réseaux sociaux, me répondra-t-on. Mais quand, à la une de toutes les télévisions du monde, on a vu, souvenez-vous, Colin Powell, à la tribune des Nations unies, mentir effrontément pour justifier ce qu'il faut bien appeler l'invasion de l'Irak, on se demande ce qu'il y a de nouveau qui puisse justifier cette proposition de loi.

Non, je ne veux pas mettre entre les mains de qui que ce soit mon droit de me faire une opinion. Or, c'est ce que vous vous apprêtez à faire, ne vous en déplaise.

Si une telle loi arrivait sur le bureau de parlementaires d'un pays épinglé par Reporters sans frontières, chacun ici dénoncerait un stratagème visant à faire taire les opposants, à étouffer toute critique. L'instauration d'une véritable police de la pensée.

La différence avec ces pays autoritaires ? Là-bas, c'est au nom de l'ordre public ou de la sécurité nationale des États qu'on muselle la presse. Ici, c'est au nom de la morale ou des bons sentiments qu'on risque, ou qu'on rêve, de criminaliser certaines opinions.

Mais avec la bénédiction de Bruxelles, j'en conviens ! N'est-ce pas un rapport du 20 mars 2015, suivi d'une résolution du Parlement européen du 14 octobre 2016, qui enjoignait les États membres à « combattre activement, de manière préventive et coopérative, les opérations d'informations hostiles menées sur leur territoire » ? Nous y sommes. M. Macron, en bon petit soldat, s'est empressé de satisfaire aux exigences de ses maîtres bruxellois.

Les idées les plus choquantes doivent pouvoir être débattues… pour être mieux combattues. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la Cour européenne des droits de l'homme, cette même Cour qu'on cite si souvent dans cet hémicycle, mais seulement quand elle va dans le sens souhaité…

Alors, histoire de nous rassurer, on nous expliquera que ces mesures ne concerneront que les périodes préélectorales. Mais qui nous le garantit ? S'il y a mensonge et gros mensonge, pourquoi ne pas imposer, demain, les mêmes règles tout au long de l'année ?

« Rien n'est sacré. Aucune idée, aucune opinion, aucune croyance ne doit échapper à la critique, à la dérision, au ridicule, à l'humour, à la parodie, à la caricature, à la contrefaçon » écrit le philosophe situationniste Raoul Vaneigem.

Cette fois, celui qui fut l'un des inspirateurs de mai 1968 a raison. C'est le prix de la liberté.

1 commentaire :

Le 13/06/2018 à 09:35, Laïc1 a dit :

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"De la dernière présidentielle, il est ressorti – c'est du moins ce qu'ont dit certains – qu'un pays étranger, la Russie pour ne pas la nommer, et les médias qu'elle contrôle ont tout fait pour peser sur le résultat de ce scrutin."

Il y a eu un cas particulier aux USA, donc on va faire une loi générale en France...

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