Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Ce n'est pas parce qu'un matériel est ancien qu'il n'est pas de bonne qualité. Souvent, la deuxième question qu'on me pose lors des tables rondes en régiment est de savoir quand nous disposerons du fusil d'assaut HK 416. Or le HK 416 non doté de ses aides à la visée est moins performant que le FAMAS Félin. Le FAMAS représente certes un coût de soutien mais il reste une très bonne arme, l'une des meilleures au monde. Quand le HK 416 sera « félinisé », nous pourrons avancer qu'il sera une meilleure arme, et moins coûteuse, que le FAMAS Félin.

Autrefois, on pouvait planifier l'usure du matériel ; or un phénomène nouveau est apparu : la nécessité de régénération des matériels. Certains sont en effet détruits en opération : c'est le cas de 79 véhicules depuis que je suis chef d'état-major de l'armée de terre, dont 36 véhicules de l'avant blindés et 11 véhicules blindés légers (VBL)– davantage que la dotation d'un régiment. L'usure prématurée des matériels et leur destruction impliquent un décalage des modèles de maintien en condition opérationnelle : on est passé d'un simple maintien de la disponibilité technique à une combinaison de régénération et de disponibilité technique. Ainsi, après douze ou dix-huit mois passés au Mali, un VAB doit être renvoyé en France pour y être reconstruit. Les limites de la régénération sont financières et humaines : de quelle capacité dispose-t-on sur les chaînes étatiques et industrielles pour remettre en condition le matériel en question ?

Peut-on accélérer le programme Scorpion ? La réponse est entre les mains des industriels qui ont besoin de visibilité horizontale. Or si on leur annonce une réduction de la reconstruction des VAB et une accélération du programme Scorpion, il leur faudra modifier leurs chaînes, les ouvriers devant s'adapter en conséquence – d'où toute l'importance de la loi de programmation militaire. Souvenez-vous de la polémique, l'année dernière, sur le remplacement de la P4, véhicule construit en coopération avec les Allemands il y a quarante ans. Aussi étrange que cela paraisse pour un véhicule militaire : il rouille. Reconstruire une P4 représente 300 heures de travail pour un coût de 27 000 euros. Or, avec cette somme, vous trouvez aujourd'hui sur le marché des véhicules 4x4 de meilleure qualité. À la question de savoir si un constructeur français pouvait rapidement pourvoir au remplacement des P4, la réponse a été négative et les constructeurs nous ont dit qu'ils avaient besoin d'une visibilité d'au moins cinq ans. Le ministre Jean-Yves Le Drian a dû expliquer à la représentation nationale pourquoi nous ne pouvions, dès lors, acheter français : il était impératif de changer ces véhicules car il était décalé de reconstruire les vieux. Nous n'avons du reste acheté que le strict minimum de matériels destinés à compenser le ferraillage des P4.

J'en viens à l'opération Sentinelle et à son avenir. Les 11 000 hommes supplémentaires accordés à l'armée de terre par l'actualisation de la LPM en 2015 ont permis de faire face, dans la durée, à un accroissement des sollicitations opérationnelles sur le territoire national, en opérations extérieures et à l'entraînement.

Quel que soit l'avenir de Sentinelle, je pense que nous n'échapperons pas à un déploiement militaire sur le territoire national sur des sites particuliers. Quand je me rends auprès des soldats engagés dans l'opération Sentinelle, j'interroge longuement les gens du quartier, parfois les touristes… et, dans un endroit fréquenté chaque année par 12 millions de visiteurs – Paris a retrouvé son taux de fréquentation d'avant les attentats –, je constate que la présence militaire rassure les gens. Les Français, dans la rue, me disent, très lucides : « Nous savons bien, Mon général, que ce n'est pas l'opération Sentinelle qui nous protégera mais, grâce à elle, nous aurons peut-être une chance de nous en sortir. »

On n'échappera pas, je le pense, à la présence de quelque 3 000 hommes répartis sur des points clefs de Paris comme la Tour Eiffel, le Louvre… Ensuite, il faut 3 000 hommes en réserve pour monter en puissance en cas de coup dur, n'importe où en France. Enfin, je souhaiterais qu'une troisième fraction de 3 000 hommes, aujourd'hui encore déployés, soit consacrée à l'anticipation. J'entends que l'on travaille sur les scénarios de crise – tels que définis par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – comme les prises d'otages de masse, les risques industriels, les risques bactériologiques. Ce n'est pas anxiogène pour les Français qui sont capables de comprendre qu'en nous y préparant, nous nous préparons à assurer leur sécurité.

Pour me résumer sur ce point : 3 000 soldats de l'armée de terre devraient être déployés, 3 000 en réserve et 3 000 autres se consacrer à l'anticipation. Cette dernière implique d'autres formes de présence sur le territoire national. De nombreux élus me demandent en effet « où sont nos soldats ? » Ils s'entraînent dans les camps ; mais un peu de présence militaire serait appréciable dans de nombreux endroits en France. Demandez aux habitants du Larzac s'ils sont mécontents de voir les gars de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère crapahuter, la nuit, sur le terrain. Pas du tout. Tout le monde pensait que les riverains protesteraient, alors qu'ils sont ravis de savoir que des soldats, la nuit, assurent ainsi, d'une manière indirecte, une forme de sécurité territoriale.

Pour ce qui concerne la garde nationale, je vous ne mentirai pas : on doit à son sujet davantage parler encore de restructuration que de grande réforme et je comprends que les réservistes n'aient pas vu au quotidien la différence. On a construit une structure reposant sur deux piliers : un pilier « défense » et un pilier « intérieur ». L'intérêt de la garde nationale est de rendre les réserves plus cohérentes dans leur mode de recrutement, pour ce qui touche aux équipements, aux sites de projection, à l'administration, à la notation… éléments qui jusque-là étaient sans doute trop compartimentés. Vous avez en tout cas raison de considérer que le changement a davantage concerné les structures que la substance.

Nos hélicoptères, quant à eux – ceux construits par Airbus Helicopters, le Tigre, le Caïman –, sont, il faut le dire, extraordinaires. Or, comme les avions, ils ont des problèmes de jeunesse qui durent. Il a fallu plus de dix ans pour que le Rafale parvienne à maturité, de même pour le Tigre. Nous avons un problème d'immobilisations – elles sont beaucoup trop longues – sur les chaînes d'Airbus Helicopters. Je me suis rendu moi-même à Marignane il y a quinze jours pour constater qu'il était absolument nécessaire d'accélérer le rythme, le président d'Aibus Helicopters s'étant engagé auprès de moi à livrer à l'armée de terre les 27 hélicoptères prévus initialement pour 2017. Il faut en effet bien avoir présent à l'esprit qu'un hélicoptère est autrement plus perfectionné qu'un simple véhicule. Sur les 300 hélicoptères dont nous disposons, nous devrions en avoir en permanence 150 à même de voler, auxquels on doit en ajouter 50 en cas de crise ; or seuls 100, aujourd'hui, volent (en unité, en école, en expérimentation ou en opérations) – il en faut donc 50 de plus. Nous n'avons jamais annulé d'opération extérieure par manque d'hélicoptères mais la disponibilité exceptionnelle en OPEX pèse sur l'entraînement des équipages en France. Je précise qu'il s'agit de mon premier poste de dépense – les hélicoptères sont devenus le pilier majeur du combat aéroterrestre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.