Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 21h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, rapporteur spécial :

Monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec un plaisir non dissimulé, cher Éric Woerth, monsieur le président, pour cette première journée de commissions d'évaluation des politiques publiques de la législature, que je vous présente mon rapport qui porte sur les programmes 156, 218 et 302 de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui retrace les crédits de l'essentiel des services du ministère de l'action et des comptes publics.

Les travaux d'évaluation que j'ai menés au cours du semestre ont porté sur la conduite par les administrations fiscales de la mission de recouvrement des impôts et taxes dont elles ont la charge. L'existence de plusieurs collecteurs, en matière de prélèvements fiscaux comme sociaux, pose en effet des questions de lisibilité pour le contribuable et d'efficacité de l'organisation administrative. Ce sujet est récemment revenu dans le débat, à l'occasion des travaux du comité « Action publique 2022 ». Et il me semblera nécessaire d'aller au bout de la logique, d'envisager toutes les options et de ne se fermer aucune porte.

Mais monsieur le ministre, avant de vous présenter les résultats des travaux conduits sur ce sujet, je vous propose de nous intéresser à l'exécution en 2017 des crédits des programmes 156, 218 et 302.

Au niveau agrégé, la dépense augmente de près de 220 millions d'euros en crédits de paiement (CP) par rapport à 2016. Cela constitue une rupture avec la situation de baisse continue de la dépense constatée au cours des années précédentes. Entre 2013 et 2016, la dépense diminuait en effet de 1 % par an en moyenne pour ces trois programmes.

J'explique ce résultat par trois facteurs principaux. Premièrement, la réduction des effectifs constatée en 2017 a été moins importante que par le passé. La mise en place du prélèvement à la source a conduit la direction générale des finances publiques (DGFiP) à rendre 500 emplois de moins qu'au cours des années précédentes, afin de faire face à la préparation de la réforme et à l'accompagnement des contribuables. De son côté, la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a bénéficié, entre 2015 et 2017, de 500 emplois nets supplémentaires dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Deuxième facteur, les conséquences du protocole « Parcours professionnels, carrières, rémunérations » (PPCR) et la hausse du point d'indice ont poussé la masse salariale à la hausse. Ces deux évolutions ont donc conduit à une hausse de 90 millions d'euros des dépenses de titre 2, alors qu'entre 2013 et 2016, celles-ci avaient diminué de 0,5 point par an en moyenne. La troisième explication réside dans un investissement immobilier réalisé par l'Insee, qui a acquis un immeuble à Montrouge pour y installer sa direction générale, pour un montant de 184 millions d'euros. Il importe de préciser que cet investissement permettra d'obtenir rapidement des économies des loyers budgétaires. Il me semble, à ce titre, vertueux.

À l'inverse, les dépenses d'intervention sont en recul de près de 100 millions d'euros, en raison de la baisse du coût en 2017 des aides aux buralistes, prises en charge par le budget des douanes. Cela s'explique par la montée en puissance progressive de certaines aides, par la réforme des circuits budgétaires relatifs au régime d'allocation viagère des gérants de débit de tabac et par la diminution de certaines aides après la signature du quatrième contrat d'avenir entre l'État et cette profession.

S'agissant du respect de l'autorisation donnée par le législateur, la consommation des crédits s'établit à un niveau globalement supérieur de 92 millions d'euros à la prévision initiale. Cette sur-exécution s'explique par les dépenses d'investissement immobilier de l'Insee, dont j'ai parlé, qui n'avaient pas été anticipées par la précédente majorité. Si l'on retraite cette dépense exceptionnelle, l'exécution est inférieure de 92 millions d'euros à la prévision initiale. Je ne vois donc pas là un signe de dérapage budgétaire, mais juste un dépassement constaté qui provient de dépenses exceptionnelles qui n'avaient pas été correctement anticipées. D'ailleurs, le budget de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) n'est pas rattaché au programme 218, mais au programme 220 « Statistiques et études économiques » de la mission « Économie ». Monsieur le ministre, ce sera ma première question : pourriez-vous nous expliquer pourquoi cet investissement immobilier a été rattaché au programme 218 ?

Je souligne à ce titre que les mouvements réglementaires ont peu affecté la gestion des crédits sur les programmes 156 et 302 par rapport aux années précédentes. Sur le programme 218, les ouvertures importantes ont été réalisées dans le décret d'avance pour permettre l'acquisition de l'immeuble de Montrouge. Deux éléments ont néanmoins particulièrement attiré mon attention. Concernant la DGFiP, les dépenses d'investissement ont été sur-exécutées en CP à hauteur de 9 millions d'euros, soit 30 % de la prévision, en raison de dépenses informatiques supplémentaires rendues nécessaires par la préparation du prélèvement à la source. Les dépenses informatiques, tous titres confondus, se sont élevées à 177 millions d'euros en 2017. Et ce qui m'a surpris, monsieur le ministre, c'est d'apprendre que l'administration fiscale avait également bénéficié de 8 millions d'euros de crédits destinés à l'investissement informatique au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA). La Cour des comptes l'avait d'ailleurs relevé dans sa dernière note d'exécution budgétaire. Face aux enjeux auxquels elle est confrontée, en matière de simplification des procédures ou de lutte contre la fraude, la DGFiP en passera immanquablement par une modernisation profonde de ses outils informatiques. Mais, monsieur le ministre, ces investissements informatiques de la DGFiP sont-ils bien dimensionnés ? Comment mieux les prévoir à l'avenir ? Et, c'est peut-être la vraie question au fond, avec qui pourrait-on mieux les prévoir ?

Du côté de la DGDDI, les dépenses de fonctionnement ont été sur-exécutées en CP à hauteur de 25 millions d'euros, en raison notamment des coûts de maintenance en condition opérationnelle (MCO) de la flotte aérienne navale. La budgétisation 2017 avait été manifestement sous-évaluée, comme en 2016. Les montants inscrits pour 2018 apparaissent sincères, et j'espère, monsieur le ministre, que les prochains exercices le seront tout autant.

Concernant les résultats, je salue les bonnes performances des directions et services du ministère de l'action et des comptes publics. Je souhaite relever deux points d'attention. Pour la DGFiP, le taux d'abandon contentieux des rappels suite à un contrôle fiscal externe augmente fortement et dépasse largement la cible : 23 % en 2017 pour une prévision de 13,5 %, et 16 % en 2016. Nous en avons parlé avec le directeur général des finances publiques. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur ces éléments ? Des mesures ont-elles été prises pour remédier à cette situation ?

Pour la DGDDI, le montant des droits et taxes redressés recule pour s'établir à 268,5 millions d'euros, contre 415,1 millions en 2016, très en deçà de la cible, fixée à 324 millions. Les efforts du contrôle fiscal portent, à mon sens, trop largement sur les droits de douane et la TVA à l'importation, et trop peu sur la fiscalité douanière, qui représente pourtant l'essentiel des ressources. Il me semble opportun de rediriger le ciblage des contrôles, des recettes de dédouanement et de TVA vers la fiscalité. J'y reviendrai.

Je salue au passage les évolutions intervenues en loi de finances pour 2018 concernant les indicateurs, qui permettront à l'avenir de mieux prendre en compte la qualité de la lutte contre les fraudes et les trafics. Et je crois, monsieur le ministre et monsieur le président de la commission, que tout l'objet de cet exercice vise précisément à aboutir à une meilleure sincérisation des budgets à venir. La part des indicateurs est donc très importante.

Je résumerai donc mon analyse en trois points : une dépense qui augmente modérément en 2017, du fait d'un double effet « volume » et « rémunérations » sur le titre 2 ; une dépense supérieure à la prévision, en raison d'investissements exceptionnels qui auraient pu être mieux budgétés, je pense par exemple à l'immeuble de l'INSEE ; des résultats sont satisfaisants, avec quelques points d'attention qu'il faudra suivre sur les prochains budgets.

Sur la base de ces éléments et des travaux menés dans le cadre de la préparation de ce rapport, la prévision pour 2018 m'apparaît sincère et je m'en félicite.

Venons en désormais aux travaux de recommandation pour l'avenir. La mission fiscale est partagée entre deux administrations et la répartition du recouvrement obéit schématiquement à la distinction suivante, que je rappelle très brièvement : la DGFiP est compétente en matière de recouvrement des impôts directs des particuliers et des professionnels, tandis que la DGDDI est compétente en matière de droits de douane et de recouvrement des impôts indirects ; et la gestion de certains impôts et taxes est partagée entre DGFiP et DGDDI, notamment en matière de TVA ou de fiscalité énergétique. La mission fiscale représente une part non négligeable des effectifs de ces deux administrations. À la DGFiP, ce sont près de 12 000 agents, et la DGDDI compte 3 000 agents chargés du recouvrement, soit 20 % des effectifs totaux environ. Cette mission justifie également, et c'est normal, l'existence d'un réseau très étendu. La persistance de deux réseaux comptables distincts pose ainsi des questions de diverses natures, du point de vue du contribuable, celle de la lisibilité de l'action publique, et du point de vue du gestionnaire, celle de la simplification de l'organisation administrative. Elle pose également la question du coût de gestion de certaines taxes. Malgré un taux d'intervention globalement favorable de 0,40 % pour les douanes, la Cour des comptes avait relevé, en 2014, le caractère « excessif » du coût de gestion de certaines taxes, comme la taxe sur les farines et les céréales, la taxe spéciale sur les véhicules routiers ou le droit annuel de francisation des navires.

Les douanes ont réalisé d'importants progrès pour moderniser la gestion de l'impôt. J'en veux pour preuve la centralisation de la gestion de certaines taxes, notamment à Nice ou à Metz, le regroupement des recettes locales ou encore l'extension de la dématérialisation de la déclaration et du paiement des taxes. Ainsi, dans une perspective d'amélioration du service et de modernisation de l'action publique qui doit nous guider, comment serait-il possible, monsieur le ministre, de recentrer la mission fiscale de la DGDDI sur ce qu'elle sait faire de mieux ? Quelles sont les options envisagées ? La concentration de toutes les activités de recouvrement fiscal au sein de la DGFiP est-elle ou non, selon vous, une possibilité ? La question du recouvrement est à mon sens indissociable du réseau comptable, en particulier de celui de la DGFiP, et je souhaiterais également savoir si une réflexion est en cours sur ce sujet dans le cadre des travaux du comité « Action publique 2022 ».

Le coût de gestion des « petites taxes » n'est pas un sujet nouveau. L'Inspection générale des finances (IGF) l'avait vivement critiqué dans un rapport de 2014. Et, en 2016, la commission des finances s'était prononcée en faveur de la suppression de nombreuses petites taxes dans le domaine agroalimentaire, et notamment la taxe sur les farines, sujet sur lequel je crois que vous vous êtes déjà exprimé, monsieur le ministre, à la suite du rapport de la mission Hammadi-Louwagie. La Cour des comptes l'a de nouveau soulevé en février dans son rapport annuel. Je souhaite qu'une réflexion courageuse soit enfin menée sur ce sujet afin de mener un véritable « nettoyage » des petites taxes dans le prochain projet de loi de finances (PLF). Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce sujet ? Des suppressions de taxes seront-elles proposées à l'automne ? Quelles seront les impositions visées ?

Enfin, monsieur le ministre, je souhaite vous poser une question, ou plutôt formuler une proposition concernant la nouvelle mission dont je suis également rapporteur spécial, « Action et transformation publiques ». Par définition, il n'y a pas de crédits 2017 à contrôler, puisqu'elle a été créée par ce gouvernement pour accompagner la modernisation de l'État dans le cadre du comité « Action publique 2022 ».

Le Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) a été doté de 700 millions d'euros pour le quinquennat, pour accompagner la modernisation numérique de l'État car la recherche de l'efficacité et l'amélioration du service public ne peuvent se faire qu'en renforçant l'investissement public là où il est nécessaire – et j'insiste sur le terme « investissement ». Pour l'année 2018, 200 millions d'euros d'autorisations d'engagement ont été ainsi ouverts, afin d'amorcer le financement de ces projets innovants. Le premier appel à projets a été un succès. 123 projets ont été proposés, relevant de l'ensemble des ministères, pour un montant demandé de plus de 800 millions d'euros. Nous attendons avec impatience la liste des projets retenus.

Je souhaite vous proposer, à titre personnel, monsieur le ministre, d'aller plus loin et d'amplifier encore cette dynamique, en mettant en place un véritable fonds d'investissement que j'appellerais un fonds « state-up » si vous me passez ce néologisme, c'est-à-dire un fonds de capital-risque destiné à financer des start-up d'État. Les projets financés seraient plus ambitieux, plus radicaux, mais aussi plus risqués, et je crois que l'État doit y prendre sa part. Leur part au sein des dépenses de transformation doit être suffisante, pour pouvoir espérer avoir un impact significatif, mais doit naturellement rester modérée. Je vous propose, monsieur le ministre, que dès cette année 50 millions d'euros soient consacrés très concrètement au financement de start-up d'État. Seriez-vous favorable, monsieur le ministre, à une telle proposition ?

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