Intervention de Christine Pires Beaune

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 21h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune, rapporteure spéciale :

Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, la mission « Remboursements et Dégrèvements » constitue la plus importante, en volume, du budget général de l'État en volume. Les montants consommés ont atteint 112,6 milliards d'euros en 2017, soit plus du quart des recettes fiscales brutes.

La première partie de ma présentation portera sur les principaux constats de l'exécution 2017, et la seconde sera consacrée au focus que j'ai retenu, à savoir le dispositif des remises gracieuses, côté ménages comme côté entreprises. L'analyse de l'exécution pour l'année 2017 appelle trois remarques. D'abord, la dépense est en hausse sur la mission, principalement en raison des dépenses liées aux contentieux fiscaux. Ensuite, cette hausse a été plus forte qu'anticipée, et la surconsommation des crédits tient largement aux remboursements de la taxe dans le cadre du contentieux « 3 % ». Enfin, la présentation budgétaire de la mission pourrait être améliorée.

Cette mission présente la particularité d'être dotée de crédits exclusivement évaluatifs. Elle rassemble des dépenses très diverses, qui correspondent à des situations dans lesquelles l'État est amené à restituer des prélèvements obligatoires aux contribuables, ou dans lesquelles il ne recouvre pas certaines créances fiscales. Les deux programmes de la mission sont relatifs aux impôts d'État, pour le programme 200, et aux impôts locaux, pour le programme 201. En longue période, les dépenses liées aux remboursements et dégrèvements augmentent régulièrement. Elles ont même doublé en moins de vingt ans, passant de 60 milliards d'euros environ en 2000 à près de 120 milliards d'euros aujourd'hui. L'année 2017 constitue même un record après le pic constaté en 2009 du fait de la crise économique. En raison de l'ampleur des enjeux, la qualité de la prévision est cruciale et constitue une véritable question de sincérité budgétaire.

Concernant les remboursements d'impôt d'État, ils ont représenté 100 milliards d'euros, répartis en trois actions. L'action 11 « Remboursements et dégrèvements liés à la mécanique de l'impôt » comprend les sommes restituées en raison des modalités de recouvrement spécifiques à certains impôts, pour 66 milliards d'euros. C'est par exemple le cas de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L'action 12 « Remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques » retrace les crédits d'impôts donnant lieu à une restitution, pour 16 milliards d'euros. C'est le cas, par exemple, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). L'action 13 « Remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État » rassemble les restitutions relatives aux erreurs de l'administration, aux remises gracieuses ou aux contentieux fiscaux, pour 18 milliards d'euros.

Du côté des impôts locaux, les remboursements et dégrèvements représentent 12 milliards d'euros. Par rapport à 2016, la consommation des crédits augmente de 9,2 milliards d'euros, en raison des remboursements opérés suite au contentieux 3 %, pour 5,25 milliards d'euros, du dynamisme des restitutions des crédits d'impôts, en particulier le CICE, pour 2,5 milliards d'euros, ou encore de décharges exceptionnelles d'impôt sur les sociétés (IS), pour 1,2 milliard d'euros. Je souhaite à ce titre, monsieur le ministre, vous interroger sur la nature de ces décharges exceptionnelles. Quelles sont les catégories d'entreprises concernées, et pour quel motif ? Pourriez-vous également nous donner les raisons de la hausse du coût du CICE, qui a augmenté de 1,2 milliard d'euros entre 2015 et 2017 ?

L'exécution pour 2017 s'établit à 3,74 milliards d'euros au-dessus de la prévision votée en loi de finances initiale (LFI), notamment en raison du coût du contentieux « 3 % ». Ce coût a néanmoins été amoindri par l'amélioration de la conjoncture intervenue dès 2016. L'augmentation du bénéfice fiscal des entreprises a, en effet, permis un recul de 1 milliard d'euros des remboursements d'excédents d'impôt sur les sociétés (IS) sur 2017, preuve de l'efficacité de la politique économique conduite sous la précédente majorité.

Le risque associé aux contentieux fiscaux a fortement augmenté au cours de la dernière décennie et reste très important. Au 31 décembre dernier, la provision pour litiges fiscaux atteignait 20 milliards d'euros. En 2017, les dépenses liées à ces contentieux se sont établies à 6 milliards d'euros, dont 85 % sur le contentieux 3 %. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous si dire les remboursements relatifs à ce contentieux, qui se sont poursuivis au premier semestre 2018, sont terminés ? Si oui, à combien s'élève son coût définitif, en principal et en intérêts moratoires ?

Je souhaite rappeler devant notre commission que nous avions voté, en 2013, une disposition visant à améliorer l'information du Parlement sur les risques budgétaires induits par les procédures d'infraction enclenchées par la Commission européenne. Nous n'avons toutefois, à ce jour, encore jamais reçu l'information semestrielle relative à la teneur et à l'incidence financière potentielle de ces procédures.

Concernant les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux, ceux-ci sont stables. La LFI avait prévu une baisse de la dépense en raison de la fin des dégrèvements accordés l'année précédente aux ménages modestes, mais celle-ci est finalement restée stable en raison du contentieux relatif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la hausse des dégrèvements gracieux de taxe foncière.

J'insisterai aussi sur la nécessité d'améliorer la lisibilité des documents budgétaires concernant cette mission et d'en enrichir le contenu, et rappellerai, à la suite des remarques de la Cour des comptes, l'importance d'un alignement de la présentation du programme 201 sur celle du programme 200, l'intérêt de publier dans les rapports annuels de performance (RAP) et les projets annuels de performance (PAP) les informations relatives aux admissions en non-valeur et, enfin, la nécessité d'améliorer l'information relative aux remises gracieuses. Ce sont d'ailleurs elles que j'ai choisi d'évaluer cette année, qu'elles bénéficient aux particuliers ou aux entreprises.

Les remises gracieuses constituent un instrument de gestion de l'impôt dont dispose l'administration fiscale. Celle-ci peut ainsi procéder à des diminutions, voire à des abandons d'impôt, en droits comme en pénalités, afin de tenir compte de situations spécifiques, notamment lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer en raison de difficultés financières. Elle peut également moduler les sanctions, et oeuvrer ainsi à une meilleure acceptation de l'impôt. Toutefois, cette prérogative discrétionnaire de l'administration nécessite un encadrement effectif, au risque de nuire à l'égalité devant l'impôt. En moyenne, sur la période 2011-2017, les remises gracieuses ont fait l'objet de 1,2 million de demandes par an et ont représenté un coût annuel de 440 millions d'euros pour les finances publiques, soit 0,14 % des recettes fiscales. Si l'essentiel des demandes concerne les impôts des particuliers, l'analyse des données agrégées sur la période révèle que les dégrèvements gracieux accordés ont autant profité aux professionnels qu'aux particuliers en volume. Le nombre de demandes de remises gracieuses et les montants dégrevés sont assez volatils sur la période et semblent présenter une forte sensibilité à la conjoncture économique – ce qui paraît logique – ainsi qu'à certaines mesures ciblées.

Après une forte augmentation jusqu'en 2015, le nombre de demandes de remises gracieuses a décru pour se stabiliser en 2017 en dessous de son niveau de 2011. Hors année de crise, les montants dégrevés sont compris entre 350 et 400 millions d'euros. Les conséquences de la crise économique et financière de 2008 expliquent l'importance des montants dégrevés au début des années 2010, concernant les professionnels comme les particuliers. L'année 2015 est elle aussi particulière. Elle correspond à un double phénomène : les remises de taxe d'habitation (TH) et de contribution à l'audiovisuel public (CAP) en faveur des personnes âgées et modestes, et le plan d'aide aux éleveurs, qui a donné lieu à près de 95 000 demandes, principalement concentrées sur la taxe foncière (TF), et à 50 millions d'euros de remises gracieuses. À ce titre, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur l'explication de la forte hausse des remboursements de taxes sur le chiffre d'affaires en 2015 ? Quelles sont les taxes en question ?

En 2017, 26 % des montants de remises accordées ont porté sur les taxes sur le chiffre d'affaires, soit 100 millions d'euros. 19 % ont concerné l'impôt sur le revenu, pour 75 millions d'euros, et 14 % ont porté sur la TH, pour 55 millions d'euros. Les montants de remises accordées sont sans lien avec le poids de ces contributions dans la fiscalité globale. Par exemple, les remises d'IS ont représenté 4 % des remises accordées, soit deux fois moins que son poids dans la fiscalité globale.

À l'échelle nationale, la comparaison des taux de rejets montre des écarts importants selon les départements. Sur l'ensemble des impôts directs, les résultats sont relativement homogènes. L'écart entre les valeurs maximale et minimale va de 1 à 5. Mais lorsque l'on « zoome » sur certains impôts, le résultat est plus contrasté. En matière de TF par exemple, l'écart va de 1 à 24. En l'absence de données statistiques plus précises concernant la nature des dossiers, le profil des contribuables, professionnels ou particuliers, et le motif de la remise accordée, il est difficile d'expliquer ces écarts de manière rigoureuse. Les biais peuvent être nombreux. Toutefois, cette situation interpelle. La Cour des comptes rappelle que la DGFiP a pris des mesures pour favoriser l'égalité de traitement au cours des dernières années. Des instructions, boîtes à outils et barèmes introduits depuis 2010 permettent ainsi aux agents de mieux appréhender les situations individuelles. Ces dispositifs me paraissent aller dans le bon sens. Pourtant, des pratiques différentes demeurent. Ainsi, par exemple, la direction régionale des finances publiques (DRFiP) de Bordeaux accepte de remettre aux étudiants en difficulté les droits de TH acquittés de manière systématique, mais ce n'est pas le cas dans le Pas-de-Calais.

Face à ces constats, monsieur le ministre, je vous ferai donc quatre propositions. La première, suggérée par la Cour des comptes, consiste à aligner le droit avec certaines pratiques de l'administration. En particulier, les demandes gracieuses en matière d'impôts locaux sont actuellement soumises à l'avis préalable du maire. Ce n'est jamais le cas, parce que c'est impossible sur un plan pratique. Supprimons donc ce dispositif et remplaçons-le par une information du maire a posteriori. Il me semble que ce serait beaucoup plus simple.

Ma deuxième proposition réside dans l'amélioration des outils informatiques qui permettraient le suivi des remises gracieuses, des transactions et des contentieux par la DGFiP, mais surtout par la DGDDI, qui ne semble pas suffisamment équipée en la matière. La modernisation de ses outils me semble être une priorité.

Troisièmement, j'insisterai sur la nécessité de mieux documenter les informations chiffrées contenues dans les rapports annuels transmis au Parlement : celui du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, et celui réalisé par l'administration fiscale.

In fine, et quatrièmement, ces différentes mesures permettront de poursuivre l'homogénéisation des pratiques et de renforcer l'égalité de traitement entre les contribuables. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une question fondamentale et nécessaire pour assurer une meilleure acceptation de l'impôt.

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