Intervention de élisabeth Borne

Réunion du lundi 4 juin 2018 à 18h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

élisabeth Borne, ministre chargée des transports :

En arrivant à mon poste, au mois de mai 2017, j'ai trouvé l'AFITF dans une situation vraiment préoccupante. La question de la sincérité des engagements que l'État peut prendre envers les régions et SNCF Réseau est posée. Sur le quinquennat, plusieurs milliards d'euros n'étaient pas financés.

Tout le sens de la pause annoncée par le Président de la République, le 1er juillet dernier, et du travail accompli par le COI consiste à répondre à ce défi. L'objectif consiste à adapter les engagements aux ressources, et réciproquement. Avec les travaux réalisés par le COI, présidé par Philippe Duron, auxquels sont associés plusieurs parlementaires, nous disposons d'un travail d'analyse et de synthèse des besoins d'investissements dans les infrastructures pour les vingt prochaines années. Pour les trois scénarios proposés, les priorités sont les mêmes, et elles correspondent aussi aux priorités que je défends : l'entretien et la régénération des réseaux, le désenclavement des territoires, notamment avec l'accélération de la mise à niveau de nos réseaux routiers, les mobilités actives et intelligentes, la désaturation des noeuds ferroviaires, importante pour les transports du quotidien et également pour le fret ferroviaire.

Une fois ces priorités satisfaites, si je puis dire, une programmation des grands projets pourra se faire en diverses phases afin de les mener de front, et de ne pas mobiliser l'ensemble des ressources pour réaliser un seul d'entre eux au détriment des autres. Nous sommes actuellement en train de faire un choix parmi ces propositions. Des pistes sont avancées concernant les ressources, l'objectif étant, en tout état de cause, d'avoir un volet de loi de programmation équilibré en ressources et en dépenses dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités. Cela donnera une visibilité qui rendra de la crédibilité à la parole de l'État.

Les ressources sur lesquelles nous travaillons sont celles qui ont été identifiées par le COI. Il s'agit, soit de redéployer la fiscalité, y compris la hausse de la fiscalité sur les carburants, prévue aux cours du quinquennat, mais d'autres besoins existent, soit de trouver des ressources complémentaires. La question de la participation des poids lourds au financement de nos infrastructures se pose, en particulier ceux qui sont en transit. Tel est le sens des réflexions en cours, soit sur une redevance, plutôt une redevance temporaire – le précédent de l'écotaxe ayant créé les difficultés que l'on connaît –, soit, éventuellement, sur une partie de TICPE supplémentaire qui pourrait être acquittée par le transport routier.

De toute façon, ces choix doivent être faits en concertation avec les transporteurs routiers et, j'ai eu l'occasion de le leur dire clairement : nous savons que les marges du secteur sont extrêmement faibles, donc, quelle que soit la solution retenue, il est nécessaire que les charges supplémentaires qui pourraient peser sur le transport routier puissent être répercutées sur les chargeurs. Nous savons très bien que les entreprises de transport routier ne sont pas susceptibles de dégager des marges suffisantes.

Je vous confirme, en tout cas, que l'objectif est bien de faire figurer dans la loi d'orientation des mobilités cette programmation des investissements, avec une priorité donnée à l'entretien, à la régénération, au désenclavement des parties de notre territoire qui sont encore mal reliées par un réseau routier qui n'a pas été modernisé – cette modernisation est repoussée de contrat de plan en contrat de plan –, à la désaturation des noeuds ferroviaires, et à une programmation raisonnable des grands projets très attendus mais pour lesquels il faut sortir du jeu des promesses non financées, que nous avons trop connu au cours des années passées.

Je souscris à l'idée d'une convention d'objectifs et de moyens avec l'AFITF, émise par le président de l'agence. Nous avons besoin de davantage de visibilité dans le fonctionnement de cette agence – il peut arriver que les indications soient données la veille du conseil d'administration, ce qui n'est évidemment pas de bonne gestion. Les modes de fonctionnement doivent être plus prévisibles, s'agissant par exemple des dépenses qui seront engagées. La loi de programmation permettra aussi de donner de la visibilité et donc de fonctionner avec beaucoup moins d'à-coups dans la gestion des ressources de l'agence.

Je vous confirme que l'état du réseau routier non concédé se dégrade, c'est vrai, en particulier, de l'état des chaussées depuis 2009, et la proportion des ouvrages en bon état est également en baisse. C'est pourquoi nous travaillons à l'élaboration d'un programme de remise en état des chaussées et des ouvrages d'art. Ce sujet constituera l'une des priorités de la future loi de programmation des infrastructures. On connaît la situation du réseau ferré national : si l'on ne veut pas reproduire les mêmes erreurs pour le réseau routier, il faut absolument accélérer les travaux de régénération et de modernisation. La situation est au demeurant identique pour le réseau fluvial, qui souffre aussi d'un retard important d'entretien et de régénération des ouvrages.

Nous constatons bien un décalage entre le moment où les fonds de concours sont rattachés au budget de l'État et le moment où ils peuvent être décaissés pour participer aux opérations qu'ils ont vocation à financer. Je pense que nous assistons à une évolution préoccupante en la matière : les montants non décaissés en fin d'exercice ont augmenté ces dernières années. Cela pose effectivement une question de principe, sur laquelle il va falloir travailler avec le ministère de l'action et des comptes publics. L'évaluation relative aux pénalités est en cours, mais au-delà de cet aspect, nous sommes confrontés à un problème de bonne gestion dont il faut que je discute à nouveau avec mon collègue de l'action et des comptes publics.

À la fin de l'année 2017, le niveau d'engagement en matière de contrats de plan était de l'ordre de 30 %, soit un rythme de l'ordre de 10 % par an – les volets ferroviaire et routier étant un peu en deçà, et les volets portuaire et transports collectifs en Île-de-France un peu supérieurs. J'en tire une conclusion : il va falloir prioriser la réalisation des contrats de plan dans le cadre de la future loi de programmation des infrastructures. La contrainte est globale et correspond à celle de la trajectoire des finances publiques, le choix porte donc moins sur la question de savoir si les ressources ad hoc proviennent des régions ou de l'État que sur la part de ressources consacrée à la priorité que sont ces contrats de plan qui correspondent à des engagements pris qu'il faut honorer au mieux. Cela sera également l'une des priorités de la future loi de programmation des infrastructures.

On peut constater que le dispositif de soutien au fret n'a pas trouvé son équilibre ces dernières années. Il y a eu des fluctuations dans l'évaluation du coût directement imputable, avec des recalages successifs entre l'État et l'ARAFER. Il est donc difficile aujourd'hui de dresser le bilan des dotations des concours versés au fret. Je travaille actuellement à un nouveau plan de soutien au fret ferroviaire dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire. Le Premier ministre a eu l'occasion de dire que nous nous placerons dans une perspective de stabilisation des péages fret, et non d'une augmentation, comme cela était prévu dans le cadre du contrat entre l'État et SNCF Réseau. Cela supposera que l'État honore ses engagements en contributions et en concours fret.

Vous avez évoqué l'impact de la réforme ferroviaire sur les concours versés par l'État. À compter du 1er janvier 2020, les trois EPIC vont être transformés en une société nationale à capitaux publics, avec deux filiales : SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Les travaux menés avec la SNCF visent à permettre qu'à l'horizon 2022, la SNCF puisse financer ses investissements sans augmenter sa dette, alors qu'aujourd'hui la dette augmente de 2,5 milliards à 3 milliards d'euros par an. Cela doit se produire dans un contexte marqué non seulement par le choix de ne plus augmenter les péages fret, mais également de n'augmenter les péages TGV qu'à la hauteur de l'inflation et non pas de 4 à 5 % par an, ce qui était contradictoire avec le choix du Gouvernement en faveur d'une politique du TGV accessible à tous, TGV qui desserve largement les territoires. Ces éléments viennent donc en moindres recettes pour SNCF Réseau.

Nous travaillons par ailleurs sur l'amélioration de la performance de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau.

Nous avons également l'ambition d'augmenter le montant des investissements afin de dégager 200 millions d'euros d'investissements supplémentaires ciblés sur la modernisation à l'horizon 2022. Tout cela se fait donc avec un bouclage sur le désendettement à hauteur de 25 milliards, en 2020, puis de 10 milliards en 2022, mais pour obtenir cet équilibre global, il faut maintenir des concours de l'État au niveau de ce qui était prévu dans le contrat entre SNCF Réseau et l'État. Il n'y aura donc pas d'économies sur ce plan. Nous l'avons annoncé dès le départ : l'idée n'est pas de consacrer moins d'argent au ferroviaire, mais de s'assurer que chaque euro est investi et utilisé le plus efficacement possible. Il n'y a pas d'objectifs d'économies, le modèle repose sur des perspectives de péages moins élevés, sur une reprise d'une partie substantielle de la dette, dont 35 milliards d'euros dans le quinquennat par l'État, sur des efforts de performance et de productivité de la part de la SNCF, et sur des concours de l'État au même niveau que ce qui était prévu dans le contrat entre l'État et SNCF Réseau.

Comme cela a été souligné, le réseau fluvial connaît aussi des difficultés importantes, on l'a vu en particulier à l'occasion des épisodes de cru que notre pays a connus en 2016 et au début de l'année 2018. Ils ont montré la faiblesse, la fragilité et le vieillissement de nos installations. Ce réseau est pourtant très important. Le fret fluvial a des avantages évidents en termes d'émissions de gaz à effet de serre. C'est aussi un patrimoine dont les activités sont très contrastées, du réseau à grand gabarit, qui doit jouer un rôle plus important dans notre transport de marchandises, à une partie du réseau qui a plutôt des fonctions de gestion hydraulique et touristique.

Le diagnostic qui m'a été remis sur l'état du réseau montre qu'il faudra consentir un effort significatif pour accélérer son entretien et sa régénération. Dans les différents scénarios du COI, il est bien prévu d'augmenter le rythme de l'entretien et de la régénération – cela fera aussi partie des choix à faire dans le cadre de la loi de programmation des infrastructures.

Un protocole de financement avait été conclu entre l'État et les collectivités pour le canal Seine-Nord, prévoyant une participation à hauteur de 1 milliard d'euros de l'État, de 2 milliards de l'Union européenne, et de 1 milliard des collectivités. Le président de la région Hauts-de-France a proposé de réaliser ce projet avec une société de projet sous la forme d'un établissement public local. Nous y travaillions, ainsi que sur les moyens de dégager des ressources locales. Je pense que ce dispositif pourra être stabilisé, y compris avec la création de la société de l'établissement public local, dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités. Le dossier avance conformément à ce qui avait été annoncé.

La DGAC est confrontée à un défi important. La croissance du trafic aérien a été de l'ordre de 8 % entre 2015 et 2017. Elle devrait se poursuivre dans les prochaines années. Par le passé ont eu lieu des baisses importantes, ou au moins substantielles, des effectifs de contrôleurs aériens. Ces effectifs sont désormais stabilisés, mais faire face à la croissance du trafic aérien, suppose, d'une part, un certain nombre de modernisations techniques qui sont en cours, y compris en déclinaison des programmes européens de modernisation des outils du contrôle, et, d'autre part, une mise en oeuvre du protocole signé avec les agents de la DGAC reposant sur une meilleure prise en compte de la saisonnalité du trafic. Des organisations expérimentales ont pu se mettre en place dans les centres de Brest de Bordeaux, de Reims, et de Roissy. Le centre d'Aix n'a pas encore mis en oeuvre ce mode d'organisation – il connaît aujourd'hui des tensions sur les effectifs. Ce protocole doit permettre une organisation du travail qui absorbera mieux les pointes de trafic. Nous pourrons ainsi faire face, dans la période actuelle, et sur la durée du protocole, aux besoins liés à la croissance du trafic aérien, en même temps que seront assurées la modernisation des outils et l'amélioration de la régulation européenne.

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