Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du lundi 4 juin 2018 à 21h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAmélie de Montchalin, rapporteure spéciale pour les crédits de la recherche :

La France occupe la cinquième place mondiale pour la dépense de recherche publique en 2015 avec 0,86 % du PIB en intégrant la recherche et développement (R&D) en défense, ce qui place notre pays au-dessus de la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais bien en deçà des pays leaders et de l'objectif du traité de Lisbonne, qui prévoyait de consacrer 1 % du PIB à l'investissement public pour la recherche.

Depuis 2016, on observe toutefois une nette progression des crédits de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES), qui porte l'essentiel des financements de la recherche publique. Je tiens ici à saluer cet effort, car il place enfin le budget de la recherche au niveau stratégique qui est le sien, puisque c'est la cinquième mission budgétaire de l'État, et que ces crédits ont de nouveau été renforcés en loi de finances pour 2018, avec une augmentation de 3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.

Si l'on s'en tient aux sept programmes qui constituent la partie recherche de la MIRES, ce sont 11 milliards d'euros de crédits de paiement et 11,1 milliards d'euros d'autorisations d'engagement qui ont été activés en 2017.

Malgré ce bilan encourageant, quelques questions se posent sur une exécution qui reste perfectible, et notamment sur les sous-budgétisations qui ont concerné les organisations scientifiques internationales et les très grandes infrastructures de recherche. En 2017, leur financement semblait assuré à un meilleur niveau en loi de finances initiale, avec l'augmentation des programmes 72 et 193, mais dès le début de l'exercice, la mise en réserve effectuée a fait apparaître des impasses de près de 225 millions d'euros. Ces sous-budgétisations chroniques depuis 2013, dès le stade de la loi de finances initiale, constituent une atteinte au principe de sincérité budgétaire, dénoncée à plusieurs reprises par la Cour des comptes.

Quelles actions, madame la ministre, avez-vous prises pour résorber ces sous-budgétisations à partir de 2018, afin qu'elles ne se répètent plus ? Pouvez-vous donner le détail des mesures correctives que vous auriez pu prendre et nous indiquer également, sur les très grandes infrastructures de recherche, les mesures prises pour diversifier et rendre pluriannuel leur pilotage ? Je note en particulier la très bonne initiative prise pour la flotte confiée à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.

Ma deuxième question, toujours à propos des sous-budgétisations, fait écho à ce que vient de dire Fabrice Le Vigoureux : je veux parler de la sous-exécution, elle aussi chronique, du plafond d'emplois, et plus généralement des crédits de masse salariale : sur l'ensemble de la MIRES, on observe depuis 2012 une augmentation du plafond d'autorisation d'emplois de près de 3,6 % résultant d'une baisse du plafond hors opérateurs, mais d'une hausse de 8 % pour les opérateurs, mais cette hausse du plafond d'emplois ne s'accompagne pas d'une hausse d'emplois effectifs. En effet, l'augmentation du plafond d'emplois a servi à financer la dynamique tendancielle de la masse salariale, notamment le GVT et des mesures salariales du type PPCR. En dehors du GVT, qui représente à lui seul un manque à gagner d'environ 30 à 40 millions d'euros par an sur votre budget pour la partie recherche, le PPCR a représenté environ 8 millions d'euros de besoins supplémentaires de financement par an : il en résulte une insuffisance globale de 50 millions d'euros par an sur les crédits du titre II dans le périmètre de la recherche de votre ministère. Cette insuffisance représente la perte de près de 2 800 emplois à temps plein sur les cinq ans de la précédente législature.

Ajoutons que ce mode de gestion continue de poser de réelles questions quant à la prévisibilité pluriannuelle des dépenses réelles des opérateurs. Quelles précisions pouvez-vous nous donner sur cette sous-exécution du plafond d'emplois sur la partie recherche de la mission ? Quelles pistes envisagez-vous pour améliorer la budgétisation des crédits de la masse salariale à l'avenir ?

Troisième sujet : je voudrais saluer ce que vous venez de nous dire sur la volonté de sortir d'un pilotage algorithmique des budgets des universités puisqu'elles sont très différentes entre elles et que, si SYMPA est certes sympathique, il ne peut pas tout faire. Au-delà de l'exécution budgétaire strictement dite, la lisibilité des dépenses des opérateurs et des laboratoires me paraît être la clef d'une recherche bien pilotée. C'est le thème que nous avons choisi pour notre mission d'évaluation et de contrôle dans le cadre de cette commission ; mais force est de constater que, au-delà de quelques crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR), la vision et la gestion pluriannuelle et thématique des moyens de la recherche, que nous sommes ici nombreux à souhaiter, fait sérieusement défaut dans ce budget. Nous ne disposons pas des outils nécessaires pour ce faire ; c'est pourtant essentiel pour tenir les dialogues de gestion que vous appelez de vos voeux et que nous soutiendrons s'ils permettent de passer d'une logique d'algorithmes à une logique de contrat d'objectifs et de moyens.

À cet égard, l'aboutissement de la mise en oeuvre du système d'information (SI) recherche, constituera un grand pas pour le pilotage de la connaissance fine des crédits alloués : même si le rapport annuel de performances est très volumineux, il est très difficile de comprendre comment les 11 milliards d'euros de la recherche ont été effectivement dépensés, dans quels laboratoires, sur quels sujets, par quels opérateurs, et dans quelle cohérence des moyens, notamment en ajoutant les crédits extrabudgétaires du programme d'investissements d'avenir (PIA), les crédits européens, les crédits des collectivités locales et les crédits de l'ANR. Toute information que vous auriez à nous apporter sur le déploiement à venir de ce SI recherche serait très utile.

Pour ce qui est de la pluriannualité, l'ANR constitue pour nous une source d'inquiétude. Si elle est censée fournir aux chercheurs des crédits sur trois à cinq ans, le lissage entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement année après année, voulu par le ministère des finances, montre qu'il y a un réel défi à augmenter les moyens mais surtout à financer les chercheurs de manière crédible et avec confiance sur l'ensemble de leurs projets.

Pour ce qui est des crédits extrabudgétaires – car les tuyaux de financement de la recherche sont d'une particulière complexité –, j'aimerais parler quelques secondes des PIA. Chaque année, 1 milliard d'euros supplémentaires sont apportés à votre budget par la tuyauterie des PIA : 867 millions en 2017 de dépenses directes annuelles et 356 millions de rémunération annuelle des dotations non consommables. Ce pilotage parallèle, qui ne relève pas directement de votre ministère, conduit à des complexifications notables.

Prenons l'exemple du financement du programme Airbus A350, qui est l'action 14 du programme 190. Plus de 200 millions d'euros ont été finalement financés par des fonds du PIA à travers un opérateur écran, en l'occurrence l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), se substituant à une budgétisation initiale du programme 190. Autrement dit, les crédits arrivent par un fonds de concours du PIA via l'ONERA pour financer un programme qui aurait pu dès le départ avoir été inscrit en loi de finances puisque ce sont des crédits exécutés. J'aimerais avoir des éclaircissements sur les moyens de financement extrabudgétaire, très positifs pour la recherche, là n'est pas la question, mais particulièrement difficiles à retracer dans notre travail d'évaluation et de contrôle. Il est permis cet égard de s'interroger sur la place du secrétaire général pour l'investissement (SGPI) à vos côtés dans ce contexte.

J'en viens, pour terminer, à deux considérations plus stratégiques pour l'avenir et sur lesquelles je me suis davantage penchée.

La première concerne le programme 193 sur la recherche spatiale, doté en 2017 de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement ; 97 % de cette somme est versée au Centre national d'études spatiales (Cnes) et 3 % à l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT). Ce budget du programme 193 a été stabilisé pour la partie nationale et est en forte augmentation pour la contribution française à l'Agence spatiale européenne, dont les crédits et les appels à financement vont fortement augmenter dans les années à venir. Néanmoins, l'émergence de nouveaux concurrents privés, comme SpaceX, dans le domaine des lanceurs en particulier, fait peser une menace sur la compétitivité des acteurs français dans ce domaine d'avenir. Or l'existence de ce programme budgétaire dédié devrait pouvoir s'accompagner d'une réelle stratégie pluriannuelle claire, qui permettrait de faire face à cette concurrence nouvelle.

À cet égard, il est également indispensable que le Gouvernement fasse preuve de la plus grande vigilance sur l'ambition des volets « recherche » et « politique spatiale » des budgets présentés dans le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, pour s'assurer notamment de la cohérence de nos initiatives nationales avec celle européenne. Pourriez-vous nous indiquer de quelle stratégie vous souhaitez doter la France dans le domaine spatial et comment nous pourrions disposer d'une vision pluriannuelle des moyens alloués à ce domaine de recherche essentiel pour notre avenir ?

Je terminerai par une considération relative à l'emploi des docteurs. En 2017, les crédits alloués au dispositif des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), sous-action 7 de l'action 1 du programme 172, ont été pleinement consommés. 10 % de demandes supplémentaires ont été reçues en 2017 par rapport à 2016 et c'est ainsi 1 500 conventions qui ont été signées entre des entreprises et des docteurs en formation, pour un coût budgétaire de 54 millions d'euros. Cela indique, après des années de mobilisation où tous les rapports de la Cour des comptes montraient que le transfert de compétences entre la recherche fondamentale et les entreprises devait d'abord se faire par l'employabilité des chercheurs et des docteurs, que nous sommes enfin parvenus à remplir pleinement l'objectif, puisque les crédits ont été entièrement consommés. Comment prévoyez-vous d'accompagner budgétairement cette politique qui fonctionne bien ?

Plus largement, en lien avec le crédit d'impôt recherche (CIR), j'ai déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2018 pour demander aux grandes entreprises qui bénéficient le plus de ce crédit d'impôt, d'être plus transparentes dans leur utilisation, notamment pour faciliter les embauches et la progression des salaires des docteurs formés en France. En effet, on constate un réel décrochage dans les rémunérations des docteurs puisqu'un maître de conférences perçoit un salaire brut d'entrée de 22 000 euros, soit deux tiers du salaire moyen d'entrée perçu par les chercheurs en Europe et 64 % de ceux de l'OCDE. C'est pourquoi il est extrêmement important, s'agissant d'une dépense publique, le CIR, financée par la collectivité en vue de dynamiser la recherche des entreprises, que celles-ci fassent preuve de davantage de transparence et de volontarisme pour rendre à la collectivité ce qu'elles en reçoivent, en s'appuyant sur des docteurs formés en France. J'ai engagé très récemment une démarche d'échanges sur ce sujet avec les entreprises et les candidats à la présidence du MEDEF, mais je pense qu'il est essentiel de continuer à stimuler très concrètement et puissamment cette dynamique. Sur ce sujet majeur pour l'attractivité de notre pays, pour éviter la fuite des cerveaux, pourriez-vous nous dire, Madame la ministre, si vous soutenez cette initiative et quelles sont les mesures engagées de votre côté pour rendre plus attrayant l'univers français de la recherche pour les chercheurs qui le font vivre ?

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