Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques :

Sur ce dernier point, la Cour des comptes assiste les pouvoirs publics dans la mission d'évaluation des politiques publiques. Nous essayons de prendre l'initiative de quelques évaluations, que nous vous adressons et que nous rendons publiques. Nous répondons également à des demandes d'évaluation formulées par les commissions des finances et par le Comité d'évaluation et de contrôle, à partir de vos priorités. Le fait qu'une loi prévoie systématiquement que la Cour des comptes réalise une évaluation, risque en revanche d'engorger le travail de la Cour. Nous préférons passer par vos propres commissions, qui sont capables de hiérarchiser et prioriser les demandes. Ce qu'il faudrait, c'est que, de la même façon qu'une étude d'impact est normalement obligatoire, l'exécutif présente, au bout de quelques années, une évaluation des dispositifs.

En ce qui concerne les dépenses fiscales, nous ne travaillons pas simplement à plat, madame Cariou. Nous essayons de donner un peu d'épaisseur à nos travaux, et nos observations en matière de dépenses fiscales sont le résultat de contrôles réalisés sur des politiques publiques bénéficiant justement de dépenses fiscales. Il y a des rapports de la Cour sur le logement, où certaines dépenses fiscales sont de véritables effets d'aubaine, d'autres sur l'environnement, où certaines dépenses fiscales se contredisent les unes les autres, d'autres sur l'outre-mer... Notre propos n'est pas qu'il faille systématiquement éviter toute dépense fiscale mais de vous inviter à les revisiter régulièrement pour apprécier leur pertinence. Une action publique peut être utile et efficace à un moment donné et ne plus l'être trois ou cinq ans plus tard.

Nos interlocuteurs au MEDEF ne considèrent pas toujours que l'impôt sur les sociétés (IS) est un problème, dès lors que les entreprises peuvent utiliser à fond certaines niches fiscales. Mais le taux facial est très important. À partir du moment où vous baissez le taux facial, comme vous avez commencé à le faire, il faut revisiter parallèlement les niches qui avaient été justifiées par un taux d'IS élevé. Et nous disons que, quand un plafonnement est fixé à 20 milliards au-dessus du niveau actuel, cela traduit un manque d'ambition par rapport à la nécessité de revisiter ces dépenses.

S'agissant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, nous constatons une baisse sensible, qui traduit des retards dans un certain nombre d'investissements décidés au niveau de l'Union européenne. Mais nous savons qu'ils n'ont pas vocation à perdurer. La loi de programmation pour les finances publiques 2018-2022 prévoit d'ailleurs une augmentation sensible de la contribution. Cette source d'économies va donc se tarir.

De la même façon, la meilleure maîtrise de la charge de dette découlant de taux d'intérêt bas va disparaître. Toutes ces facilités risquent de ne plus exister. Il faudra donc faire des économies, ou maîtriser davantage la dépense, sur d'autres politiques publiques.

Nous raisonnons toujours par rapport à la trajectoire définie par les pouvoirs publics dans la loi de programmation. Nous examinons les écarts, en regardant si les engagements pris ont bien été respectés. Mais la Cour n'a pas à décider du fond de la politique ; il revient au Gouvernement et au Parlement de le faire.

Quant à savoir si l'on peut continuer encore longtemps à améliorer les comptes publics sans effort, je dirais que non. C'est une réponse de bon sens, je crois : à un moment donné, les facteurs extérieurs, qui expliquent une amélioration mécanique, vont disparaître. Il faudra donc bien les remplacer par des mesures structurelles pouvant contribuer à respecter les engagements qui sont pris.

S'agissant de l'investissement local, on constate une reprise en 2017. Comme nous aurons l'occasion d'en débattre à l'occasion de la présentation du rapport sur les finances locales, elle doit pouvoir se poursuivre, mais dans des proportions moindres que ne pouvait le laisser supposer le cycle habituel des investissements entre deux élections locales. L'investissement des collectivités locales n'a donc pas nécessairement retrouvé son niveau d'avant. Mais tout investissement n'est pas non plus vertueux en soi ; certains sont plus pertinents que d'autres.

Oui, la légère augmentation de la provision pour dépenses accidentelles nous semble aller dans le bon sens, car elle doit vraiment correspondre à des dépenses imprévisibles, « accidentelles », de la même façon que la réserve de précaution doit être réservée aux aléas de gestion. C'est une mesure de confort que d'avoir augmenté la réserve de précaution pour prendre en compte les sous-budgétisations. C'est cependant un détournement de l'esprit même de la réserve de précaution.

C'est non seulement un problème vis-à-vis du Parlement, mais aussi une difficulté pour les gestionnaires. Si on veut vraiment les responsabiliser, il est important qu'ils puissent connaître le montant exact dont ils peuvent disposer, afin de prendre les initiatives nécessaires. Nous appelons ainsi à quelque changement de logiciel dans la confection même de la préparation du budget, pour que la responsabilisation des gestionnaires publics soit plus grande. Car elle peut avoir des effets positifs sur la qualité même de l'action publique.

Beaucoup de questions ont été posées sur la démarche de performance. Nous y sommes bien sûr très attachés : dès lors qu'il s'agit d'argent public, l'efficacité et l'efficience de l'action publique sont essentielles. On sait qu'il n'y a pas de lien entre le niveau de la dépense publique et la qualité même de l'action publique, de même qu'il n'y a pas de lien obligatoire entre dépense publique et croissance. Si l'on suivait ce raisonnement, vu le niveau de dépenses publiques que nous avons, nous serions presque les champions du monde de la croissance ! C'est pourtant loin d'être le cas, car nous avons une action publique qui n'est pas toujours efficace.

Améliorer l'action publique ne passe pas nécessairement par des crédits supplémentaires. C'est souvent une question d'organisation et de répartition des moyens, d'effets d'aubaine possibles, d'efficacité, d'efficience... Avant même d'augmenter la dépense publique, il faudrait avoir le réflexe de se demander si les crédits existants sont déjà utilisés au niveau maximal d'efficacité et d'efficience.

C'est pourquoi nous insistons sur la démarche de la performance et sur l'utilité des indicateurs pour pouvoir porter des appréciations. Nous sommes à votre disposition pour vous aider dans cet exercice. Aussi Valérie Rabault avait-elle raison de souligner qu'il est anormal que des indicateurs ne soient pas renseignés. S'ils ne le sont pas, c'est qu'ils ne sont pas utiles. Mais alors, pourquoi les avoir encore ? Nous pourrions faire un gros plan sur la question de savoir pourquoi certains indicateurs ne sont pas renseignés, ou le sont insuffisamment. S'ils ne sont pas utiles, essayons d'en connaître les raisons.

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