Intervention de Aurélien Taché

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Taché, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mesdames les rapporteures pour avis, mes chers collègues, en 2017, une nouvelle majorité est arrivée, avec un projet de transformation globale visant à répondre aux mutations qui bouleversent en profondeur notre économie, notre rapport au travail et l'organisation de ce dernier, car nous sommes convaincus qu'il est l'une des clés de l'émancipation que nous souhaitons pour tous les Français.

La société dans laquelle nous croyons est celle où chaque individu qui veut travailler peut le faire, où le salaire qu'il perçoit en contrepartie de son travail est juste et où le travail accompli enrichit et épanouit, ce qui suppose qu'il soit choisi plutôt que subi et, pour chacun, porteur de sens.

La liberté que nous avons donnée aux entreprises pour accroître l'offre de travail à travers les ordonnances ratifiées l'an passé et la mise en place des emplois francs pour les encourager à recruter dans les quartiers où beaucoup de ceux qui veulent travailler ne le peuvent jamais, ainsi que les actions entreprises pour que le travail paie – suppression de certaines cotisations salariales, augmentation de la prime d'activité – , doivent à présent s'accompagner d'un renforcement de la liberté des travailleurs, indépendants et salariés.

L'époque où l'on réalisait toute sa carrière au sein d'une même entreprise est révolue, et c'est tant mieux. La mobilité professionnelle devient la règle pour une majorité de Français, et ce sont là autant d'occasions de multiplier les expériences et les rencontres, comme d'avoir la certitude aussi qu'une deuxième chance sera toujours permise. Nous ne sommes cependant pas égaux devant les occasions que cette mobilité peut offrir, ni devant les risques qu'elle peut comporter. Notre responsabilité est donc de l'accompagner, afin qu'elle soit vécue par tous comme un progrès, une augmentation de la liberté.

La possibilité de changer beaucoup plus facilement de métier et de région – de vie même – et de ne plus se cantonner à un travail qu'on a plus ou moins été contraint d'accepter ou dont la réalité est finalement très éloignée de celle qu'on avait initialement imaginée, ou qu'on a tout simplement envie de quitter après quelques années pour de nouveaux horizons, est une chose formidable, qui est au coeur du projet de société que nous défendons.

Mais cela implique que votre cursus initial, qui peut par exemple s'être déroulé dans le cadre d'un apprentissage, ne vous ferme aucune porte et soit même valorisé ; que vous puissiez, quel que soit votre niveau de qualification et à tout moment de votre vie, vous former et évoluer ; que vous soyez indemnisé pendant cette reconversion si vous décidez de démissionner ou si l'activité que vous avez lancée venait à échouer.

Cette nouvelle configuration, induite par l'ouverture toujours plus grande de nos sociétés, par la démocratisation des savoirs et de la connaissance et par une économie désormais très largement fondée sur la capacité à innover, appelle la mise en place de protections nouvelles qui permettent à chaque Français d'être équipé face aux risques et de saisir les occasions qui vont se présenter, afin de choisir réellement son avenir. C'est, mes chers collègues, ce que nous allons vous proposer avec ce texte.

À la liberté d'entreprendre doit répondre celle du travail. Dans la société de la liberté du travail que défend cette majorité, un cadre du secteur financier dont le parcours n'a été guidé que par des conventions sociales dominantes et qui a fini par s'en libérer peut demain devenir boulanger, et un jeune qui n'a pas terminé ses études parce qu'il n'en percevait pas l'intérêt peut se former et le remplacer.

Ces changements sociétaux majeurs, liés tant à la transformation de notre économie qu'aux aspirations de nos concitoyens à plus d'autonomie, conduisent, derrière une apparente stabilité, à des évolutions fondamentales du marché du travail. Certes, celui-ci comprend toujours 80 % de salariés en contrat à durée indéterminée, 10 % de travailleurs indépendants et 10 % de personnes relevant de contrats de travail « atypiques », mais alors que, depuis les années 1970, le nombre de travailleurs indépendants baissait, il augmente à nouveau aujourd'hui. Cette catégorie accueille de surcroît de nouveaux profils sociologiques, éloignés des métiers classiques qui la composaient alors – professions libérales, commerçants et artisans – , avec des personnes sans patrimoine qui cherchent à développer leur propre activité, mais qui sont mal appréhendées par notre modèle social, et donc plus exposées à la précarité – je pense ici aux graphistes et aux traducteurs, mais aussi aux chauffeurs de voitures de tourisme avec chauffeur ou aux livreurs, ou encore aux nombreux travailleurs indépendants à qui certaines entreprises industrielles ou du domaine de l'informatique sous-traitent une part de leur activité.

Beaucoup de ces travailleurs revendiquent la flexibilité et la liberté qu'offre la qualité d'indépendant : la possibilité de choisir ses horaires, de maximiser ses revenus et d'aménager la manière dont on travaille – bref, d'échapper à tout lien de subordination – , qui est sans doute le niveau maximum de l'émancipation et doit donc être facilitée pour tous ceux qui le souhaitent.

Ces travailleurs qui ne veulent pas être salariés ont cependant besoin d'être protégés et de pouvoir, comme les salariés, se former, négocier, être couverts en cas d'accident et avoir la garantie d'un revenu décent. Nombre d'entre eux travaillent avec des acteurs économiques tels que les plateformes de mise en relation qui révolutionnent des secteurs entiers et dont ils sont parfois tributaires pour une large part de leur activité.

C'est pourquoi je proposerai, au-delà de la nouvelle allocation qui sera créée pour tous les travailleurs indépendants et sur laquelle je reviendrai, un amendement qui vise à encourager cette responsabilité sociale, en définissant un cadre susceptible de sécuriser ces relations de travail et d'assurer concrètement et sans délai des droits nouveaux à ces travailleurs.

Les différentes plateformes ou donneurs d'ordre qui veulent bénéficier de cette sécurisation devront en effet s'engager dans la réalisation de chartes qui définiront les droits et obligations des travailleurs avec lesquels ils sont en relation, en particulier leur caractère non-exclusif et les dispositions qu'elles prévoient en matière de prévention des risques, de garanties de revenus ou de cadre de négociation, ainsi qu'en cas de rupture des relations. Ces chartes, qui pourront être homologuées par le ministère du travail, seront ensuite opposables aux parties. L'amendement prévoit aussi qu'à partir d'un certain niveau de chiffre d'affaires, les plateformes devront désormais abonder le compte personnel de formation des travailleurs avec lesquels elles sont en relation, au niveau de celui d'un salarié à temps plein.

Ainsi poserons-nous, mes chers collègues, un cadre nouveau et protecteur pour tous les travailleurs de l'économie collaborative.

Afin par ailleurs de reconnaître les apports de cette économie en matière d'insertion, je proposerai un autre amendement visant à permettre à celles de ces plateformes qui fonctionnement selon un modèle coopératif et solidaire d'être éligibles aux financements de l'insertion par l'activité économique. Je suis en effet convaincu que, pour des personnes qui souvent n'ont pas travaillé depuis longtemps et qui peuvent avoir de vraies difficultés sur le plan relationnel, en termes de stabilité ou pour respecter un emploi du temps, le travail indépendant, qui laisse une plus grande autonomie, peut être une solution pour sortir de l'exclusion.

Au-delà de la recrudescence du travail indépendant, nous assistons également, ces dernières années, au développement sans précédent des contrats courts, notamment d'une durée de moins d'un mois. Selon l'UNEDIC, 80 % des embauches actuelles se font avec des contrats de moins d'un mois et les deux tiers correspondent à des relations de travail durables. La précarisation du travail devient alors un phénomène structurant, qui enferme les salariés dans des allers-retours entre emploi et chômage. Des mesures fortes sont nécessaires pour la faire reculer. À cela s'ajoute un taux de chômage toujours élevé – un peu plus de 9 % – , qui concerne de nombreux jeunes : 1,3 million d'entre eux sont, malheureusement, encore au chômage, et près d'un sur deux dans certains quartiers.

C'est donc pour eux et pour répondre à ces différents enjeux que nous engageons cette réforme – pour ne plus nous contenter de contempler les mutations à l'oeuvre telles que les contrats courts, l'auto-entreprenariat, le développement des plates-formes digitales de mise en relation, la réorientation professionnelle et les besoins croissants de formation, mais pour les transformer en autant de chances à saisir pour l'ensemble de nos concitoyens.

Le Gouvernement a pris toute la mesure de ces évolutions en demandant d'abord aux partenaires sociaux d'en tenir compte pour l'application du programme présidentiel soutenu par la majorité. Il s'agissait de revoir tout le système de formation pour le rendre plus opérationnel et mieux ciblé sur les publics qui ont le plus de difficulté à retrouver un emploi, et d'étendre l'assurance chômage aux travailleurs indépendants et aux salariés démissionnaires, pour les accompagner dans leur mobilité.

Les partenaires sociaux doivent en outre s'engager pour mieux encadrer le recours aux contrats courts, qui sont facteur de précarité et de déstabilisation des finances de l'UNEDIC. Il convient en effet de préserver ces dernières, d'abord pour garantir les droits actuels des demandeurs d'emploi, qu'il faut sanctuariser, ensuite pour les étendre, dans une vraie logique d'universalité.

Le 22 février dernier, un accord national interprofessionnel a été adopté et paraphé par l'ensemble des organisations représentatives, à l'exception de la CGT. Cet accord, fruit d'un dialogue social de plusieurs mois, correspond en partie aux engagements présidentiels et se trouve pour l'essentiel retranscrit dans le projet de loi. Je ne peux qu'en féliciter le Gouvernement. Le texte pose bien, en effet, les bases d'une universalisation de l'assurance chômage. Il répond ainsi aux transformations du marché du travail et aux besoins de mobilité professionnelle et d'encouragement de l'initiative de création d'activité. À cette fin, il prévoit tout d'abord l'ouverture de l'assurance chômage à des publics qui en étaient jusqu'alors exclus : les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants.

L'ouverture aux démissionnaires a pour objet de favoriser l'initiative individuelle de reconversion professionnelle et de création ou de reprise d'entreprise. En effet, de nombreux Français qui ont un projet n'osent pas s'engager, car sa réussite suppose d'avoir du temps à y consacrer et de quitter son entreprise sans être indemnisé. De facto, cette démarche est donc aujourd'hui réservé à ceux qui ont pu épargner, et donc aux plus aisés. En ouvrant aux démissionnaires le droit de percevoir l'assurance-chômage, nous rendons accessible à tous les Français la liberté d'entreprendre ou de choisir son travail.

Afin que la prise de risque inhérente à cette démarche soit cependant mesurée et ne se transforme pas en chômage forcé, les salariés souhaitant démissionner devront élaborer leur projet, dont la réalité et le sérieux devront être validés par une instance paritaire qui sera créée à cette fin, et recevront au préalable un conseil en évolution professionnelle.

Quant à l'ouverture aux indépendants, elle a pour objet de mieux protéger cette population contre le risque de perte d'activité. La situation des indépendants a en effet beaucoup évolué avec le temps et les raisons historiques qui justifiaient leur exclusion du champ de l'assurance chômage – à savoir leur capacité supposée à s'auto-assurer grâce à leur patrimoine – sont aujourd'hui dépassées. Le Gouvernement prévoit donc, en plus des mesures que j'ai évoquées tout à l'heure à propos des plateformes, la création d'une allocation spécifique, d'un montant forfaitaire de 800 euros, versée pendant une durée maximum de six mois. À mon initiative, la commission des affaires sociales a précisé que cette allocation serait financée par une partie des ressources fiscales affectées à l'avenir à l'UNEDIC, et non par des cotisations, dans une véritable logique d'universalisation.

Parce que des droits élargis ne peuvent être assurés que si l'UNEDIC est en bonne santé financière, il faut, comme je l'ai dit, lutter contre la multiplication des contrats courts, notamment ceux de moins d'un mois, qui pèsent lourdement sur l'équilibre de l'assurance chômage.

Les partenaires sociaux se sont engagés à ouvrir des négociations de branche et à formuler des propositions. Gageons qu'elles seront suffisantes. Si toutefois elles ne l'étaient pas, le Gouvernement pourra mettre en oeuvre par décret un mécanisme de bonus-malus sur la contribution patronale à l'assurance chômage, entreprise par entreprise, en fonction du nombre de contrats donnant lieu à l'inscription de l'ancien salarié sur la liste des demandeurs d'emploi.

La commission a adopté deux amendements importants à l'article 29. Le premier, du groupe La République en marche, fait entrer dans le champ du bonus-malus les contrats de mise à disposition conclus entre les entreprises d'intérim et les entreprises utilisatrices des travailleurs intérimaires. Le second permet de moduler la contribution patronale d'assurance chômage selon un nouveau critère : le secteur d'activité de l'entreprise, qui permettra de tenir compte, en cas de mise en oeuvre du bonus-malus, des spécificités de chaque type d'activité.

Ces mesures permettraient d'en finir avec les entreprises qui, au sein de chaque secteur, usent et abusent de ces contrats et enferment leurs salariés dans la précarité, et de reconnaître, à l'inverse, l'effort de celles qui se battent pour leur proposer un emploi de qualité qui leur permette de se projeter dans l'avenir.

Toujours afin de lutter contre la multiplication des contrats courts, la commission a adopté un amendement, déposé par mes soins, visant à expérimenter le remplacement de plusieurs salariés par un seul salarié en CDD, ce qui est impossible en l'état du droit et peut être réellement utile dans certains secteurs d'activités.

Au-delà de ces mesures paramétriques importantes pour l'équilibre de l'assurance chômage, le chemin ouvert vers l'universalisation des droits appelle une réforme profonde de son financement. Après la suppression de la contribution salariale, qui transforme du salaire brut en salaire net pour tous les Français, et la réduction de la contribution patronale, qui donne autant de marge aux entreprises pour recruter et dont les bases ont été posées dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, l'UNEDIC percevra donc des recettes fiscales – il s'agira d'une fraction de CSG – , dans des conditions définies par la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. La création de droits pour tous, attachés aux individus et non plus aux statuts, et qui facilitent ainsi le passage de l'un à l'autre, appelle en effet un financement par tous, et donc par l'impôt. Elle implique aussi une nouvelle responsabilité pour le Parlement, qui devra désormais se prononcer chaque année sur les recettes qu'il conviendra d'allouer au régime de l'assurance-chômage.

Cette réforme du financement implique aussi, logiquement, celle de la gouvernance. Le Premier ministre adressera ainsi un document de cadrage aux partenaires sociaux avant les négociations de la convention d'assurance chômage, afin de définir notamment la trajectoire financière qu'elle devra respecter.

À mon initiative, la commission des affaires sociales a adopté deux amendements tendant à associer davantage les partenaires sociaux à l'élaboration du document de cadrage. Il s'agit, d'une part, d'instaurer une concertation préalable systématique avec eux sur le contenu de ce document avant sa transmission par le Premier ministre et, d'autre part, de prévoir que le document de cadrage indique les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles est fondée la trajectoire financière, ainsi que les prévisions à trois ans du montant des recettes fiscales affectées à l'avenir à l'assurance chômage.

Là encore, il s'agit de la conséquence du changement de logique que nous opérons : l'universalité des droits suppose un financement par l'impôt, et donc une plus grande intervention de l'État. La promesse d'un régime d'assurance-chômage véritablement universel sera bien tenue.

Le titre II du projet de loi rénove enfin les relations entre les demandeurs d'emploi et Pôle Emploi, afin de développer un lien de confiance encore plus grand, gage d'une recherche d'emploi efficace et bien accompagnée.

L'article 34 prévoit ainsi d'expérimenter pendant dix-huit mois, dans deux régions, la tenue par les demandeurs d'emploi d'un « journal de bord » actualisé régulièrement et permettant donc un lien plus direct et moins administratif avec le conseiller de Pôle Emploi.

À l'initiative de la majorité et de votre rapporteur, une attention particulière sera portée, dans le cadre de cette expérimentation, aux personnes souffrant d'un handicap ou maîtrisant mal le français, afin que ce nouvel outil d'accompagnement leur soit adapté, et d'anticiper les éventuelles difficultés qu'elles pourraient rencontrer pour l'utiliser.

L'article 35 modernise, quant à lui, la définition de l'offre raisonnable d'emploi, qui évolue aujourd'hui avec le temps selon des critères mécaniques mal adaptés. Là encore, la définition de l'offre raisonnable d'emploi – ORE – de gré à gré s'appuiera sur la relation entre le demandeur d'emploi et son conseiller, permettant réellement de l'ajuster à la situation de chacun.

Je signale enfin que les articles 36 bis et 36 ter résultent de l'adoption par la commission de deux amendements de nos collègues de l'opposition.

L'article 36 bis prévoit que la décision de Pôle Emploi relative à la mise en paiement de l'allocation d'assurance mentionne, à peine de nullité, les voies et délais de recours. Il résulte de l'adoption de deux amendements identiques des groupes Nouvelle Gauche et GDR.

Quant à l'article 36 ter, qui résulte de l'adoption d'un autre amendement du groupe GDR, il prévoit la remise au Parlement, dans un délai de deux ans suivant la promulgation de la loi, d'un rapport sur le non-recours aux droits en matière d'assurance chômage, car l'effectivité des droits est pour nous une absolue priorité.

Je suis bien conscient que cet esprit de concorde ne régnera pas nécessairement sur l'ensemble de nos débats, …

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