Intervention de Sylvie Charrière

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Charrière, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le boom technologique, les révolutions numérique et robotique, la naissance d'une économie verte provoquent une évolution rapide des métiers : 50 % des métiers qui seront exercés en 2030 n'existent pas encore. Il y a donc une nécessité à ce que chacun puisse se former tout au long de la vie et dispose, grâce à une formation initiale solide, des ressources lui permettant de s'adapter.

Mais avons-nous mis en place tous les dispositifs permettant à chaque concitoyen de vivre au mieux toutes ces mutations ? Je ne le pense pas. Comment tolérer, en effet, que 1,3 million de nos jeunes ne soient ni à l'école, ni à l'université, ni en apprentissage, ni en emploi ? Comment supporter que, chaque année, 100 000 jeunes sortent du système scolaire ou universitaire sans diplôme ? Comment accepter le fait qu'à diplôme, âge et parcours équivalents, il soit plus difficile d'accéder à un emploi lorsque l'on habite dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ? Comment expliquer que de nombreuses entreprises peinent à trouver des jeunes et, inversement, que de nombreux jeunes renoncent à l'apprentissage faute d'avoir trouvé un lieu de stage ? De même, pourquoi maintenir des formations sans débouchés réels ? Il est aujourd'hui très complexe de faire coïncider les filières qui attirent les jeunes et celles favorisant réellement l'insertion.

En tant que responsables politiques, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, de ce système qui ne parvient ni à endiguer le chômage de masse des jeunes, ni à protéger les plus vulnérables contre le manque de compétences ou leur obsolescence – d'autant que la croissance économique repart. Nous ne pouvons pas laisser les jeunes et les personnes les moins qualifiées en marge de cette dynamique.

Notre devoir est donc d'assurer à tous nos jeunes l'acquisition d'un socle de compétences d'adaptabilité ; de rapprocher le monde de l'entreprise de l'école, pour que la pratique puisse nourrir, illustrer, enrichir la théorie, et pour que les diplômes soient plus lisibles et « insérants » ; de faire en sorte que toutes les structures qui accueillent un jeune l'accompagnent au mieux dans la construction de son projet personnel et professionnel, afin qu'il puisse trouver une voie, sa voie, mais qu'il ait aussi un droit à l'erreur.

Il était important de répondre à l'ensemble de ces problématiques : telle est l'ambition de ce projet de loi.

Celui-ci devrait notamment permettre, grâce à la création d'une préparation à l'apprentissage – qui pourra être organisée dans des CFA mais aussi dans d'autres organismes, comme les écoles de la deuxième chance – , d'accompagner des jeunes afin de rendre optimales les conditions de leur entrée en apprentissage ; d'ajouter davantage de médiation entre les deux parties lors d'une rupture de contrat ; dans le cadre de l'orientation, de donner aux régions la pleine responsabilité d'informer sur les métiers et les formations, mission qu'elles assumaient déjà en partie en s'appuyant sur leur connaissance du tissu économique local ; grâce à la transparence des données concernant notamment les taux d'insertion des filières et d'obtention des diplômes, d'informer les familles sur la qualité des formations proposées ; de créer un établissement public, France compétences, qui devra notamment émettre des recommandations sur la qualité des formations effectuées au regard de leurs résultats en matière d'accès à l'emploi et à la qualification.

La commission des affaires culturelles et de l'éducation s'est saisie de sept articles dont les thèmes principaux sont l'orientation, l'apprentissage et la certification professionnelle. Suite à d'intenses débats, nous avons contribué à enrichir le texte de plusieurs façons.

Ainsi, en matière d'orientation, qui comprend l'information et l'accompagnement des jeunes et de leur famille, nous avons voulu nous assurer de la bonne coordination entre la région et les acteurs du monde éducatif – dont, entre autres, les psychologues de l'éducation nationale et les enseignants, volontaires et formés à cet effet. De même, nous avons voulu nous assurer, grâce à la définition d'indicateurs, que les centres de formation d'apprentis, mais aussi les lycées professionnels, mettront tout en oeuvre pour intégrer de jeunes décrocheurs, y compris ceux issus des quartiers défavorisés, pour éviter qu'ils ne rompent leur contrat et pour les accompagner s'ils souhaitent se réorienter ou poursuivre leurs études. Nous avons aussi souhaité compléter les missions des CFA en leur demandant d'informer les apprentis de leurs droits et de leurs devoirs et de mieux les accompagner dans leur parcours de formation. Une telle sécurisation des parcours nous a semblé essentielle, à la fois pour rassurer les familles et les enseignants et pour rendre cette voie plus attractive.

Nous avons également enrichi le texte en veillant à ce que les contrats de plan régionaux de développement des formations et de l'orientation professionnelle, les CPRDFOP, comprennent une partie consacrée aux personnes en situation de handicap ; en demandant aux régions, dans le cadre du CPRDFOP, d'encourager la signature de conventions entre les lycées professionnels et les centres de formation d'apprentis, de façon à favoriser la mise en place de passerelles entre ces deux voies et, à travers la mutualisation de plateaux techniques, à faire converger la formation initiale temps plein et la formation en alternance ; enfin en diversifiant les voies d'accès aux filières professionnelles : outre la prépa-apprentissage, déjà prévue dans le texte initial, nous avons en effet acté la création d'une « prépa-métiers » en classe de troisième.

Les travaux de la commission des affaires sociales ont aussi permis d'enrichir ce texte, mais nous devons aller encore plus loin.

Concernant les facteurs humains, de nombreux acteurs contribuent à favoriser l'insertion des jeunes, qu'ils soient collégiens, lycéens ou universitaires. Chacun a son importance, mais la plus grande difficulté, selon nous, est de coordonner leurs actions – qu'il s'agisse du monde éducatif, du monde associatif, du monde économique ou du monde institutionnel – et surtout de valoriser et de développer l'alternance.

Dans le monde éducatif, tout d'abord, il serait important que, lors des phases d'orientation en troisième, les enseignants ne vivent pas comme un échec le départ d'un jeune vers la voie professionnelle ; que le chef d'établissement ne soit pas évalué en fonction du taux de passage en seconde générale, mais plutôt sur la question de savoir si l'élève, quelle que soit la voie choisie, poursuit sa formation, l'important étant qu'il ait pu, grâce à un accompagnement adéquat, bien définir son projet. Il sera aussi nécessaire que les régions travaillent avec le monde éducatif pour proposer, quel que soit le territoire, les actions d'information les plus pertinentes possibles. De plus, dans la perspective annoncée d'une réforme du lycée professionnel et compte tenu de la volonté ministérielle de développer l'apprentissage au sein de ces établissements, la possibilité pour chaque lycéen de partir au moins un an en apprentissage pendant sa scolarité nous semble une voie très prometteuse. De même, pour résoudre les difficultés de mobilité, il est important de rendre visible et de développer l'offre d'hébergement, notamment grâce à la création de véritables campus des métiers.

S'agissant, ensuite, du monde associatif, il est important d'en préserver la richesse et de l'accompagner car, par ses différentes actions en direction du monde éducatif, des jeunes décrocheurs ou des jeunes des quartiers défavorisés, il contribue à lutter contre l'échec scolaire.

Par ailleurs, dans le monde professionnel, les branches vont avoir une grande responsabilité : elles devront être capables, grâce à leurs observatoires, de réaliser une analyse prospective sur l'emploi immédiat et à venir et sur la définition des besoins en compétences des entreprises – et donc sur la co-élaboration des titres et des diplômes. Par voie de conséquence, les centres de formation d'apprentis mais aussi les lycées professionnels devront être capables de faire évoluer leur offre de formation. Les entreprises, quant à elles, vont devoir se mobiliser pour offrir davantage de propositions d'alternance et accepter que les maîtres d'apprentissage se forment et soient valorisés. Le choix par l'entreprise du maître d'apprentissage est crucial, car bien plus qu'être un bon professionnel, il doit faire preuve de qualités pédagogiques et humaines. Pour faciliter l'adaptation du jeune au monde de l'entreprise et du travail, il nous semble donc nécessaire que les branches intègrent ces critères au moment de définir la certification du maître d'apprentissage.

S'agissant, enfin, du monde institutionnel, l'État doit, dans un souci d'équité et pour une meilleure visibilité des offres de formations, maintenir une offre nationale d'information, mais aussi élaborer un outil – une plateforme nationale, par exemple – facilitant le matching, le sourcing des jeunes et des entreprises – ce qui favorisera aussi la création de CFA. Dans un souci d'efficacité, d'économie et d'équité, il devrait également aider les régions à bien articuler le parcours d'orientation des jeunes avec les établissements scolaires.

S'appuyant sur la comparaison avec l'Allemagne, moins confrontée à la lourde problématique du chômage massif des jeunes, notamment parce que l'apprentissage y fait partie intégrante de la formation initiale et parce que les branches y sont fortement mobilisées, de nombreuses réformes concernant l'apprentissage se sont succédé, sans faire réellement évoluer le nombre d'apprentis. Ce projet de loi vise donc à rebattre les cartes en matière de responsabilité. De plus, en informant mieux les jeunes, en les accompagnant davantage, en s'assurant de la cohérence et de l'efficience de tout le système, il doit faire évoluer les mentalités. Cette réforme vise à rendre l'offre de formation beaucoup plus réactive, dynamique et surtout à donner de nouvelles perspectives à notre jeunesse.

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