Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Par conséquent, c'est une erreur, encore une fois, de croire que l'on aurait affaire à deux ordres d'enseignement hiérarchisés.

Ce qui est hiérarchisé, en réalité, c'est le regard que l'on porte sur ces deux genres d'enseignement. L'espèce humaine est ainsi faite que le désir mimétique joue un rôle déterminant dans ses comportements. Si on a l'impression que ceux qui exercent tel ou tel métier le font comme une corvée, qu'ils sont au bagne et y sont maltraités, eh bien, ce métier, on n'a pas envie de l'exercer ! Autrement dit, tous les regards sur les enseignements professionnels sont socialement déterminés par celui qui regarde, non par la chose regardée.

Je crois être suffisamment instruit de la réalité dont il est question pour pouvoir le dire devant notre assemblée : vous vous trompez, mes chers collègues, si vous croyez que l'apprentissage est en lui-même la voie royale pour former la main-d'oeuvre. Non : toutes les formes de l'enseignement professionnel dépendent de la nature des métiers et de l'organisation sociale générale.

On n'a jamais cessé de vanter le modèle allemand. Mais, si on l'invoque, il ne faut pas se contenter d'en prendre seulement un bout ; il faut le prendre dans son ensemble. En Allemagne, vous entrez comme apprenti dans une entreprise, puis vous y faites toute votre carrière. Ainsi, vous pouvez fort bien commencer comme apprenti avant de devenir ingénieur et même P-DG – il y en a eu au moins un exemple. Mais le système de négociation au sein de l'entreprise est tout autre. Chez nous, on entre dans les métiers à tous les étages, grâce à des diplômes – de ceux-ci, nous allons parler ; ils sont fondamentaux. C'est une autre organisation : ne la déprécions pas, elle a d'immenses avantages. Les travailleurs allemands se trouvent en grande difficulté lorsque se présente un saut technologique au sein d'un processus de production. Ce n'est pas le cas des travailleurs français. Par exemple, quand sont arrivées les machines à commande numérique, l'industrie allemande a fait face à toutes sortes de problèmes avant que la génération qui faisait tourner les anciennes machines soit capable de faire tourner les nouvelles.

Le cycle d'une machine est parfois de dix ou quinze ans. Peut-être certains, ici, ont-ils été témoins de l'utilisation des vieilles Heidelberg, avec les lignes de plomb en 1875. Ces machines ont été utilisées jusque dans les années 1970 ; mais, désormais, il n'y a plus de lignes de plomb dans l'imprimerie, non plus que de Maurras ou n'importe quoi d'autre de ce genre ! Dans des cycles aussi longs, celui dont l'apprentissage avait été progressif s'y retrouvait, car les choses n'évoluaient guère. Mais lorsque survient un saut technologique, tout change ! Quel est le travailleur le plus efficace au moment de cette mutation ? Celui dont la formation est la plus ample, la plus vaste et la plus riche d'éléments de connaissance générale.

C'est exactement ce qui fit la force des Français ; il ne faudrait pas l'oublier au milieu des jérémiades sur l'éducation nationale, avec ce chiffre toujours ressassé des 100 000 élèves qui en sortent sans qualification – sans que quiconque se soucie de nous dire où il a vu un seul système assurer 100 % de réussite. Lorsque l'on s'occupe de 12 millions de jeunes, dont 100 000 n'aboutissent pas, en effet, au résultat que l'on souhaite, eh bien, on trouve les moyens d'y remédier mais on n'en fait pas le symbole même de notre éducation !

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