Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

mais le cadre du temps législatif programmé me donne le temps d'expliquer nos principes, et je voudrais vous exposer ce à quoi nous croyons, pour que vous compreniez bien quel sera notre angle d'entrée dans la discussion des articles.

Nous sommes partisans de la professionnalisation durable. Ce concept signifie qu'il faut rendre le travailleur capable par lui-même de s'adapter au changement inéluctable des machines, puisque, comme je l'ai dit, le cycle est passé de dix à cinq ans. Il faut le rendre capable de s'adapter aux nouvelles conditions de la production. Personne n'a dit qu'un savoir ou une qualification professionnelle était immuable. Le concept doit donc être celui-là.

Agissons avec modestie à chaque fois que nous touchons aux questions d'éducation. Les jeunes gens qui naissent à cette heure entreront sur le marché du travail en 2041. En disposant des questions éducatives, nous disposons pour dix, vingt, trente ans. Personne ne doit avoir la fatuité de penser qu'il trouvera haut la main la baguette magique qui rend les gens instantanément adaptés ou qui leur permettra de connaître les processus de production dans dix ou vingt ans.

J'ai nommé tout à l'heure la condition numéro un de l'adaptabilité, que vous appelez employabilité : c'est d'avoir un socle de connaissances assez large pour pouvoir vivre ces variations de la production et de ses outils. La professionnalisation durable suppose que le cadre donné soit le plus large possible. Nous ne devons donc pas nous tromper sur ce que nous sommes en train de faire.

J'ai noté, madame la ministre, que plusieurs des rapporteures utilisaient le mot de compétences. Sans être leur garde-mots, je suis certain que nous savons bien de quoi nous parlons. Donc, vous ne parlez pas de compétences par hasard. En 2001, la France a obtenu de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – qu'elle retire la référence aux compétences, pour lui préférer les qualifications. Ce n'est ni le même mot ni la même chose, du tout.

La qualification s'évalue par un ensemble de savoirs qu'il faut faire entrer dans le diplôme, la bonne monnaie, celle garantie par l'État, comme une aptitude professionnelle, large, étendue. C'est le diplôme : certificat d'aptitude professionnelle – CAP – , bac professionnel, et autres.

J'ai lu que la partie cachée de tout cela – peut-être M. Blanquer viendra-t-il nous en parler – est la réforme aussi de la définition des qualifications professionnelles. Et j'ai lu, dans un journal, un article qui ironisait sur le fait que les compétences étaient trop nombreuses – une accusation qui n'avait peut-être pas d'objet. L'auteur s'étonnait, par exemple, qu'une distinction soit faite entre le gros oeuvre et le second oeuvre dans le bâtiment. Encore heureux que l'on fasse cette distinction, vu que l'un et l'autre n'ont strictement rien à voir !

Il y a beaucoup de désinvolture dans l'analyse qui est faite des métiers et de la façon de les apprendre. Qualification et compétence sont deux concepts qui ont immédiatement une implication sociale : les gens regardent d'abord l'aspect du contenu des savoirs, mais une qualification, c'est un ensemble.

J'ai aussi entendu certains membres du Mouvement des entreprises de France – MEDEF – dire qu'il faudrait moderniser les diplômes. « Vous n'avez qu'à le faire vous-mêmes ! », leur ai-je dit. « Vous avez vos représentants dans les commissions qui établissent les diplômes. Si vous n'êtes pas contents de ceux que vous avez envoyés là, mettez-en d'autres, qui font moins carrière dans les bureaux et un peu plus dans la production. C'est votre affaire ! Vous n'avez pas le droit de dire qu'en France, les diplômes ne sont pas adaptés aux postes de travail, car vous êtes aussi responsables – avec d'autres – de cette situation. » Mais mettons cela de côté.

La qualification, c'est le coeur précieux que les Français, et eux seuls, ont apporté dans la définition des enseignements professionnels, et que les autres ont imité. Nous n'avons eu aucune difficulté à définir des diplômes européens – tout le monde blablate beaucoup sur ce sujet. Il était d'abord impossible d'établir des équivalences, parce que les diplômes correspondent à des postes de travail qui n'existaient pas de la même manière dans chaque pays.

La seule fois où on a fait quelque chose d'utile, c'est quand on a créé quatre diplômes correspondant à quatre qualifications, et qu'on a discuté entre experts de leur contenu. Alors, on s'est aperçu – chose magnifique ! – que les mots ne désignaient pas les mêmes réalités, mais que le contenu des métiers était bien le même. C'est cela qui était intéressant : voir des Allemands, des Espagnols, des Anglais se mettre d'accord. Des Anglais, vous imaginez ! Il n'y a pas pire libéraux que ceux-là. Et c'était à l'époque de Blair ! La ministre, à qui je faisais remarquer que, d'habitude, les Anglais n'étaient pas pour l'État, m'a répondu qu'ils voulaient à présent essayer, car ce qui avait été fait était un désastre.

Les Anglais avaient créé des clubs qui dirigeaient des entreprises de formation qui possédaient les diplômes. Dans ce système, parce qu'ils sont anglais, ils n'ont rien trouvé de mieux à faire que de vendre la propriété de ces clubs en en cédant des actions. C'était la totale : au bout d'un moment, plus rien ne marchait, puisque, dans chacune de ses composantes, les responsables des clubs recrutaient eux-mêmes les personnes qui avaient les diplômes de leur entreprise. À la fin, évidemment, le niveau baissait parce qu'il fallait gagner de l'argent sur les deux côtés – à la production du savoir et à la consommation, en tant qu'ouvrier. Un désastre !

Nous, les Français, sommes restés bien fermes sur nos positions. Et il ne faut pas lâcher prise. Je vous le dis : ne lâchez pas prise ! La qualification est le seul repère stable et sérieux que l'on puisse mettre en avant dans une professionnalisation durable, parce que les métiers de notre époque sont des sciences pratiques et que le niveau technique des métiers ne cesse de monter.

Si quelqu'un en doute, comme je l'ai vu parfois, qu'il regarde une chaîne de production alimentaire : la femme ou l'homme responsable de la maintenance du système automatisé qui fait passer les barquettes sur le tapis roulant vaut autant que l'inventeur de la machine elle-même, parce que si la machine s'arrête, la remettre en route est terriblement coûteux. En fond de tableau, il y a un gars qui passe avec un balai. Celui-là, s'il ne fait pas correctement son travail, c'est-à-dire s'il n'a pas bien compris quel produit utiliser, dans quelles conditions et dans quelles proportions, alors bactéries et microbes vont se développer. Quand passera l'inspecteur, il fera son boulot : cette chaîne qui fonctionne, il la déclarera pas correcte du point de vue sanitaire. Il n'y a pas de petits métiers, dans cette affaire, et tous ont des contenus techniques élevés. Voilà pourquoi la qualification et sa protection permettent à nous tous, à toute la société, d'entrer dans la discussion de ce que nous apprenons.

Si nous voulons planifier l'industrie du futur, si, par exemple, nous voulons obliger les paysans à ne plus utiliser de glyphosate, il faudra bien leur apprendre comment faire autrement et pourquoi le glyphosate est condamnable – non pour faire suer les paysans, mais pour la raison qui est derrière. Et ainsi de suite, si l'on veut que l'on n'utilise plus tel ou tel produit, ce sont bien les travailleurs eux-mêmes qui vont utiliser d'autres produits. Souvent, ce sont les premiers à savoir ce qui est mauvais pour la santé, non seulement de la personne sur le poste de travail, mais aussi de l'utilisateur final de l'objet.

La qualification est un concept central. Or le texte traite du répertoire des métiers, qui a déjà bien dégénéré depuis qu'il a été créé. Au départ confié à l'éducation nationale – ce n'était pas pour rien – , on l'a ensuite passé au ministère du travail. Les ministres du travail sont tous les mêmes : ils veulent avoir ce truc. Et les ministres de l'éducation nationale – tous les mêmes, également – veulent, et ils ont raison, le garder dans l'éducation nationale, parce qu'il s'agit de la transmission des savoirs. Dans le grand registre où est inscrite la monnaie diplômante de l'État, je veux dire les diplômes de l'État, on a ajouté toutes sortes de titres d'entreprises privées, pensant leur faire plaisir en validant leur processus d'enseignement. Personnellement, j'y suis absolument hostile ; je n'y crois pas.

À présent, on a raccourci à cinq ans la durée d'une qualification inscrite dans le répertoire. J'espère qu'on le dit à ceux qui paient pour entrer dans ce type d'apprentissage. Ils doivent savoir que le diplôme qu'ils obtiendront ne sera pas pour toute la vie, comme celui de M. Mélenchon ou de Mme la rapporteure, mais juste pour cinq ans.

Le pire, c'est que le projet de loi introduit maintenant les certificats de compétences. Ne croyez pas que nous ne l'ayons pas vu. Cela porte un nom ampoulé et compliqué, long comme le bras, que je cite de mémoire : « certificat de compétences supplémentaires à la qualification professionnelle ». C'est un certificat de compétences, et une belle erreur. Ne permettez pas qu'existent des certificats de compétences, en développant, en plus, le marché de l'enseignement de ces certificats !

Voici un exemple qui vous fera comprendre pourquoi nous y sommes aussi hostiles. Pour nous, l'enseignement public est un système par répartition : la génération en cours paie gratuitement les études de la génération en apprentissage. Au contraire, la marchandisation des savoirs est un système par capitalisation. Vous avez un capital financier, que vous transformez en capital de savoirs : ce qui, hier, vous était donné gratuitement, devient payant. Voilà pourquoi, à chaque fois qu'il sera question de passer d'un système à l'autre, vous nous trouverez en travers du chemin.

Mais je veux vous donner un exemple de ce que sont ces certificats de compétences, en vous parlant de l'usine Ford, qui produit des voitures à la frontière des États-Unis d'Amérique. Comme ce n'est pas chez nous, nous n'avons pas de raisons d'être mal à l'aise. Imaginez qu'étant mexicain, vous vous rendiez à l'usine Ford pour travailler. À votre arrivée, parce qu'on vous a dit que ce n'était pas compliqué, vous proposez votre savoir-faire. On vous dit alors que, pour travailler dans l'usine, il faut un certificat de compétences Ford, qui s'obtient à l'école privée, située non loin de là. Vous payez et apprenez les dix gestes qui constituent une compétence, puis retournez à l'usine avec votre papelard.

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