Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Avec une bonne qualification, il y a toujours un temps d'adaptation au poste de travail. Arriver sur un poste et savoir tout faire, cela n'existe pas, dans aucun métier. Il y a toujours un temps d'adaptation.

Les certificats de compétences, s'ils venaient à se développer, seraient la première marchandise vendue par certaines entreprises.

J'ajoute que l'État doit garder la main sur ces formations. N'acceptez pas, comme il est écrit en filigrane dans le texte, les écoles d'entreprises repeintes en CFA d'entreprises. Parlez avec les fédérations patronales, par exemple celles du bâtiment ; demandez-leur ce qu'elles pensent de l'école d'entreprise de M. Bouygues ou de tel ou tel autre gros constructeur. Quand vous êtes jeunes, vous y allez, car on vous promet un boulot à la sortie – pour certains, pas pour tout le monde. Les fédérations du bâtiment savent que les meilleurs éléments rejoignent les grands groupes. Tout le tissu des petites et moyennes entreprises, lui, passe après et prend ceux qui restent – je ne veux pas les méjuger, je dis simplement comment sont les choses. Et lorsque vous parlez avec les représentants du patronat du bâtiment, de la menuiserie ou de la métallerie, ils vous disent qu'ils ne sont pas d'accord pour que la formation, qui, jusqu'à présent, était donnée à des travailleurs qui la choisissaient librement – ça, c'est la liberté ! – , soit accaparée par tel ou tel grand industriel, telle ou telle grande boîte.

Si vous voulez la preuve du contraire, demandez aux jeunes s'ils préfèrent travailler dans le restaurant ou l'hôtel du coin, ou dans une grande chaîne. Tout le monde préfère la grande chaîne, car on y est mieux payé, le travail y est plus fluide – c'est ce que l'on croit. En attendant, cela se passe ainsi.

Donc, si l'on ne donne pas aux jeunes les moyens de cette liberté de choix de l'endroit où ils vont parce qu'ils sont garantis d'y être payés et traités correctement, alors on les enferme dans des filières. Ce n'est pas la liberté que l'on a organisée ; c'est, à partir de la liberté d'enseigner, la restriction du champ des possibles pour les individus.

Au total, nous défendons d'une manière constante la qualification contre, je dirais, la compétence – mais je voudrais tout de suite m'épargner le faux procès selon lequel nous serions contre les gens compétents. Ce n'est pas le sujet, et j'espère que tout le monde m'a bien compris. On ne sait jamais… L'autre jour, j'ai dit que ce n'était pas le rêve de tout le monde de posséder son appartement. Deux ou trois de mes collègues m'ont fait aussitôt un procès selon lequel j'aurais été contre la propriété privée d'un appartement. Étant moi-même propriétaire, cela m'a paru étrange, bien que cela ait l'air de leur faire du bien de le penser.

Pourquoi ces questions prendront-elles une importance singulière ? Madame la ministre, mesdames les rapporteures, vous avez toutes posé la question de l'adaptabilité. Mettons de côté ce qui, dans ce concept, peut éventuellement nous séparer, et prenons ce que nous pouvons avoir en commun. Oui, cela va changer !

Je vais faire le lien avec un événement qui s'est produit ce week-end. M. Trump est parti du sommet, comme vous le savez, et a refusé de signer le papier. On peut l'attribuer – c'est ce que disent les agences d'influence – au fait qu'il veut un rapport de forces favorable avec la Corée du Nord. Tout cela est loin de l'apprentissage, mais nous y ramène – vous allez voir pourquoi. C'est qu'il s'agit d'un changement d'époque.

Les États-Unis d'Amérique ont décidé en 1971 qu'ils émettraient autant de dollars qu'ils le voulaient, et que tout le monde les prendrait, que cela plaise ou non. Cela a créé la bulle financière et relégué l'économie productive au second plan. Nous avons tous entendu ici, une fois ou l'autre, des gens se faire les apologistes d'une économie de services dans laquelle les usines seraient une sorte de souvenir archéologique. Tout le monde est en train d'en revenir, parce que l'on a bien vu que c'est avec des usines que l'Allemagne a accumulé les excédents commerciaux – et, en plus, en se moquant de nous, ce qui lui est toujours agréable.

Or nous avons vu dimanche la confrontation entre deux systèmes de même nature, les Américains demandant la possibilité de reconstituer leur base productive chez eux, et les Allemands, en face, disant : « Pas question que vous nous mettiez des droits de douane de ce genre ! » D'ailleurs, Trump n'a répondu à personne d'autre qu'à eux lorsqu'il a dit : « Justement, les voitures, on va en parler : 25 % de droits de douane dessus, pour vous aider à respirer ! »

On voit que c'est un choc. Peu importe le moment. Qu'est-ce que cela va changer ? Si c'est moi qui vous le dis, vous n'allez pas me croire, mais je pense qu'une séquence longue de l'histoire est en train de s'écrire. Le Président – le nôtre – dit que personne n'est éternel ; d'autres ont fait valoir que c'est un pays démocratique dont on parle, où il y aura des élections. Mais personne n'est jamais revenu sur la décision de Richard Nixon en 1971, personne – aucun gouvernement, ni démocrate ni républicain.

De même, si les États-Unis d'Amérique ont décidé de reconstituer leur base productive, alors nous entrons dans une ère de protectionnisme ; un protectionnisme barbare, fait de confrontations, quand je plaide, moi, le protectionnisme solidaire, c'est-à-dire négocié de pays à pays en fonction des aptitudes, contre le pur et simple système de libre-échange. Mais cela change tout !

Ce sont Les Échos qui le disent : vous voyez, ce n'est ni un journal bolchevik ni un supplément de L'Humanité.

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