Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 21h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, ce projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel mériterait bien plus que les cinq minutes réservées aux députés non inscrits pour que l'on puisse en évoquer tous les aspects.

Je me concentrerai donc sur la réforme de l'apprentissage, qui avait suscité de fortes attentes. Hélas, de vives inquiétudes s'expriment aujourd'hui sur le terrain, car les dispositions envisagées portent atteintes aux outils indispensables pour maintenir l'accès à l'apprentissage dans tous nos territoires, sans donner leur juste place aux régions, qui sont pourtant légitimes pour mener ces politiques.

Je crains que ces mesures ne viennent aggraver, en particulier dans les quartiers et les territoires ruraux, le taux de chômage des jeunes, qui est encore trop élevé. Pourtant, nous le savons tous, l'apprentissage est une voie d'excellence qui permet de maintenir nos précieux savoir-faire et, souvent, elle est le gage d'une insertion professionnelle réussie dans de nombreux secteurs – je pense en particulier à l'artisanat, que je connais bien.

Votre texte remet en cause le rôle des régions, ce qui caractérise, de mon point de vue, une vision centralisatrice à laquelle je ne peux évidemment pas souscrire. C'est une première, depuis les lois de décentralisation, auxquelles je suis profondément attachée.

Alors que les régions disposent de ce lien de proximité et, surtout, de la confiance des entreprises pour mettre en place des contrats d'apprentissage afin d'anticiper les besoins par bassins de vie, votre texte prévoit la fin de l'élaboration de la carte des formations par les régions, ce qui aura nécessairement des conséquences négatives, notamment pour les sections à faible effectif.

En Occitanie, ce sont 6 000 apprentis, soit 17 % d'entre eux, qui fréquentent des sections d'apprentissage en sous-effectif. Cela concernera 68 CFA sur 98 et 623 formations, soit environ 35 %. C'est donc environ 700 CFA qui, sur le plan national, connaissent des sections à faible effectif ou positionnées sur des métiers rares ou émergents qui pâtiront de votre réforme. Votre choix aura immanquablement des répercussions en termes d'aménagement du territoire, ce qui, une fois de plus, accentuera les fractures existantes entre les quartiers, les ruralités et les zones urbaines.

Je considère aussi que votre réforme renforcera les inégalités sociales puisque les familles qui auront des revenus suffisants inscriront leurs enfants dans les villes où l'offre sera plus large et plus globale.

Avec votre projet de loi et la mise en oeuvre du financement au contrat, c'est-à-dire selon un coût uniforme fixé, à Paris, par les branches, vous revenez sur le pilotage précis et réactif de l'apprentissage sur les territoires. Les sections à faible effectif seront menacées de fermeture parce qu'insuffisamment rentables.

Le pilotage de l'apprentissage doit rester régional, et ce n'est pas la compétence « orientation » qui compensera les insuffisances de votre texte. Jusqu'ici, les régions ont joué un rôle d'articulation entre les CFA et les lycées professionnels. Or nous pouvons nous interroger pour savoir qui jouera, demain, ce rôle pourtant indispensable.

Dans un premier temps, le versement de l'aide unique devait être confié aux régions. Or vous avez finalement décidé de le confier à l'État par le biais des administrations déconcentrées, alors que tout le monde s'accorde à dire qu'elles manquent cruellement de moyens. Pour les TPE et les PME, cela ne pourra qu'entraîner des conséquences extrêmement dommageables, puisque de nombreuses régions versaient des aides aux entreprises employant des apprentis en plus de celles octroyées par l'État pour encourager et soutenir l'apprentissage. Je crains que, avec votre réforme, elles cessent de le faire, ce qui vous éloignera de l'objectif poursuivi.

Le développement de l'apprentissage ne peut être assuré que par une juste répartition de la part de financement aux contrats et de la part de financement par modulation. Pour cela, il nous paraît indispensable de ne pas augmenter les charges des entreprises et de donner aux régions une vraie ressource fiscale dynamique qui leur permettra de répondre aux besoins.

J'espère, madame la ministre, que nos débats permettront de redonner des compétences aux régions, car elles sont les mieux placées, avec les entreprises, pour relancer l'apprentissage ainsi que le démontrent les résultats obtenus dans de nombreux territoires grâce à des politiques volontaristes – nous le constatons sur le terrain.

Je pense que nos discussions sur ces différents aspects seront l'occasion d'avancer et de corriger votre texte, car ce point est pour nous essentiel, de même, d'ailleurs, que celui de l'assurance chômage. Ils conditionneront notre vote.

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