Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 21h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, vous avez l'art de donner des titres séduisants à vos projets de loi. Et celui-ci ne fait pas exception puisque vous n'avez pas hésité à le placer sous la bannière de la liberté et du choix.

Si l'on ne peut que s'incliner devant de tels auspices, il n'en reste pas moins à affronter la réalité du marché du travail. Et, malheureusement, il est plus complexe et plus inégalitaire que vous ne le laissez entendre. Je m'explique : comme vous, je constate qu'en France, et malgré bien des mesures et mesurettes distillées par le Gouvernement, le taux de chômage est toujours préoccupant.

Votre réponse ? La formation. Et vous avez raison. C'est d'ailleurs ce que réclament les Français : plus de flexibilité dans leur vie professionnelle. Ils sont 75 % à être prêts à changer de métier. Et, pour cela, 82 % à plébisciter la formation professionnelle.

Pour répondre à cette attente, madame la ministre, vous proposez de développer les formations diplômantes. Mais vous vous y prenez non seulement en supprimant le congé individuel de formation mais aussi en créant un compte personnel de formation, alimenté en euros et non plus en heures, tout en donnant au salarié la possibilité d'en disposer librement.

En clair, vous voulez le responsabiliser en lui donnant la possibilité de gérer ses droits à la formation comme il l'entend. Et cela, à l'aide d'une application numérique. Pourquoi pas ! Je partage avec vous l'idée que, si l'État doit se soucier de chacun, il ne saurait se substituer à lui, au risque de devenir une sorte de big mother infantilisante.

Mais il y a un petit hic, si j'ose dire. Avec une dotation de base de 5 000 euros sur dix ans, comment prétendre accompagner sérieusement, réellement un salarié ?

Parlons chiffres : les formations qualifiantes ou visant des réorientations professionnelles – financées jusque-là par les abondements du congé individuel de formation – seront tout simplement inaccessibles aux salariés, puisqu'un dossier CIF en Île-de-France coûte la bagatelle de 27 000 euros.

Parlons encore apprentissage, et donc orientation. Le temps me manque puisque, je le rappelle, les non-inscrits n'ont pas la possibilité de dépasser leur temps de parole, mais je ne peux pas m'empêcher d'évoquer ici les 390 centres d'information et d'orientation, dont 7 dans mon département, l'Hérault, que le ministère de l'éducation nationale envisage de fermer, une décision préjudiciable au maillage territorial nécessaire pour être au plus proche des jeunes citoyens.

Si vous voulez vraiment aller vers une société « de liberté et de choix », comme vous le dites, encore faudrait-il vous en donner les moyens. Je crois que nous sommes, dans cet hémicycle, repus, pour ne pas dire « overdosés » de déclarations incantatoires, qui ne se traduisent jamais dans les faits.

Je m'interroge également sur les mesures que vous comptez adopter pour lutter contre le fléau des travailleurs détachés.

La France est très accueillante pour eux, avec quelque 354 151 salariés détachés en 2016, soit une hausse de 23,8 % par rapport à l'année précédente. Rappelez-vous : ils étaient à peine 26 466 en 2005. Tout cela, vous le savez bien, se fait au détriment des salariés français. Mais peu vous importe : vous êtes prêts à autoriser des accords internationaux pour aller encore plus loin entre pays voisins. Décidément, vous avez du mal à tirer les enseignements de ce qui se passe pourtant sous vos yeux.

De même, après les annonces du candidat Macron, nous étions en droit d'attendre une réforme en profondeur de l'assurance chômage ; malheureusement, elle n'aura pas lieu.

Prenons l'ouverture des droits au chômage pour les démissionnaires. Au bout du compte, beaucoup de bruit pour rien : les conditions requises pour en bénéficier sont telles que, selon l'étude d'impact, ils ne seront que 17 000 à 30 000 à en bénéficier. Il en va de même de l'allocation spécifique destinée aux travailleurs indépendants.

Autre volet de la loi : la lutte contre les contrats à durée déterminée très courts. Voilà encore une mesure qui reste très en deçà de l'ambition affichée à l'origine. Dommage, d'autant que ce sont, comme on sait, les employeurs publics qui signent aujourd'hui le plus grand nombre de contrats courts.

Quant à l'offre raisonnable d'emploi, dont le Conseil d'État a durci les critères, elle continuera à permettre de refuser quasiment n'importe quel emploi. Dommage encore !

Dans un autre domaine, je défendrai un amendement aux termes duquel tout nouveau service de communication au public en ligne doit être conçu de façon à être nativement accessible. Il me semble normal, en effet, qu'une personne atteinte d'un handicap, notamment malvoyante, puisse avoir accès à toutes les informations destinées au public, au même titre que n'importe quelle autre personne.

Enfin, soyons fair-play : vous voir prendre à bras-le-corps la question de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes – un combat que, bien entendu, je partage – est évidemment positif.

Pour conclure, je dirai de ce projet de loi qu'il est décevant, mais je veux croire que les débats à venir pourront l'enrichir. Je suis toujours optimiste !

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