Intervention de Marine Jeantet

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés :

Comme vous le savez, une mission, à laquelle participe Mme Lecocq, est actuellement en cours, mandatée par les ministres du travail et de la santé pour réfléchir à l'organisation des acteurs. La question des services interprofessionnels de santé au travail (SIST) va être traitée dans ce cadre. Il est clair qu'il existe un problème de structuration de ces acteurs, qui sont des associations très autonomes, fonctionnant avec leur projet de services, qui n'est pas forcément piloté et organisé. Nous signons des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) avec eux. On compte actuellement environ 250 SIST, et 173 CPOM ont été conclus. Nous nous sommes épuisés à signer ces contrats. Encore faut-il ensuite les faire vivre. Ils sont très hétérogènes et il fallait tout d'abord apprendre à travailler ensemble : c'est une première étape. Nous avions anticipé la création des grandes régions et disposons de 16 CARSAT en France. Or il existe, dans certaines régions, jusqu'à 50 services de santé au travail. Il est très difficile d'élaborer 50 modes de collaboration sur mesure et de parvenir à les faire adhérer aux priorités négociées avec l'État. Il y a donc certainement là un sujet d'organisation.

De là à dire qu'il faut les intégrer à la sécurité sociale, il y a un énorme pas et je serais très prudente sur ce point. Je connais bien, à titre personnel, le modèle de la Mutualité sociale agricole (MSA), qui fonctionne selon ce principe. Ce modèle est-il transposable au régime général, sachant que l'on se situe sur des échelles différentes ? La décision ne m'appartient pas. Pour autant, je pense que cela constituerait un énorme pas et qu'il existe peut-être des étapes intermédiaires à franchir avant d'en arriver là. C'est l'objet de la mission confiée à trois personnes qui vont élaborer des scénarios possibles, avec avantages et inconvénients. Il est sûr que, sans même parler de l'inclusion au sein de la sécurité sociale, on gagnerait collectivement à mieux structurer les services de santé au travail, afin de mieux les piloter et de les inscrire dans des priorités globales, comme nous le faisons avec nos CARSAT. Je ne prétends pas que cela soit simple : nos caisses avaient l'habitude d'être assez autonomes et il n'a pas été si facile de les faire entrer dans nos programmes nationaux. Chaque caisse avait, localement, l'habitude de travailler d'une certaine manière et il a fallu élaborer un processus de conduite du changement. Le bilan est aujourd'hui plutôt positif, ce qui montre que cela peut fonctionner pour peu que l'on inscrive la démarche dans la durée.

Un autre volet de votre question portait sur la tarification. Concernant les accidents du travail, les travaux de recherche que nous avons menés avec l'Institut d'études et de recherches en économie de la santé (IRDES) montrent l'impact très net de la tarification. Cette évaluation faisait écho à une critique émanant de la Cour des comptes, qui considérait que nous n'évaluions pas suffisamment nos dispositifs. Nous restions les seuls à appliquer des taux modulables, qui demandent beaucoup de moyens en termes de gestion, et la question pouvait se poser de savoir s'il ne serait pas préférable de passer à un taux unique. Sans doute y a-t-il, en matière d'accidents du travail, un lien assez immédiat entre l'accident et la tarification, qui pourrait expliquer l'effet très net, démontré par l'IRDES. Cette étude nous a donc encouragés à poursuivre nos actions. Nous avons par ailleurs créé pour les TPE, qui sont en taux collectif, un nouveau module qui va entrer en vigueur en 2021, afin d'envoyer un signal aux entreprises de 10 à 20 salariés qui auront un accident avec arrêt par an pendant trois années consécutives. Actuellement, ces entreprises sont soumises à un taux collectif, indépendant de leur secteur d'activité. L'idée est, tout en restant dans une taxation modérée – la branche étant en excédent, nous ne sommes pas en recherche d'argent –, d'alerter ces entreprises et de leur proposer un accompagnement. Nous nous sommes en effet aperçus que moins de 6 % des entreprises de 10 à 20 salariés qui seraient concernées par ce dispositif représentaient à elles seules quasiment 40 % des sinistres. Ce module vise à attirer l'attention des entreprises concernées sur le fait qu'elles se situent dans la fourchette haute et qu'il est temps d'agir.

Le véritable sujet, en matière de tarification, est surtout celui des maladies professionnelles. Je ne pense pas tant aux TMS, dont le délai est proche de celui des accidents du travail et pour lesquels il n'est généralement pas difficile de trouver l'entreprise exposante, mais plutôt aux cancers, qui génèrent un coût élevé. Cela concerne heureusement un faible nombre de personnes, mais représente une grande partie de notre risque d'assureur. C'est dans ce champ qu'il faudrait responsabiliser encore davantage les entreprises, en ciblant celles qui génèrent les risques les plus graves. Le problème est que l'on s'inscrit actuellement dans une tarification mutualisée, qui n'est sans doute pas idéale. Les trois quarts des pathologies à effet différé sont mutualisées. Le système n'est donc pas véritablement responsabilisant pour une entreprise ou un secteur donné : il responsabilise l'ensemble des entreprises en les imputant, de façon mutualisée, à la branche AT-MP. Des réflexions sont en cours sur ce sujet. L'idée avait été émise de tarifer sur les facteurs de pénibilité. Un autre choix a finalement été fait. Il faut trouver un système robuste et qui ne soit pas trop compliqué à mettre en oeuvre. Fonctionner sur la base du déclaratif induit par exemple un risque de fraude. Or nous ne pouvons pas avoir autant de contrôleurs que d'entreprises. Je n'ai pas aujourd'hui de solution idéale à proposer. Il faut que nous y travaillions.

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