Intervention de Nicolas Bohin

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 14h50
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Nicolas Bohin, médecin animateur à l'Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Île-de-France (ACMS) :

Je suis médecin animateur au sein de l'ACMS et exerce à ce titre des missions au siège de l'entreprise en tant que responsable de projets et conseiller médical. Je suis aussi toujours médecin de terrain, depuis quinze ans maintenant. J'ai eu l'occasion de travailler régulièrement avec des entreprises industrielles, notamment en Seine-Saint-Denis.

Je vais vous exposer quelques exemples de prévention qui ont fonctionné, en partenariat avec les entreprises, et mettre en lumière le rôle du médecin, en lien avec d'autres acteurs. Au début de ma carrière, le médecin se trouvait relativement seul face aux entreprises ; depuis, sont apparues les équipes pluridisciplinaires – internes à l'ACMS ou au sein d'entreprises de taille suffisante pour disposer d'ingénieurs sécurité –, avec lesquelles nous pouvons travailler.

Il a été question précédemment de risques physiques, chimiques et organisationnels. Je vais donc vous présenter quelques exemples balayant ces champs.

J'ai participé, au sein d'une entreprise de fabrication de plaques de plâtre, à un groupe de vigilance et d'analyse des produits chimiques utilisés, soit nouvellement introduits, soit déjà en usage. Le but de ce groupe, constitué de moi-même, de l'infirmière de l'entreprise et de deux ingénieurs de sécurité, était d'analyser, notamment via les fiches de données de sécurité, la composition de ces produits et d'identifier les éventuels éléments toxiques ou susceptibles de provoquer des pathologies professionnelles telles que des allergies. Bien sûr, nous recherchions également les substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). L'objectif de cette petite cellule était donc d'identifier les produits posant éventuellement problème et de proposer soit une substitution dans le cas de présence d'un CMR, soit des solutions de prévention primaire lors de l'utilisation des produits, en termes de processus, de limitation du nombre de salariés exposés, de prévention technique – ventilation, aspiration, protections individuelles telles que masques, gants, tenues spécifiques, etc. Cette démarche a donné des résultats concrets, le but étant de limiter au maximum l'apparition de toute pathologie. J'ai vu qu'il était question, dans votre projet de résolution, d'« élimination » des risques à l'origine des maladies professionnelles. Pour ce qui est du risque chimique, l'éliminer complètement semble difficile. Il existe en revanche des moyens de le réduire, comme en témoigne cet exemple.

Il s'agissait en l'occurrence d'une grande entreprise, mais j'ai aussi en tête un exemple très précis dans une PME d'une petite dizaine de salariés, qui fabriquait des bronzes d'art, en Seine-Saint-Denis. Dans le cadre du suivi individuel des salariés, il nous arrive de faire des prescriptions d'examens sanguins. Les salariés de cette entreprise étant amenés à manipuler du plomb, nous avons constaté, lors des examens de dépistage, une élévation du taux de plomb dans le sang, sans pour autant que cela ne déclenche de maladie. Il faut savoir en effet que le taux de plomb dans le sang peut être élevé sans conséquence organique sur la santé. Cela constituait toutefois un signal d'alerte, qui indiquait en l'occurrence que les conditions de travail n'offraient pas une protection optimale dans cette PME. Nous nous sommes donc rendus dans cette entreprise et avons formulé une série de propositions visant à améliorer la situation. Ces propositions concernaient notamment l'hygiène, le lavage des mains étant un moyen simple pour éviter une contamination par le plomb. Nous avions également recommandé une séparation des vestiaires, l'aspiration des poussières de plomb à la source, de la ventilation générale, des équipements individuels adaptés, avec gants et masque. Ceci a permis, grâce à une collaboration active de l'employeur, que les plombémies, c'est-à-dire le taux de plomb dans le sang, des autres salariés retombent à un niveau normal.

Concernant le risque physique, je citerai l'exemple d'une entreprise de fabrication de pains de glace pour l'industrie agroalimentaire et de remplissage de bouteilles de gaz, qui nous avait sollicités à propos du niveau sonore du processus de fabrication des pains de glace. Nous sommes tout d'abord intervenus pour effectuer une mesure du bruit, qui a confirmé que le niveau sonore était effectivement trop élevé. Nous avons donc formulé des propositions visant à le réduire. La solution finalement adoptée a consisté en un capotage et un isolement des machines avec de nouvelles parois, ainsi qu'en la mise à disposition d'équipements de protection individuels adaptés, sous forme de bouchons d'oreilles moulés pour chaque salarié. Ceci a généré un coût pour l'entreprise, mais protège mieux les salariés que des bouchons d'oreilles classiques. Cet exemple montre que l'on peut obtenir des résultats rapides et probants, pour peu que tous les acteurs soient d'accord pour aller de l'avant.

Cette même entreprise nous avait également sollicités pour réduire les troubles musculo-squelettiques liés à la manipulation des bouteilles de gaz. Avait ainsi été mis en place, avec l'équipe hygiène et sécurité de l'entreprise et les ouvriers eux-mêmes, dont l'un avait d'ailleurs soumis l'idée, un système de tige vissé sur les bouteilles permettant de les manipuler sans se baisser, limitant de ce fait les risques de lombalgie. Les actions à mettre en oeuvre sont ainsi, parfois, assez simples. Ceci suppose toutefois une bonne collaboration entre le SSTI et l'entreprise.

Les actions et les risques concernés ont à chaque fois été tracés dans la fiche d'entreprise, qui constitue selon moi un document essentiel dans la démarche de prévention. Les entreprises ont par ailleurs, avec notre aide, remis systématiquement à jour leur document unique. Il est également possible de tracer au niveau individuel, dans le dossier médical informatisé des salariés, les risques, les examens de biométrologie et les actions menées.

Les risques organisationnels et psychosociaux me semblent plus complexes à prévenir. Prenons l'exemple du travail de nuit : le travail de nuit présente des risques pour la santé bien connus des équipes de santé au travail, dont des risques de pathologies psychiatriques comme la désynchronisation, où le salarié ne dort quasiment plus. Pour autant, leur prévention primaire me semble extrêmement complexe. Nous intervenons d'ailleurs essentiellement en prévention secondaire, de manière malheureusement un peu trop tardive, c'est-à-dire une fois que le salarié ne peut plus travailler de nuit. Il s'agit alors, face à des cas de désinsertion professionnelle, de chercher des solutions de reclassement. Le travail de nuit, assez prégnant dans l'industrie avec des organisations en trois huit ou en cinq huit, expose aussi à des risques psychosociaux. Très concrètement, nous savons comment les prévenir. Mais la mise en oeuvre de ces solutions se heurte à des freins économiques et organisationnels dans les entreprises. J'ai souvent rencontré, notamment dans l'industrie, l'exemple du très bon technicien dont les compétences sont reconnues de tous et que l'on promeut manager. Or, encadrer une équipe ne s'improvise pas : il s'agit vraiment d'un métier à part entière. Cette carence de compétences en management peut générer des situations de souffrance au travail. La prévention consisterait en l'occurrence à former les techniciens au management ou à recruter de vrais managers. Il existe à mon sens, dans le domaine de la prévention des risques psychosociaux, une marge de progression extrêmement importante. Je pense que les médecins du travail ont vraiment toute leur place dans cette démarche, notamment avec l'aide des psychologues, et peuvent être des acteurs de choix lorsqu'ils développent un travail en équipe, avec les équipes pluridisciplinaires des SSTI et l'ensemble des acteurs de l'entreprise, c'est-à-dire non seulement le chef d'entreprise, mais l'ensemble des corps de métier, allant de l'utilisateur salarié à l'ingénieur sécurité.

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