Intervention de Jean-Pierre Bonin

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-Pierre Bonin, conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, président de la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles :

Dans l'industrie, il y a probablement plus qu'ailleurs une prise de conscience de la part des employeurs. D'abord, parce qu'en ce qui concerne les accidents du travail – mais aussi certaines maladies professionnelles –, le risque existe de la faute inexcusable de l'employeur. Ce risque n'est pas très agréable pour celui qui le subit. Les employeurs ont donc intérêt à faire attention. Les organisations professionnelles le rappellent souvent. Ensuite, les organisations syndicales ont été très vigilantes dans l'industrie depuis de nombreuses années. Elles se sont battues et sont arrivées à des résultats. D'autant qu'il s'agit de domaines où, contrairement à ce qu'on peut voir dans les téléfilms, les employeurs eux-mêmes font attention, non seulement pour préserver la réputation de leur entreprise mais aussi parce qu'ils ne tiennent pas à ce qu'on parle d'eux dans la presse en termes défavorables – sans compter les possibilités de mise en cause personnelle.

En revanche, il y a des malins qui ont développé des stratégies d'évitement. Dans le rapport que nous avons publié en 2014, une analyse très approfondie a été faite des industries pétrolières situées autour de l'étang de Berre. Il est clair que les principaux employeurs s'y étaient délestés sur des sous-traitants, qui eux-mêmes se délestaient sur des intérimaires, des travaux les plus dégoûtants et les plus dangereux – tels que le curage des cuves. Imaginez ce qu'on respire quand on cure une cuve à mazout : ce sont des inhalations fort désagréables et aux conséquences potentiellement très graves. Aucun employé de l'entreprise ne fait cela : on le confie à l'homme qui le confie à l'homme… Et l'homme en question vient d'on ne sait où, parfois dans une situation plus ou moins régulière. Il ne fait que passer sur le chantier. Il sera bien incapable, dans dix ou quinze ans, de dire qu'il a accompli ce genre de tâche – si toutefois, il est encore en France à ce moment-là. C'est une stratégie d'évitement.

Ce n'est donc pas parce qu'une entreprise semble clean qu'elle l'est vraiment… Il se peut tout simplement qu'elle se décharge sur d'autres du risque professionnel. C'était particulièrement frappant – et généralisé – lors de l'étude que j'ai réalisée en 2012 dans les entreprises industrielles situées autour de l'étang de Berre. Je ne suis pas sûr que les choses se soient beaucoup améliorées depuis, et de nouvelles dispositions législative ou réglementaire n'y changeront pas grand chose.

Le problème est général. Je suis membre de la commission des infractions fiscales. On voit régulièrement arriver de pauvres bougres – souvent propriétaires d'une entreprise de construction ou de travaux publics – qui n'ont pas payé la TVA et l'impôt sur les sociétés. En réalité, les conditions dans lesquelles ils ont passé des marchés avec leurs donneurs d'ordres sont telles que, par construction, leur entreprise n'est pas viable sans fraude fiscale et sociale… Dans ces cas de figure, il faut pouvoir mettre en cause le donneur d'ordres, en établissant qu'il est conscient des conséquences de ses demandes. Ce n'est donc pas simple. À mon sens, c'est le principal chantier dans l'industrie.

Une autre difficulté doit être soulignée : les règles de sécurité existent, mais ne sont pas toujours respectées. Je fais régulièrement mes courses à Fontainebleau, où des ouvriers étaient récemment en train de finir les travaux de la place du marché. L'un des ouvriers travaillait à la ponceuse afin d'égaliser les pierres posées. Il y avait une poussière d'enfer, mais l'ouvrier n'avait évidemment pas de masque. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu qu'on lui en avait donné un, mais qu'il était insupportable ! S'il travaille dans ces conditions pendant deux ans, la silicose est garantie sur facture ! Qui est responsable dans ce cas ? Le chef de chantier ne peut pas surveiller les ouvriers en permanence. Certains équipements de protection individuelle sont tels qu'ils ne sont pas ou sont difficilement supportables… Ainsi, à Bruxelles, lors des opérations de désamiantage de l'immeuble Berlaymont, les ouvriers travaillaient une demi-heure sous scaphandre puis sortaient car ils suaient très rapidement à grosses gouttes. Comme pour les opérations de Jussieu à la même époque, l'Union européenne avait les moyens et les ouvriers ne risquaient rien, mais cela n'enlève rien à la pénibilité du port de ces équipements de protection individuelle.

Dans mon rapport de 2014, je faisais état de certains accords passés dans l'industrie pour améliorer la sécurité au travail, notamment dans le secteur du bois et dans les garages. À ma connaissance, ces conventions pluriannuelles n'ont pas été renouvelées. Il faudrait se préoccuper de savoir pourquoi. Je n'ai pas posé la question aux intéressés tout simplement car je ne les avais pas sous la main et n'avais pas la possibilité de les convoquer.

Par ailleurs, vous avez sans doute connaissance du troisième plan « Santé au travail » (PST3). J'ai discuté avec ses rédacteurs alors qu'il venait tout juste d'être signé. Il est très beau sur le papier, mais maintenant, il faut passer aux travaux pratiques et entrer dans le concret, ce qui est plus compliqué. Il ne faut pas non plus oublier que ceux qui négocient ces documents sont les représentants des professions. La mise en musique dans les entreprises est une autre affaire, car chacun voit midi à sa porte et freine souvent la mise en oeuvre !

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