Intervention de Pascal Empereur-Bissonnet

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 15h15
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Pascal Empereur-Bissonnet :

Parmi les phénomènes émergents dans le monde du travail, figure aussi, bien entendu, tout ce qui concerne l'organisation et les conditions de travail. Ces phénomènes sont multiformes et encore relativement difficiles à saisir. Néanmoins, la veille bibliographique que nous effectuons nous permet de les percevoir. Ceci renvoie à une forme d'assujettissement au travail, au fait que les cadres des entreprises sont désormais constamment connectés. Tout ceci impacte négativement la santé au travail. Aussi essayons-nous, par un travail de veille, d'identifier le plus tôt possible des facteurs de risque que nous pourrions inclure dans nos analyses. Il faut savoir par ailleurs que nous questionnons énormément les grands échantillons de travailleurs que nous suivons dans le cadre des cohortes, non seulement sur leur état de santé, mais aussi sur leurs expositions et leurs modes de travail, ce qui constitue l'un des moyens dont nous disposons pour renseigner les éléments d'exposition aux facteurs de risques pour lesquels n'existent pas encore de matrices « emploi exposition » telles que décrites précédemment par Mme El Yamani.

Le suivi des expositions est également un aspect très important. L'une des difficultés méthodologiques auxquelles nous sommes confrontés dans le cadre des observations épidémiologiques en santé au travail réside dans le fait de parvenir à relier l'état de santé du travailleur à des expositions à des facteurs de risques professionnels. En effet, à l'exception des cas de mésothéliomes, rien n'indique a priori avec certitude que telle ou telle maladie dont un salarié est atteint est liée à son environnement professionnel. L'une des difficultés consiste ainsi à renseigner l'état de santé et les expositions, afin d'envisager dans quelle mesure il est éventuellement possible de les relier. L'une des façons de suivre les maladies professionnelles ou d'origine professionnelle est de disposer, dans un système de surveillance, de ces deux composantes, afin de pouvoir les croiser.

Ceci nous conduit à la question de la sous-déclaration des maladies professionnelles. Il existe en France un système officiel de reconnaissance des maladies professionnelles, dont on sait qu'il est notoirement sous-déclaratif. C'est dû tout d'abord au fait que de nombreuses pathologies ne font l'objet d'aucun tableau de maladies professionnelles. Ceci est le cas par exemple des problématiques de santé mentale liées au travail – souffrance au travail, burn-out, épuisement professionnel –, dont nous savons pourtant qu'elles existent dans l'environnement de travail. Cette absence de tableau tient au fait que, pour certaines maladies, l'état des connaissances n'est pas encore suffisamment établi pour mettre en évidence un lien entre travail et maladie. Ces tableaux font en outre l'objet de négociations entre acteurs sociaux, ce qui peut parfois conduire à des anomalies : ainsi, certaines pathologies liées à l'exposition aux pesticides – je pense notamment à la maladie de Parkinson – sont reconnues et figurent comme maladies professionnelles aux tableaux du régime agricole, mais ne sont pas mentionnées dans les tableaux du régime général. Or de nombreux salariés relevant du régime général sont exposés à des pesticides. L'élargissement des tableaux de maladies professionnelles et l'harmonisation des différentes branches de l'assurance maladie constitueraient ainsi des pistes d'amélioration du système.

La sous-déclaration résulte aussi en partie du fait que les procédures sont relativement lourdes et souvent assez peu connues des médecins de ville, qui ne savent pas réellement le rôle qu'ils peuvent jouer dans cette démarche, d'une part en termes de reconnaissance des facteurs de risques professionnels susceptibles d'expliquer les maladies qu'ils diagnostiquent chez leurs patients, d'autre part dans l'établissement du dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Une meilleure formation initiale des médecins à ces questions et aux procédures de reconnaissance représenterait donc une possible voie d'amélioration. En tant que médecin, je n'ai pas souvenir d'avoir vraiment entendu parler de maladies professionnelles au cours de mes études. Or le médecin peut être un formidable promoteur de ces sujets auprès des patients chez lesquels il aurait diagnostiqué des pathologies pouvant être d'origine professionnelle. Il faut par exemple que, face à un diagnostic de syndrome du canal carpien chez une personne maniant du matériel vibrant, le médecin généraliste ait la présence d'esprit d'interroger les expositions professionnelles de la personne et de lui conseiller d'entamer une démarche de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Cultiver les médecins sur l'existence de facteurs de risques liés à l'environnement général ou professionnel de leurs patients semble essentiel.

Quand bien même l'on trouverait des voies d'amélioration sur ces sujets, le système resterait encore probablement sous-déclaratif. Autrement dit, on ne peut, actuellement et certainement dans la prochaine décennie, considérer le nombre de maladies professionnelles officiellement déclarées comme un outil de surveillance de l'impact négatif du travail sur la santé de la population française. Ce constat a conduit Santé publique France à développer divers dispositifs, évoqués par M. Bourdillon, dont un système de surveillance des maladies dites « à caractère professionnel » (MCP), c'est-à-dire de maladies dont le médecin du travail pense qu'elles peuvent, chez les salariés qu'il est amené à suivre, être liées à des facteurs de risques professionnels. Ceci repose uniquement sur le jugement du médecin. Placé en miroir du système officiel de reconnaissance des maladies professionnelles, ce système révèle une sous-déclaration très importante. L'exemple du mésothéliome est très significatif de ce point de vue : il existe un écart considérable entre les informations fournies par notre programme national de surveillance du mésothéliome et le nombre de cas officiellement déclarés comme maladie professionnelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.