Intervention de Camille Pradel

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Camille Pradel :

Il existait dans les années 2000 une réglementation qui assurait le suivi des expositions aux agents chimiques dangereux, dont les agents CMR. Elle a été intégrée en 2010 au dispositif « pénibilité », qui a connu depuis certaines évolutions.

En 2017 – autrement dit assez récemment –, les expositions aux ACD ont été retirées du suivi dans le but de simplifier le dispositif. Pour autant, le dispositif antérieur n'a pas été rétabli ; à notre sens, il est nécessaire de le faire car son absence pose une difficulté de prévention du risque professionnel : cette information individuelle permettait aux salariés d'être informés et elle assurait un contenu au dossier du service de santé au travail. Il y a aussi un risque judiciaire pour les entreprises elles-mêmes, car on peut anticiper que ce suivi individuel pourrait être rétabli par voie jurisprudentielle, sur le fondement des principes généraux posés par le code du travail. Si le pouvoir réglementaire ou législatif ordonnait un tel rétablissement, il faudrait le faire le plus tôt possible, car plus le temps passe, plus le suivi interétablissements sera compliqué et difficile à restaurer.

Ces remarques portaient sur la situation des salariés en général ; je tiens aussi à alerter votre commission d'enquête sur le cas particulier du travail temporaire. Depuis 2015, un décret permettait à l'entreprise de travail temporaire employeur d'avoir l'information concernant les expositions aux ACD. Or, depuis le 1er octobre 2017, l'employeur lui-même n'a plus cette information. Il y a une vraie difficulté de prévention du risque professionnel, dans la mesure où l'obligation de prévention pèse d'abord sur l'employeur.

Concernant l'information des actionnaires, le code du travail prévoit l'information annuelle des actionnaires sur la situation de l'entreprise en matière sociale, par la transmission du bilan social. Concernant la prévention du risque QHSE, autrement dit le risque professionnel, un décret récent de décembre 2017 a simplifié et rationalisé, le contenu du bilan social et de la base de données économiques et sociales (BDES). C'est heureux et d'ailleurs assez bien fait. Ce décret porte un certain nombre de lignes ; nous en avons dénombré 105 concernant le thème de la prévention des risques professionnels et nous tenons ce travail à la disposition de votre commission.

C'est un document complet qui, pour un responsable de prévention, un préventeur, est efficace. Mais vous pourriez peut-être solliciter une hiérarchisation de l'information des actionnaires et sélectionner quelques indicateurs particulièrement pertinents qui permettraient de suivre l'évolution de la performance QHSE de l'entreprise et de comparer les entreprises entre elles, afin que la performance QHSE devienne un outil d'évaluation de l'efficacité de l'entreprise. Mais pour ce faire, il faudrait sans doute hiérarchiser les informations : continuer d'exiger la transmission du bilan social, mais prévoir que la réglementation isole cinq facteurs qui font l'objet d'un reporting particulier. C'est un peu ce qui se passe dans le bilan annuel présenté au CHSCT où les questions d'égalité homme-femme ou de la pénibilité au travail font l'objet d'une présentation isolée.

La question de la sous-traitance a été abordée à plusieurs reprises devant votre commission d'enquête : comment prévenir le risque professionnel dans la situation de sous-traitance ? Un point, notamment, a été soulevé : la tentation d'une « optimisation » du risque professionnel, si l'on peut s'exprimer de la sorte et à supposer que ce soit démontré, qui consisterait à confier à une entreprise partenaire le soin de réaliser les travaux les plus pathogènes.

On doit distinguer deux situations selon qu'il y a, ou non, interaction entre les salariés d'entreprises distinctes.

Le code du travail organise déjà la prévention du risque professionnel lorsqu'il y a une telle interaction. C'est notamment le rôle du plan de prévention des risques professionnels, déclinés de manière plus spécifique en matière de BTP ou de livraison via le protocole de sécurité. Le plan de prévention est très détaillé et le CHSCT – le CSE demain – est associé à la démarche de prévention. Peut-être pourriez-vous faire en sorte que la réglementation prévoie un effort spécifique sur les expositions aux agents pathogènes, puisque le plan de prévention porte surtout sur les accidents du travail, mais pas vraiment sur les expositions à un environnement pathogène.

À l'inverse, lorsqu'il n'y a pas d'interaction, le code du travail et globalement silencieux, notamment pour appréhender ce que vous pointiez : le fait de confier à une entreprise partenaire les travaux les plus pathogènes.

Ce silence a plusieurs explications. La première est d'ordre juridique : ces entreprises sont autonomes et le droit ne gère pas les contrats négociés de manière libre par les partenaires économiques.

La deuxième est de nature économique : il ne faudrait pas qu'une réglementation trop pointilleuse favorise la délocalisation hors de France. Si vous régulez trop les contrats de sous-traitance, le danger est de favoriser la sous-traitance à l'étranger. J'imagine que ce n'est absolument pas le but de votre commission d'enquête, qui tend plutôt à favoriser notre industrie et l'emploi en France.

La troisième explication est liée au droit communautaire : il n'est pas certain qu'une réglementation qui réglerait directement ces questions soit conforme au droit communautaire.

Notre proposition fonctionne un peu sur le principe de ce qui existe s'agissant du devoir de vigilance en matière URSSAF lorsqu'un certain volant d'affaires existe entre les entreprises : elle consisterait à assurer la transmission de l'information sur les expositions pathogènes par poste de travail, de l'entreprise sous-traitante vers l'entreprise donneuse d'ordres. À partir d'un certain volant d'affaires, pourquoi ne pas permettre la transmission de cette information au CHSCT de l'entreprise donneuse d'ordres ? Cette proposition pourrait être mise en oeuvre assez simplement, puisque les données existent déjà : normalement, si l'entreprise sous-traitante a un CHSCT, elle présente annuellement les expositions à la pénibilité par poste de travail. Ce ne serait qu'une simple information, mais qui aurait au moins le mérite de faire avancer le débat : l'information ne nuit jamais…

La documentation QHSE fixée par le code du travail est très diverse. Le document central est le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), auquel s'ajoutent d'autres documents : le poste de travail doit être défini ; pour les postes exposés au CMR, il faut une notice de travail ; la liste des postes présentant un danger particulier doit être dressée pour les contrats dits précaires : CDD, intérim, etc.

Il est curieux que la réglementation n'en ait pas tiré de conséquences. Elle se réfère au même concept : le poste de travail, mais elle ne fait pas le lien entre l'élaboration de ces documents et la référence au poste de travail tel qu'il est défini dans le DUERP. Peut-être, demain, la réglementation pourrait-elle se référer expressément à la notion de poste de travail, sous-jacent commun à tous les documents. Cela supposerait peut-être d'avoir un modèle CERFA pour le DUERP. Il existe d'ailleurs des CERFA concernant la fiche de pénibilité au travail. Ce serait techniquement possible d'en avoir un concernant le DUERP.

Cela permettrait de renforcer la sécurité et, peut-être, de tirer les conséquences de la pratique consistant à réaliser une nomenclature des postes. Si vous lisez les développements du code du travail liés au DUERP, vous constaterez qu'il n'y a pas vraiment de précisions. C'est dommage : il faudrait prendre les entreprises par la manche dans cette affaire et dicter la manière de rédiger le document unique de façon à atteindre les objectifs souhaités par le législateur.

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