Intervention de émilie Counil

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

émilie Counil, enseignante-chercheuse en épidémiologie et biostatistiques à l'École des hautes études en santé publique (EHEST), membre du GISCOP :

Je voudrais apporter un bref complément sur la question des liens entre santé-environnement et santé au travail.

Nous sommes tous convaincus, me semble-t-il, des liens forts qui existent entre ces deux sujets. Comme enseignante au niveau master et comme encadrante, ou co-encadrante, de doctorants, j'observe néanmoins que l'attractivité des questions de santé-environnement est plus forte que celles de santé au travail. Il y a peut-être des lieux très particuliers où ce n'est pas le cas, mais j'enseigne dans des masters de santé publique généralistes et internationaux, où l'on est plutôt intéressé par des questions de santé globale ou de prévention en lien avec l'alimentation et l'activité physique – tous les grands classiques de la santé publique. La santé au travail a beaucoup de mal à trouver sa place dans ce cadre : elle figure souvent dans des modules appelés « santé-environnement » et « santé-travail », dans lesquels elle demeure minoritaire.

Il y a sûrement un travail à faire sur les formations et leur architecture. Je suis certaine qu'il existe des formations où l'on trouve un bon équilibre – certaines sont même spécialisées en santé au travail –, mais il reste difficile d'attirer les jeunes et de les amener vers des thèses quand ces thèmes sont dilués dans la santé publique. Par ailleurs, nous sommes tous mis en compétition pour des ressources limitées. Ne pas trop diluer la santé au travail dans les questions de santé-environnement est donc un véritable enjeu.

Même si les deux aspects peuvent être intimement liés dans certains cas, comme celui de l'amiante – on l'a bien vu à l'usine d'Aulnay-sous-Bois – il y a souvent une large déconnexion. Je pense, par exemple, aux travaux sur les liens entre la pollution atmosphérique et la santé. Il faudrait prendre en compte à la fois la santé au travail et la santé-environnement, en évitant une situation de compétition, sur le plan de la recherche et de la santé publique, pour avancer le chiffre qui influera le plus sur l'attribution de ressources ou le déclenchement d'actions.

Quand j'ai évoqué l'insuffisante utilisation des connaissances accumulées, je faisais précisément référence à la question des multiexpositions : on continue à mettre en concurrence l'exposition au tabac et celle à l'amiante dans le cadre de l'examen qui a lieu au sein des CRRMP.

Les fractions attribuables ont été critiquées par beaucoup de travaux méthodologiques menés en matière d'épidémiologie, dans le cadre de communautés scientifiques différentes, car c'est un vaste champ. C'est un outil à la frontière entre le scientifique et le politique, reposant sur un certain nombre d'hypothèses conceptuelles et de choix méthodologiques qui sont susceptibles d'être critiqués, et qui rendent même, pour certains chercheurs, l'exercice relativement dangereux dans certains cas.

Je voudrais également souligner que le démantèlement annoncé de la direction de la santé au travail de Santé publique France, notamment avec une externalisation possible de l'équipe qui s'intéresse particulièrement aux expositions professionnelles, est pour nous un sujet de préoccupation, selon la reconfiguration qui sera choisie in fine.

L'équipe en question a produit des données à partir du croisement des parcours professionnels au sein d'un grand échantillon, en France, et des matrices emplois-expositions, dites « Matgéné », qu'elle a construites. Cela permettrait d'ores et déjà d'essayer de calculer des fractions attribuables par catégories socioprofessionnelles, au lieu d'avoir des fractions attribuables en population générale, qui reflètent une réalité très « moyennante » et ne correspondent pas à l'inégale distribution des expositions et du fardeau des maladies. C'est un petit pas que l'on pourrait faire à partir des données disponibles en France, même si les estimations ne seraient pas parfaites pour autant – et même si on pourrait aussi remettre en cause la démarche qui consiste à calculer des fractions attribuables, je l'ai dit.

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