Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du mardi 12 juin 2018 à 15h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Article 1er

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Mon avis est évidemment défavorable, mais je voudrais revenir sur le fond.

Je suis très étonnée que vous entendiez supprimer l'article 1er et, partant, maintenir un statu quo profondément injuste. En effet, vous le savez, à l'heure actuelle, l'accès à la formation est marqué par une grande injustice, malgré des décennies d'efforts de formation, malgré la loi de 1971. D'abord, seuls 36 % des salariés, chaque année, accèdent à la formation, contre plus de 50 % en Allemagne et près de 70 % dans les pays nordiques. Ensuite, un salarié d'une petite ou moyenne entreprise a deux fois moins de chances que le salarié d'une grande entreprise d'y accéder. Un ouvrier ou un employé a deux fois moins de chances qu'un cadre – non pas que ce dernier suive trop de formations, au contraire : chacun en aura besoin, de manière croissante, du fait de l'évolution des compétences, des métiers et des technologies.

Le compte personnel de formation est injuste parce qu'à l'heure actuelle – hormis pour les demandeurs d'emploi – , il est dans une large mesure préempté par les entreprises, qui discutent avec les organismes paritaires collecteurs agréés – les OPCA – ; les entreprises utilisent le CPF pour compléter le plan de formation. En conséquence, les cadres et les salariés des grandes entreprises en profitent beaucoup plus que les autres. Le CPF, à savoir un compte en heures théorique, qui est soumis à autorisation et doit être transformé en argent, n'est pas un droit opposable mais une potentialité dont la personne est informée.

Le système d'heures est injuste pour une autre raison. Chacun comprendra qu'une formation marketing de haut niveau pour un cadre supérieur dans une grande entreprise internationale présente un coût horaire supérieur à celui d'une formation, même technique, pour un ouvrier ou un employé. Alors que l'accès à la formation initiale est déjà marqué par l'inégalité, la formation continue, dans notre système, aggrave encore l'inégalité. Il faut regarder les choses en face. Personne ne veut ce résultat, mais il est produit mécaniquement par le dispositif actuel.

Vous affirmez qu'on laissera le salarié seul face à lui-même. Ce n'est absolument pas le cas, puisque le dispositif proposé institue un système de garantie collective, d'une part, et met en place, d'autre part, un conseil en évolution professionnelle gratuit, financé par la mutualisation, comme l'ont demandé les partenaires sociaux. Certaines personnes savent exactement ce qu'elles veulent, indépendamment du niveau de qualification. Lorsqu'on a un projet, lorsqu'on sait ce qu'on veut, on pourra suivre directement la formation. Si on ne sait pas ce vers quoi on veut aller ou quelle formation trouver, on pourra faire appel au conseil en évolution professionnelle.

Par ailleurs, le compte en euros permettra de bénéficier de droits qui, à l'heure actuelle, n'existent pas. Les femmes sont, pour 30 % d'entre elles, à temps partiel, et 80 % des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes. En général, celles qui se trouvent dans cette situation exercent des métiers moins rémunérés et moins valorisés – nous aborderons ce problème dans le titre III. Non seulement elles sont moins rémunérées mais, étant à temps partiel, elles ne peuvent bénéficier du droit à la formation. C'est une trappe à bas salaires, et cela empêche les femmes de voir leur carrière progresser. Par ce compte en euros, nous allons créer de nouveaux droits. Les droits des personnes à temps partiel – qui sont, pour 80 % d'entre elles, j'y insiste, des femmes – , seront les mêmes que ceux des salariés à temps plein. Des avantages similaires seront conférés aux personnes handicapées, qui peuvent avoir besoin d'un temps de formation plus long – il sera effectivement majoré. Le mécanisme proposé est solidaire, puisqu'il fait l'objet d'une mutualisation. Il est garanti collectivement et complété par le conseil en évolution professionnelle. Il va permettre à chacun d'aller le plus loin possible.

Ce sujet est évidemment distinct de celui de l'employabilité et de l'adaptation au poste de travail, qui, comme l'affirme la loi, est de la responsabilité de l'employeur. Or nous ne parlons pas ici de l'employabilité immédiate : il s'agit de formations qui sont toutes, contrairement à ce que disait M. Mélenchon hier, qualifiantes, certifiantes ; elles donnent toutes lieu à la délivrance de certifications ou de diplômes nationaux, inscrits au répertoire national des certifications professionnelles et qui, pour la plupart, coûteront plus que quelques centaines d'euros – comme c'est le cas de certaines formations courtes en entreprise. En cumulant jusqu'à 5 000 euros – 8 000 euros, pour ceux qui n'ont pas de diplôme – , on va beaucoup plus loin.

Aujourd'hui, les trois quarts des formations proposées dans le cadre du CIF sont soumises à cette limite, et seules 40 000 personnes accèdent au congé individuel de formation. Demain, potentiellement, 26 millions d'actifs auront accès au congé individuel de formation : si ce n'est pas là un progrès social, je ne sais pas ce qui en sera un.

1 commentaire :

Le 25/10/2018 à 10:26, pelamourgues (reconversion professionnelle ) a dit :

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Pour vous donner un cas concret. Cela fait 14 mois que je fais des pieds et des mains pour obtenir le droit de me reconvertir professionnellement. J'ai quitté ma région pour venir sur Paris, j'ai fait des stages en entreprises, suivi un CEP avec pôle emploi, participé à une POEC catastrophique , demandé un CIF, une AIF, puis l'AIRE (région île de France). RIEN NE MARCHE!!! Le CEP est une coquille vide, un dédale de conseils peu précis, pour finalement abandonner les candidats. J'ai même réussi à convaincre un employeur de me faire une promesse d'embauche concrète et sérieuse, difficile à obtenir de nos jours ... Rien n'y fait. Mme le Ministre, je suis conscient de votre engagement et vos propos sont justes. Seulement dans la réalité de nos vies de citoyens nous sommes en permanence face à l'arbitraire des administrations qui ont pour seul mission de gérer des chiffres et d'empêcher de faire remonter l'information. J'ai travaillé à pôle emploi pendant 18 mois et j'ai cru au discours concernant le CEP et je l'ai conseillé à des candidats. Maintenant que je me retrouve dans cette situation je comprends plus cruellement le mensonge de ces discours et l'impuissance des services de l'état à donner la chance à des candidats motivés et au clair avec leurs projets d'évoluer s'ils ne financent pas eux-même leurs formations dont vous connaissez le prix moyen. A ce jour on ne voit que mépris et désolation.

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