Intervention de Fabien Roussel

Séance en hémicycle du mercredi 13 juin 2018 à 15h00
Nouveau pacte ferroviaire — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel :

Et Engie a même annoncé récemment qu'elle augmentera encore de 6,5 % les tarifs du gaz au 1er juillet prochain. Ce doit être cela, les bienfaits de l'économie libérée !

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les cheminots, comme de nombreux élus de cette assemblée siégeant plutôt à la gauche de l'hémicycle, redoutent que cette privatisation n'entraîne une dégradation du service offert aux usagers : une hausse des tarifs, des temps de trajet toujours plus longs, des lignes du quotidien menacées et un service totalement déshumanisé.

Transformer un EPIC en société anonyme, c'est ouvrir la porte à l'entrée au capital d'entreprises privées qui n'auront qu'un seul but : créer de la valeur et distribuer des dividendes. Il n'y a rien de surprenant à cela : c'est dans leur ADN. Mais où est l'intérêt des Français ? Nous demandons le rejet de cette loi parce que nous ne voulons pas que la SNCF perde le statut d'ÉPIC, le seul qui garantisse un service public et le réinvestissement des bénéfices dans l'entreprise. La SNCF a réalisé 1,3 milliard d'euros de bénéfices en 2017. Une fois privatisée, les bénéfices seront versés aux actionnaires, comme c'est le cas aujourd'hui pour GDF et comme ce le sera demain pour La Française des jeux ou Aéroports de Paris.

Nous demandons le rejet de cette réforme également parce qu'elle n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, comme il est normalement d'usage quand les parlementaires sont appelés à examiner un projet de loi. Vous n'avez pas voulu étudier le résultat des privatisations dans d'autres pays étrangers, notamment en Europe. Vous citez régulièrement l'Allemagne en modèle. Or, depuis que le réseau ferré allemand a été privatisé, il est passé de 44 000 kilomètres de rails à 33 000 aujourd'hui : 20 % en moins !

Quant aux Britanniques, ils reviennent sur la privatisation, et pour cause ! Depuis la privatisation, le prix du billet a grimpé de 30 % en moyenne, tandis que la qualité du service chutait dramatiquement. Exemple moins connu : la Suède, dont la majorité de la population demande le retour du train sous statut public, en raison de la hausse des tarifs et de la multiplication des dysfonctionnements.

Pouvez-vous dès lors vraiment nous affirmer les yeux dans les yeux, madame la ministre, comme vous l'avez déjà fait, que la privatisation de la SNCF ne fera pas augmenter toujours plus le prix des billets et n'accélérera pas les fermetures de lignes ou de gares ? Pouvez-vous garantir aux Français que les 9 000 kilomètres de lignes du quotidien seront maintenus, sans que les régions supportent le coût de ce maintien ?

De nombreux députés vous ont interpellée sur des projets de fermeture de dizaines de lignes du quotidien, remplacées demain par des cars et, à chaque fois, vous nous renvoyez vers nos régions. Mais où les régions iront-elles chercher les sous si, en plus, vous réduisez leur budget en baissant les dotations de 13 milliards d'euros d'ici à 2022 ?

Parmi les fameuses avancées, il y aurait, selon vous, la reprise de la dette de la SNCF. Où est-ce écrit ? À quelle ligne du projet ? À quel article ? Il n'y a, sur le sujet, pas un mot dans le texte qui revient du Sénat, rien de neuf par rapport au texte discuté en première lecture à l'Assemblée. Il faut mettre noir sur blanc les engagements de l'État. Quelle part de la dette l'État prendra-t-il en charge ? Celle dont les intérêts sont élevés ou celle dont les intérêts sont négatifs et rapportent donc de l'argent ?

L'autre avancée que vous brandissez en étendard, c'est la garantie pour le statut des cheminots de disparaître d'ici à trois ans ! C'est confirmé, et c'est tout. Votre projet de société est celui d'un monde où tout est marchandise, c'est la toute-puissance de la loi de l'offre et de la demande, c'est l'acceptation d'une société à deux vitesses : une pour les riches et une pour les pauvres.

Avec votre réforme, il y aura demain, pour le même trajet, des TGV luxueux et chers pour les riches, et des trains low cost pour les autres – un peu comme dans le transport aérien avec Air France et Ryanair. Les plus pauvres – les étudiants, les retraités – se déplaceront quant à eux dans les cars que l'on voit se multiplier : voyages interminables, souvent de nuit, avec un confort très limité. Bonjour le progrès ! Voilà la société que vous nous promettez !

C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour le fret ferroviaire : il a chuté depuis sa privatisation, tandis que les camions se sont multipliés. Quel est le bénéfice pour la France, pour le climat, pour la lutte contre la pollution ? Aucun ! Des entreprises privées se sont arraché les lignes de fret rentables, et les autres ont fermé. La SNCF, quant à elle, a investi dans des camions pour concurrencer ses propres trains : c'est le monde à l'envers !

Pourtant, la SNCF est une belle et grande entreprise, et le train, le meilleur outil à développer pour lutter contre la pollution. Quelle logique y a-t-il à tenir de grands discours sur la préservation de l'environnement, à proclamer « Make our planet great again », et à jeter sur les routes des milliers de poids lourds et de cars en laissant fermer des lignes de chemin de fer ?

Madame la ministre, vous essayez de monter les salariés et les usagers du train contre les cheminots. Vous faites même tout pour diviser ces derniers. Pourtant, ils souffrent tous de votre intransigeance, de votre refus du dialogue. Vous parlez de dialogue social, mais il suffit de voir l'attitude du Gouvernement et de la majorité vis-à-vis du personnel de l'hôpital du Rouvray pour savoir ce qu'il en est vraiment : il a fallu dix-huit jours de grève de la faim pour qu'on leur accorde les trente postes dont ils ont besoin pour bien soigner les malades ! Cela illustre bien la capacité d'écoute et de dialogue de ce gouvernement et de cette majorité.

Je suis désolé, mais c'est vous qui semez le désordre en imposant des réformes à des salariés qui n'en veulent pas, en imposant des sacrifices aux retraités, au monde hospitalier, aux agents de la fonction publique ou encore à la justice. Où est le dialogue, où est la concertation ?

Les usagers n'en peuvent plus, les cheminots non plus. Ils en sont à trente jours de grève, ce mercredi 13 juin, pour défendre un service public auquel nous sommes attachés plus que tout. Trente jours de galère pour les gens, les salariés qui prennent le train pour aller travailler. C'est vous qui portez cette responsabilité.

Les cheminots eux aussi souffrent beaucoup. Ce sont des passionnés de l'intérêt général, des amoureux du bien commun, qui ont toujours répondu présent dans les moments les plus durs qu'a connus notre pays, notamment pendant la Résistance. Ils ont toujours défendu une certaine idée de la France, une France libre et souveraine, que rien ni personne ne pourrait envahir ou enchaîner. Et vous voulez ouvrir le capital de cette entreprise, c'est-à-dire la livrer pieds et poings liés aux appétits des marchés financiers !

Votre projet, permettez-moi de vous le dire, c'est un grand retour en arrière. En 1938, la France nationalisait le rail en rachetant les compagnies ferroviaires privées détenues par quelques familles puissantes, dont la famille Rothschild, pour créer la SNCF, une entreprise publique au service de la nation et des Français. Quatre-vingts ans plus tard, vous voulez revenir en arrière, en revendant notre belle entreprise publique à la découpe, au profit des grandes familles. Or le seul objectif de ces actionnaires puissants n'est pas l'intérêt général mais leur intérêt particulier, celui de leur porte-monnaie ! Vous verrez que dans quelques années, malgré ces actions que vous dites incessibles, ces grandes familles rentreront à coup sûr au capital de la SNCF. La famille Rothschild, les « deux cents familles » prendront alors leur revanche contre le Front populaire de 1936 !

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