Intervention de Éric Coquerel

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour les programmes Paysages, eau et biodiversité, Expertise, information géographique et météorologie, Prévention des risques et Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'exercice d'évaluation auquel nous nous livrons porte sur l'exécution d'un budget voté sous la précédente législature. La majorité d'alors n'affichait pas de grandes ambitions s'agissant des crédits de l'écologie, mais elle se sentait quand même plus ou moins engagée par les lois qu'elle avait adoptées : la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Elle se sentait également engagée par les accords de Paris, que le président Macron est allé défendre avec l'insuccès que l'on sait auprès de Donald Trump. Certes, la priorité était donnée, comme aujourd'hui, à la compression des dépenses et à la réduction des effectifs, certes, on s'accommodait de reculs, mais, au moins en théorie, on continuait de se réclamer d'une certaine ambition.

Puis arriva l'élection présidentielle et ce budget, déjà écrêté lors de la discussion du projet de loi de finances à l'automne 2016, devint une sorte de cible pour le Gouvernement. Dès les décrets d'avance et d'annulation du 17 juillet, on lui inflige une amputation d'une ampleur considérable. De coup de rabot en coup de rabot, on aboutit à une sous-exécution globale de la mission à hauteur de 414 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 3,4 % par rapport aux 12,3 milliards votés par le Parlement, et de 1,34 milliard en autorisations d'engagement (AE), soit 10,3 % des crédits ouverts en loi de finances initiale.

L'exécution des plafonds d'emplois, qui réunissent désormais – allez savoir pourquoi – les emplois du ministère de la transition écologique et solidaire et ceux du ministère de la cohésion des territoires est inférieure d'environ 1 000 équivalents temps plein travaillé (ETPT) à la prévision initiale de 42 058 ETPT, soit une chute de 2,3 % que rien ne justifie.

Dans le même temps, le Gouvernement s'engage dans une politique de régression écologique revendiquée : maintien des exonérations de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) en faveur du transport routier, qui sera lourd de conséquences pour le climat et pour la santé des personnes ; tentative de destruction du service public du rail et étranglement du fret ferroviaire ; retards et reculs sur les projets de parcs éoliens en mer – pas une seule éolienne en mer n'a encore vu le jour, mais ce gouvernement n'en est pas, loin de là, le seul responsable ; politique de l'autruche dans le domaine du nucléaire, avec, je le rappelle, 5 milliards d'euros pris sur le budget de l'État en 2017 pour recapitaliser Areva en urgence et 3 milliards pour EDF ; recul sur les pesticides – à quoi sert-il de créer une agence française pour la biodiversité si c'est pour continuer à répandre des tonnes de glyphosate ? ; attaque en règle contre la loi « littoral », et j'en passe.

Je consacrerai la première partie de mon propos aux coupes successives pratiquées dans les programmes dont j'assure plus particulièrement le suivi.

L'exécutif – et pas seulement ce gouvernement – a pour habitude de faire voter à la toute fin de la discussion budgétaire des amendements en seconde délibération qui faussent souvent les décisions prises par la représentation nationale. Au nom du respect de la sacro-sainte « norme de dépenses en valeur », on reprend d'une main ce que l'on avait lâché de l'autre. C'est ainsi que l'amendement n° II-122 a minoré de 52,8 millions d'euros les crédits de la mission au seul motif que des crédits ont été majorés ailleurs. À ce petit jeu, l'écologie est systématiquement perdante – on se demande bien pourquoi !

Seule consolation : le programme 113 Paysages, eaux et biodiversité bénéficie d'une majoration de 1,12 million d'euros, en provenance de feue la réserve parlementaire. En revanche, entre le projet de loi de finances (PLF) et la loi de finances initiale (LFI), le Gouvernement aura escamoté 5,65 millions sur le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie, 2,07 millions sur le programme 181 Prévention des risques et 3,05 millions sur le programme Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables.

Puis vint la saison des gels et des surgels : 557 millions en AE et 562 millions en CP pour la réserve de précaution ; surgel de la totalité des reports de crédits budgétaires de 2016 – 34 millions en AE et 35 millions en CP –, lesquels feront l'objet d'une annulation intégrale par la suite ; nouveau surgel de 174 millions en avril, où l'on s'est ainsi découvert de plus d'un fil… Mais c'est après l'élection présidentielle que l'on se met à vraiment tailler dans le vif : je veux parler des deux décrets du 20 juillet 2017. Le décret d'avance annule en effet 195 millions de CP sur le programme 203 Infrastructures et services de transports ; le décret d'annulation concomitant ponctionne pour sa part l'ensemble de la mission à hauteur de 392 millions en AE et de 202 millions en CP : pour tous les programmes, à l'exception du 205 Sécurité et affaires maritimes, le montant des annulations est supérieur à celui de la réserve de précaution initiale. Enfin, le décret d'avance du 30 novembre annule 46 millions en AE et 42 millions en CP.

Auront donc été annulés en gestion un total de 434 millions d'euros en crédits de paiement hors titre II, soit 4,57 % des crédits ouverts en LFI. À l'exception du programme 345 Service public de l'énergie, tous les programmes de la mission ont connu des coupes supérieures à la mise en réserve initiale.

J'en viens aux programmes relevant plus particulièrement de mon champ de compétence en tant que rapporteur spécial.

S'agissant du programme 113 Paysages, eau et biodiversité, l'exécution nette en crédits de paiement s'élève à 266 millions, soit un taux d'exécution de 91 %. Cette sous-exécution est à mettre en regard d'indicateurs de performance qui vont du médiocre au désastreux. À titre d'exemple, le pourcentage des masses d'eau en bon état écologique n'est que de 44,2 % en 2017 alors que l'objectif fixé à l'horizon 2015 par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) était de deux tiers de masses d'eau en bon état. En matière de police de l'eau, le rapport annuel de performances relève que, faute d'effectifs supplémentaires pour mettre en oeuvre certaines dispositions comme l'autorisation unique, « ces chantiers ont été conduits au détriment d'autres activités, dont celle du contrôle ».

Je reviendrai sur le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie quand j'évoquerai les opérateurs. Je vous poserai cependant une question, monsieur le secrétaire d'État : ce programme a changé de périmètre entre 2015 et 2016, puis entre 2016 et 2017 ; il en change encore entre 2017 et 2018. Quand cessera ce jeu de bonneteau ?

Concernant le programme 181 Prévention des risques, la sous-consommation concerne notamment les crédits consacrés aux plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Le rapport précise que « l'écart important par rapport aux crédits inscrits en LFI s'explique par les retards pris pour la mise en oeuvre des mesures foncières des PPRT ». Quels moyens entendez-vous engager pour rattraper ces retards qui, faut-il le rappeler, ont des conséquences sur la sécurité des populations ? Peut-être avez-vous, du reste, pris connaissance de l'explosion qui est survenue ce matin dans une usine classée Seveso de l'Yonne et qui a fait deux blessés graves.

Tout aussi grave est la sous-consommation des crédits ouverts pour l'Autorité de sûreté nucléaire : 54,7 millions d'euros en exécution contre 58,2 millions en LFI pour les AE et 54,5 millions contre 63,2 millions en CP, soit un écart de près de 14 %. En outre, 16 ETPT n'ont toujours pas été pourvus, soit l'effectif réclamé par l'ASN pour se doter des moyens anti-fraude qui lui sont nécessaires. Quelles sont vos explications, sachant que l'Agence doit faire face aux problèmes cruciaux posés par l'EPR tout en amorçant les visites décennales des vieilles centrales que vous avez décidé de conserver ?

J'ai déjà dit tout le mal que je pensais du regroupement des dépenses de personnel de votre ministère et du ministère de la cohésion des territoires dans le programme support 217. J'y vois une dégradation inacceptable de l'information budgétaire. Comment voulez-vous que l'on puisse débattre des crédits de la mission Cohésion des territoires, c'est-à-dire des crédits du logement, de la ville et de l'aménagement du territoire, si la masse salariale correspondant à cette politique est imputée sur une autre mission ? Quant à la sous-exécution de 1 000 ETPT, je sais déjà que vous la revendiquerez au nom de la maîtrise des déficits.

Le traitement réservé aux opérateurs de l'écologie mérite une mention spéciale. Sans doute est-ce leur statut d'établissement public qui rebute le Gouvernement. Dans le contexte actuel, pourquoi se priver ?

Tous les responsables me l'ont indiqué : les coupes budgétaires successives pèsent de façon dramatique sur leurs budgets d'investissement. Or l'investissement, c'est une question de survie pour des établissements de ce niveau. Par ailleurs, le Gouvernement leur impose des réductions d'effectifs de l'ordre de 20 % en cinq ans, ce qui aura évidemment pour effet une destruction massive des compétences.

À l'appui de cette démonstration, je n'apporterai que quelques chiffres emblématiques de l'exécution 2017 : les interventions des agences de l'eau n'ont atteint que 1,7 milliard d'euros contre 1,9 milliard en prévision ; les effectifs sous plafond sont en baisse de 36 ETPT.

L'Agence française pour la biodiversité, créée officiellement le 1er janvier 2017, devait être préservée ; il n'en est rien. Sa subvention pour charges de service public, votée à 34,5 millions d'euros, a été réduite en exécution à 27,3 millions. Le Gouvernement avait promis qu'il n'y aurait pas de réductions par rapport aux effectifs des établissements d'origine ; promesse non tenue, et de beaucoup : la réalisation, à 1 127 ETPT sous plafond, est inférieure de 100 ETPT à la prévision.

Météo France a également subi de plein fouet les coupes budgétaires : moins 8,35 millions d'euros, soit une baisse de 4,3 % par rapport à la LFI. Le schéma d'emplois, qui se conforme aux exigences gouvernementales, va au-delà de la prévision avec près de 100 destructions sur un effectif d'environ 3 000 personnes.

La subvention de l'IGN a été réduite en exécution de 92,65 millions d'euros à 88,83 millions d'euros. À ce train-là, Google ou quelques start-up vite rachetées l'emporteront…

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), créé en 2014, a connu en 2017 une crise qui a abouti à la démission de son président puis, en fin d'année, de son directeur général. Tout était réuni pour déclencher cette crise, en particulier la sous-exécution budgétaire de 2,5 % et des réductions d'effectifs drastiques programmées et assumées par le Gouvernement.

Enfin, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) a connu des coupes du même ordre en juillet 2017 : moins 2,5 % des crédits votés. Les effectifs sous plafond subissent, par rapport à 2016, une baisse considérable de 3,3 % pour un total qui s'établit désormais à 523 ETPT.

Monsieur le secrétaire d'État, j'aimerais qu'au-delà de vos protestations de bonne gestion, vous me disiez comment ces établissements peuvent envisager leur avenir et comment l'État sera capable, avec une politique à ce point malthusienne, de protéger les citoyens et leur environnement. Vous aurez perçu une certaine colère dans mon propos ; je l'assume. Elle est à la hauteur de l'enjeu climatique et environnemental, premier intérêt général de l'humanité. Plus que jamais, la Terre menace de brûler. Cette cause ne supporte aucune contrainte budgétaire !

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