Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, merci de me donner l'occasion de vous présenter l'économie générale de ce projet de loi portant réforme constitutionnelle, conformément à l'engagement pris par le Président de la République devant le Congrès au mois de juillet dernier.

Ce projet de révision constitutionnelle est d'une grande ampleur et d'une réelle ambition. Je souhaite dans un premier temps en évoquer l'esprit général. Dans un second temps, j'évoquerai son contenu même.

L'esprit s'inscrit dans la logique de la Ve République, mais, quelques mots, d'abord, sur l'ambition de la réforme. Elle vise à redonner force et vitalité à notre démocratie, c'est ce qui est inscrit, évidemment, dans l'exposé des motifs. Cette ambition se mesure à la fois par l'ampleur des dispositions qui viennent modifier notre Constitution et, dans le même mouvement, par deux textes qui viennent apporter des éléments complémentaires, connexes à la révision : la diminution du nombre de parlementaires, l'introduction d'une dose de proportionnelle et l'interdiction du cumul des mandats dans le temps. Jamais depuis 1958 un texte d'une telle envergure n'avait été soumis au Parlement. Cela mérite d'être relevé et porté, si vous le voulez bien, au crédit, à la fois, du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité actuelle.

Juridiquement, cette réforme se traduit donc par trois textes qui sont déposés sur le bureau de votre assemblée : ce projet de loi constitutionnelle, et deux projets de loi organique et ordinaire qui portent sur des questions électorales. Ces trois textes forment un tout, et le Gouvernement a souhaité que l'ensemble soit versé aux débats de manière transparente, afin que chacun puisse saisir la portée et l'ampleur de l'ensemble du projet.

L'intitulé que le Gouvernement a choisi pour ces trois textes, que Mme Yaël Braun-Pivet a rappelé, exprime en des mots simples la finalité de cette réforme : il s'agit de construire une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Chacune des dispositions du texte a été construite avec l'ambition d'atteindre ces objectifs.

Cette réforme profonde de nos institutions n'est pas le fruit du hasard, d'une idéologie ou d'une volonté personnelle. C'est une réponse à une crise profonde que traverse notre démocratie représentative. L'abstention, le rejet global du monde politique, la crise des formations partisanes traditionnelles, une forme de violence dans les propos et les expressions des convictions politiques, des votes extrêmes : tout cela constitue des faits que l'on ne saurait nier. Face à ces éléments, le vote de 2017 a été clair. Il marquait un vrai besoin de rénovation, traduit par un renouvellement sans précédent de votre assemblée, avec un engagement de citoyens qui n'appartenaient pas nécessairement au sérail politique traditionnel et ne souhaitaient pas que la démocratie s'étiole dans une forme de repli délétère. Votre assemblée témoigne de ce mouvement de confiance dans l'action démocratique, mais, si cette majorité a été choisie par les Français, c'est pour aller encore plus loin et redonner à nos institutions la crédibilité qu'elle mérite et que notre pays attend.

Je souhaite juste rappeler cet enjeu, cette volonté de renouvellement et de renforcement de la démocratie, car je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent, croient que nos débats ne les concernent pas et que nous serions engagés dans une discussion institutionnelle exclusivement autocentrée, alors même que l'enjeu est bien de regagner la confiance des Français – en tout cas, c'est ce que nous allons essayer de faire. Je crois qu'il nous faut collectivement éviter ce risque de laisser entrevoir qu'il pourrait s'agir d'une discussion autocentrée. La réforme qui vous est proposée n'a en fait qu'un seul objectif : redonner, je le redis devant vous, force et vitalité. Je crois utile d'observer que, dans le monde qui nous entoure – en Europe même, nous le voyons bien aujourd'hui –, c'est un enjeu qui devient primordial et que, en la matière, rien n'est jamais acquis. Voilà l'ambition de la réforme.

Quelques mots sur l'esprit de cette réforme. Comme le Premier ministre a pu l'affirmer à plusieurs reprises, le projet de loi constitutionnelle répond à la volonté de rénover notre vie politique et institutionnelle, mais dans le respect des grands équilibres de la Ve République : il ne s'agit ni d'un retour à la IVe République, ni d'un départ vers une VIe République. Bien sûr, on peut toujours en appeler à la refonte de nos institutions, à une assemblée constituante – tous les débats sont légitimes et doivent être respectés –, mais on doit aussi considérer que les Français ont massivement rejeté cette argumentation au printemps 2017, et nous avons la faiblesse de penser qu'il faut respecter leur choix.

Je souhaite également couper court à une autre affirmation infondée : on entend certains, qui soit sont réellement convaincus, soit usent d'arguments approximatifs, affirmer que le Gouvernement proposerait de revenir sur les acquis de l'importante révision constitutionnelle de 2008. C'est faux. Notre texte s'inscrit au contraire dans la perspective tracée en 2008, tout en proposant de corriger un certain nombre d'éléments dont l'expérience a montré qu'ils avaient en eux-mêmes des limites. Ce constat est d'ailleurs largement partagé. De nombreux rapports parlementaires en font état ; peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir. J'affirme donc avec beaucoup de force, notamment pour ceux – ils ne sont pas présents dans cette salle – qui, parfois, évoquent des éléments sans lire les textes que nous avons déposés, que nous ne proposons pas du tout une contre-réforme de 2008 mais que, au contraire, c'est un aboutissement de cette réforme sur bien des points. Il s'agit de respecter l'esprit des institutions telles que le général de Gaulle les concevait dans sa conférence de presse du mois de janvier 1964, esprit qu'il caractérisait par « la nécessité d'assurer aux pouvoirs publics l'efficacité, la stabilité et la responsabilité ».

Voilà donc quelques mots à la fois sur l'ambition et l'esprit de ce projet de révision constitutionnelle. Je voudrais maintenant en venir au contenu des réformes et des évolutions qui vous sont proposées.

Les dix-huit articles du projet de loi constitutionnel font évoluer de nombreuses dispositions de notre loi fondamentale. Je vous l'ai dit : c'est sans doute le projet le plus ambitieux de la Ve République, après celui de 2008. Ainsi, les membres du Gouvernement, le Parlement, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil constitutionnel, le Conseil économique, social et environnemental, les collectivités territoriales sont l'objet d'un projet qui modifie ou crée vingt-trois articles de notre Constitution, ce qui est, je crois, assez considérable. Cinq thématiques principales peuvent être dégagées.

La première d'entre elle consiste à rendre les ministres plus responsables. Le projet de loi constitutionnelle clarifie tout d'abord les conditions d'exercice des fonctions de ministre en interdisant leur cumul avec les fonctions exécutives ou de président d'une assemblée délibérante dans les collectivités territoriales, ainsi que dans les groupements ou personnes morales qui en dépendent. Serait de la sorte inscrite dans les textes une pratique qui permet d'éviter les conflits d'intérêts et qui prend également acte du fait que, lorsque l'on est ministre, on l'est nécessairement à temps plein – je peux vous le confirmer. Cela permet également une mise en cohérence avec les règles de non-cumul qui sont applicables aux parlementaires.

Par ailleurs, la responsabilité des ministres fait l'objet de dispositions novatrices. Pour les crimes et délits qui sont commis dans l'exercice de leur fonction, les ministres seront jugés, c'est dans le projet que nous vous proposons, non plus par la Cour de justice de la République, juridiction d'exception qui est supprimée, mais par une juridiction judiciaire de droit commun, la cour d'appel de Paris. Une commission des requêtes qui sera désormais inscrite dans la Constitution procédera à un filtrage pour écarter les requêtes manifestement infondées. La responsabilité pénale des ministres ne pourra être mise en cause en raison de leur inaction que lorsque celle-ci résultera d'un choix qui leur est directement et personnellement imputable ; l'idée est bien que les ministres ne doivent pas être poursuivis pénalement pour des faits dans l'ignorance desquels ils ont été tenus par leur administration. Pour les actes commis en dehors de l'exercice de leurs fonctions, les ministres relèvent totalement du droit commun, ce que nous proposons d'inscrire explicitement dans la Constitution, définissant ainsi un régime global de responsabilité. Ces dispositions tendent à trouver un équilibre – j'insiste sur ce mot – à la fois, naturellement, pour permettre la poursuite des ministres qui sont sérieusement soupçonnés d'avoir commis un crime ou un délit dans l'exercice de leurs fonctions, mais aussi pour éviter la mise en cause incessante des membres du Gouvernement sous le feu roulant des médias et d'une opinion qui peuvent souvent être prompts à juger. C'est la condition sine qua non, je crois, pour que les affaires publiques puissent être gérées sereinement, ce dont notre pays a besoin.

La question de la responsabilité des membres du gouvernement me permet d'établir un lien avec les conditions dans lesquelles nous proposons de développer la fonction de contrôle et d'évaluation du Parlement, et avec notre deuxième thématique. Elle tient à l'idée qu'il faut donner au Parlement les moyens de mieux travailler. Il s'agit en effet de rendre le travail parlementaire plus efficace, plus lisible, afin de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, et ce au bénéfice d'une action publique plus efficace. Dans quel esprit, tout d'abord, cette volonté s'inscrit-elle ?

Prolongeant la réforme de 2008, le projet de révision entend améliorer les conditions dans lesquelles la loi est discutée au Parlement et, également, donner leur pleine portée aux fonctions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Si l'on devait extraire la substance de la révision de 2008, on pourrait dire au moins trois choses. Tout d'abord, par cette révision il y a dix ans, on a entendu mieux équilibrer le travail parlementaire entre la commission et la séance, en faisant de cette dernière le lieu politique où se déroulent les débats sur les questions essentielles. On a également souhaité écrire une loi de meilleure qualité, en y adjoignant, par exemple, des études d'impact, et on a par ailleurs voulu conférer à la fonction de contrôle et d'évaluation un rôle puissant en l'inscrivant à l'article 24 de la Constitution, en prévoyant une semaine d'ordre du jour qui lui soit spécialement consacrée et en constitutionnalisant les commissions d'enquête. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que ces objectifs sont parfaitement et pleinement atteints.

Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, dit « comité Balladur » l'observait déjà deux ans après cette réforme, dans un rapport bilan, et, depuis lors, les constats se sont multipliés, tous convergents. Je pourrais citer le rapport présenté par MM. Bartolone et Winock en 2015 ou, plus récemment, les travaux menés par les groupes de travail de l'Assemblée nationale ou du Sénat, ils vont tous dans le même sens. Citons le rapport d'un groupe de travail de l'Assemblée nationale : « Le Parlement français est malade. Le constat est douloureux mais n'en demeure pas moins lucide. […] Malade, surtout, d'une embolie chronique causée par un mode de fonctionnement désormais inadapté, […] dérive pathologique du modèle parlementaire français consistant à produire toujours plus d'amendements et de temps de parole. ».

Par ce projet de révision, nous proposons de développer des moyens pour tenir les promesses de 2008, en particulier en trouvant de meilleurs équilibres entre la fonction de légiférer et celle d'évaluer. Cela consisterait, selon nous, à faire prospérer une articulation efficace, à instituer en quelque sorte un cercle vertueux entre ces deux fonctions de légiférer et de contrôler. Il s'agit de mieux légiférer en répondant plus directement aux attentes de réforme. Il s'agit ensuite de mesurer l'effet de ces réformes sur le réel. Il s'agit enfin de corriger les textes qui nécessitent de l'être. Naturellement, les moyens proposés pour arriver à ces fins seront débattus et je ne doute pas, je dirai même que j'espère, que vous aurez à coeur d'accompagner ces propositions, de les améliorer ou de les compléter.

Par quelles dispositions concrètes cette volonté d'améliorer le travail parlementaire passe-t-elle ? Certaines vont concerner le vote des textes et d'autres l'évaluation et le contrôle.

En ce qui concerne l'élaboration de la loi, le projet prévoit tout d'abord que les amendements parlementaires et gouvernementaux – j'insiste beaucoup : parlementaires et gouvernementaux – qui seraient de nature réglementaire, ou bien non normatifs ou sans lien avec le texte discuté, les cavaliers, seront déclarés systématiquement irrecevables, sans attendre que le Conseil constitutionnel les écarte in fine au moment de son contrôle. L'idée est non pas de porter atteinte au droit d'amendement, comme on l'entend trop souvent, selon une interprétation tantôt paresseuse tantôt polémique, mais de faire respecter les règles constitutionnelles qui sont déjà, au moment où je vous parle, sanctionnées par le Conseil constitutionnel. L'objectif est aussi de s'assurer que le Parlement puisse débattre de manière plus approfondie sur les amendements qui ont une réelle portée. On peut ainsi espérer que la loi adoptée sera de meilleure qualité.

De même, il est prévu que le débat en séance publique puisse se concentrer, en ce qui concerne certains textes, sur les questions les plus essentielles, après un travail approfondi effectué en commission. La révision de 2008 a d'ailleurs déjà largement engagé ce mouvement et une pratique s'est développée en ce sens au Sénat. Il me semble utile de renforcer et de stimuler cette évolution qui correspond à l'Assemblée nationale à la procédure d'examen simplifiée, trop rarement employée – uniquement pour des textes ratifiant des conventions internationales.

Il est aussi proposé de réduire le nombre des discussions sur un texte, qui peut s'élever jusqu'à treize si l'on compte son examen en commission et les différentes navettes. C'est la raison pour laquelle, après l'échec d'une commission mixte paritaire, le dernier mot pourrait être donné, comme aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, mais selon une procédure un peu plus resserrée. On peut éviter les redites inutiles, comme on en constate trop souvent en nouvelle lecture, et l'Assemblée nationale pourra toujours, en dernière lecture, comme c'est le cas actuellement, reprendre les amendements adoptés au Sénat, voire ceux qui ont été simplement déposés.

Enfin, pour répondre aux attentes des citoyens, le Gouvernement pourra mener plus rapidement les réformes qu'il juge prioritaires dans les domaines économiques, sociaux ou environnementaux, sauf opposition des conférences des présidents des deux assemblées. Le temps politique, en effet, s'est considérablement accéléré et l'ordre du jour, tel qu'il a été imaginé en 2008, est d'une rare complexité. Il soumet la navette parlementaire à une arythmie très préjudiciable au bon fonctionnement du Parlement. Par ce projet de révision, nous vous proposons de surmonter cette difficulté. Telles sont les dispositions relatives à l'élaboration de la loi.

Quant aux fonctions d'évaluation et de contrôle, les délais d'examen des lois de finances et de financement de la sécurité sociale seraient resserrés à l'automne pour que soit, en contrepartie, développé le contrôle de l'exécution du budget dans le cadre de ce qu'on appelle maintenant le « printemps de l'évaluation ». Les ministres devront rendre compte de leur gestion devant les commissions des assemblées. Vous avez d'ailleurs déjà engagé ce mouvement qui me semble peut-être encore « en période de rodage ». Cette disposition permettrait certainement d'aller plus loin dans cette évaluation de la réalité de l'exécution par le Gouvernement du budget que vous, Parlement, aurez adopté.

Le projet traduit aussi la volonté de donner plus de substance à la semaine d'ordre du jour qui est aujourd'hui consacrée au contrôle et à l'évaluation. L'organisation de ces semaines, en effet, ne satisfait personne et notre projet prévoit qu'au cours de ces semaines de contrôle pourraient être examinés des textes tirant les conclusions des travaux d'évaluation menés par les parlementaires, et ce en étant mieux programmés par les assemblées. Reprenant ainsi une proposition des groupes de travail de l'Assemblée nationale, le Gouvernement souhaite donner corps à ce cercle vertueux que j'évoquais précédemment : réformer, évaluer, corriger.

Ces propositions du Gouvernement relatives au Parlement s'inscrivent bien, je le répète, dans la logique de 2008, qui est celle des grandes démocraties contemporaines. Brasser des dizaines de milliers d'amendements, les présenter parfois jusqu'à treize fois, examiner des amendements contraires à la Constitution, passer du temps sur des amendements périphériques pour ne pas avoir le temps, ensuite, de discuter sérieusement de ceux qui sont au coeur du débat, cela ne me semble pas être une perspective idéale pour le Parlement et les parlementaires. Il me semble que nous devrions pouvoir trouver collectivement les moyens de travailler ensemble, mieux, car je crois que nous sommes ensemble embarqués « sur le même navire », mais, comme je l'indiquais au début de mon propos, ce projet de révision ne touche pas seulement le Gouvernement ou le Parlement.

Il entend aussi répondre aux aspirations des Français concernant l'indépendance de la justice, la participation des citoyens à la définition des grands choix publics et l'adaptation des territoires aux enjeux contemporains. Ce sont donc ces trois derniers points dont je voudrais vous dire un mot maintenant.

Troisième grande thématique de cette révision constitutionnelle : une justice plus indépendante. Le Président de la République s'était engagé à mener une réforme, qui, quoique attendue de longue date, n'a, pour des raisons diverses, jamais pu voir le jour. Le projet de loi constitutionnelle propose ainsi de supprimer la disposition aux termes de laquelle les anciens présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. L'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008 a renforcé le caractère juridictionnel du Conseil et la règle qui avait été adoptée en 1958, permettant de régler la situation singulière de Vincent Auriol et René Coty, n'est évidemment plus justifiée aujourd'hui. Afin de préserver les droits de l'opposition dans la perspective de la réduction du nombre de parlementaires, le seuil actuel pour saisir le Conseil constitutionnel passerait de soixante députés ou soixante sénateurs à quarante députés ou quarante sénateurs.

Enfin, et c'est pour moi, évidemment, une mesure essentielle, l'indépendance de la justice sera confortée. Les membres du parquet seront nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, et non plus sur avis simple. Dans cet esprit, la même formation statuera comme conseil de discipline des magistrats du parquet de manière identique à ce qui existe déjà pour ceux du siège, écartant ainsi tout risque de suspicion même si celle-ci est injustifiée. La règle essentielle selon laquelle le Gouvernement, précisément la garde des Sceaux, conduit la politique pénale de notre pays, comme l'exige l'article 20 de la Constitution, sera préservée.

La quatrième thématique rassemble les enjeux actuels de la participation citoyenne. Si le besoin de rénovation de notre vie politique est intense, celui de l'ouverture de nos institutions aux citoyens et aux enjeux contemporains ne l'est pas moins. Peut-être, d'ailleurs, aurais-je dû commencer par cela, car l'idée est bien de reconnaître ici dans notre Constitution que la participation citoyenne et le rôle de la société civile sont la condition même du bon fonctionnement démocratique de notre pays. Le Conseil économique, social et environnemental deviendra ainsi la Chambre de la société civile, faisant apparaître pour la première fois ces termes dans notre Constitution. Composée de 155 représentants de la société civile, cette chambre éclairera les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, en particulier à long terme. Elle organisera la consultation du public et elle aura aussi vocation à accueillir et à traiter les pétitions dans un cadre rénové. Cette chambre sera systématiquement saisie des projets de loi à caractère économique, social et environnemental.

Il ne s'agit pas d'un simple « ravalement de façade » pour une institution utile mais trop méconnue ; il s'agit vraiment d'une transformation profonde dont l'ambition est de résoudre la difficulté concrète sur laquelle nous butons depuis plusieurs années, sans avoir jamais réussi à la surmonter : comment réussir à associer démocratie représentative et démocratie participative ? Cette association doit se construire sans confusion des rôles et sans instituer de mandat impératif, lequel est, vous le savez, interdit par notre Constitution car il est la négation de l'idée même de représentation.

L'idée est de faire de la Chambre de la société civile le réceptacle des initiatives citoyennes, de lui permettre d'en analyser la portée et le contenu pour ensuite saisir les assemblées parlementaires par lesquelles le peuple exerce la souveraineté nationale, en application de l'article 3 de la Constitution. Il faut, je crois, mesurer le changement d'approche de nos pratiques démocratiques contenu dans ces dispositions.

Répondre aux aspirations des citoyens, c'est aussi prendre la mesure des grands enjeux contemporains. C'est la raison pour laquelle la lutte contre les changements climatiques trouvera sa place dans notre loi fondamentale. L'action menée par la France depuis la COP 21 lors du sommet de Paris en 2015 sera ainsi ancrée dans notre Constitution. Je sais qu'il y a un débat sur la meilleure manière de traduire constitutionnellement l'importance de cet enjeu. C'est une question légitime et je suis sûre que nous trouverons ensemble la solution adaptée.

Enfin, cinquième thématique : des territoires mieux administrés au plus près de nos concitoyens.

L'esprit de responsabilité que veut insuffler la réforme constitutionnelle doit également prévaloir à l'échelon local, conformément au « pacte girondin » sur lequel le Président de la République s'est engagé.

Par un droit à la différenciation, il s'agit de permettre à certaines collectivités territoriales d'exercer des compétences dont ne disposeront pas l'ensemble des collectivités de la même catégorie.

Parallèlement sera ouverte la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de déroger, lorsque la loi ou le règlement l'ont prévu, aux dispositions législatives ou réglementaires régissant leurs compétences. Cette dérogation pourra intervenir ou non après une expérimentation prévue à l'article 72, mais la différence essentielle, c'est que la différenciation pourra être pérenne et non plus seulement, comme aujourd'hui, soit abandonnée, soit étendue après l'expérimentation.

Par ailleurs, afin de reconnaître la spécificité de la seule île française située en Europe qui a les dimensions d'une région, le projet de loi constitutionnelle inscrit la collectivité de Corse dans la Constitution, à l'article 72-5. Dans le respect du principe d'indivisibilité de la République, cet article ouvre des possibilités d'adaptation nouvelles des lois et règlements pour tenir compte des spécificités qui sont liées à l'insularité, ainsi qu'aux caractéristiques propres de l'Île de Beauté, caractéristiques géographiques, économiques ou sociales.

Enfin, les départements et régions d'outre-mer pourront aussi bénéficier d'un régime propre de différenciation des normes grâce à une procédure plus simple que celles existantes aujourd'hui. Ces collectivités pourront être habilitées, par décret en Conseil des ministres, à fixer elles-mêmes certaines règles relevant de la loi ou du règlement. Dans tous les cas, le Parlement conservera un droit de regard en conclusion de ce processus.

Mesdames et messieurs les députés, les mesures que je viens de vous présenter témoignent de ce que le projet de loi constitutionnelle a une véritable et grande ambition. Il faut insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un texte dans lequel les politiques parlent aux politiques, mais d'une réforme ouverte sur les préoccupations des Français et qui répond, je le crois, à leur souhait de rénovation. C'est vraiment pour nous un enjeu essentiel.

Ce que les Français veulent, c'est une démocratie plus représentative, et cela se réalisera avec davantage de pluralisme lié à la proportionnelle, avec plus de renouvellement grâce au non-cumul des mandats dans le temps, avec plus de participation des citoyens et de la société civile.

Ce que les Français veulent aussi, c'est une démocratie plus efficace, avec un Parlement qui légifère mieux et qui évalue davantage les lois, avec des collectivités qui par définition connaissent réellement les territoires et pourront répondre aux aspirations concrètes des Français par les adaptations que nous proposons.

Ce que les Français veulent enfin, c'est une démocratie plus responsable. Cela se réalisera avec un Parlement qui contrôle puissamment le Gouvernement et son administration, avec des ministres dont la responsabilité pénale relèvera d'une juridiction de droit commun, et avec une justice plus indépendante.

Nous abordons maintenant le temps du débat devant le Parlement, et ce débat sera un acte symbolique fort puisque le Parlement va se transmuer à cet effet en pouvoir constituant. C'est un acte de forte responsabilité. Dans ce cadre, le Gouvernement sera très attentif à toutes les propositions qui seront faites par les députés et sénateurs, notamment à partir des travaux que vous avez déjà menés. Mais l'attention du Gouvernement restera également concentrée tout à la fois sur la nécessité de maintenir les grands équilibres de la Constitution de 1958 et sur celle de n'inscrire au rang constitutionnel que ce qui doit en relever. Il faut en effet toujours, dans ce débat, que nous conservions à l'esprit que d'autres lois, organiques ou ordinaires, seront ensuite prises en application de ce projet de révision, si, comme le Gouvernement le souhaite, le souverain l'adopte.

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