Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

C'est toujours un plaisir, monsieur le rapporteur général, d'engager le dialogue avec vous.

Sur la procédure, qui est le premier point que vous avez évoqué, je rappelle ce que dit notre Constitution. Pour la révision constitutionnelle, le Président a pris, comme il devait le faire, la procédure de l'article 89 de la Constitution, qui, comme vous l'avez rappelé, exige un vote conforme par les deux assemblées sur un même texte. Après quoi, ce vote étant obtenu, il appartiendra au Président de la République de faire un choix, qui est totalement libre. Il peut choisir soit de réunir le Congrès, et donc de faire voter le texte à la majorité des trois cinquièmes, soit de saisir directement le peuple français par voie référendaire. La logique semble être celle du Congrès mais tout autre choix est régulièrement prévu par la Constitution.

Vous soulignez à juste titre le souhait de débattre dans la clarté et m'interrogez dès lors sur le contenu des lois organiques. Je rappelle qu'il y a deux types de lois organiques, qu'il convient de distinguer, pour l'objet dont nous parlons. Il y a, d'une part, la loi organique électorale que vous connaissez déjà puisqu'elle vous a été présentée, et qui forme en quelque sorte le triptyque de cette réforme institutionnelle. Cette loi organique, qui a été déposée il y a quinze jours, est un texte autonome, que vous examinerez sans doute à l'automne. À côté de cela, il y aura des lois organiques d'application de la révision constitutionnelle, si vous l'adoptez. Celles-ci porteront sur le Conseil supérieur de la magistrature, la responsabilité pénale des ministres, la Chambre de la société civile… Ces lois organiques, par définition, ne pourront être déposées qu'après la révision, donc certainement en 2019. Il va de soi que, quand ce sera possible, tous les éléments vous seront communiqués pour que vous puissiez apprécier la cohérence globale de ce que nous sommes en train de faire.

Vous m'interrogez également sur l'équilibre des pouvoirs liés au rôle du Parlement et vous avez précisé que, pour s'organiser dans la vie, il fallait anticiper. Certes, mais il faut aussi savoir s'adapter. (Sourires.). L'anticipation me semble en effet tout à fait importante et une meilleure prévisibilité des travaux législatifs est certainement nécessaire. Le Gouvernement s'y est astreint et j'en veux pour preuve la lettre du 12 mars dernier, qui figure sur le site de l'Assemblée nationale, mais je pense que nous pouvons faire mieux.

Vous avez évoqué la question de l'égalité et des délais de dépôt des amendements auxquels le Gouvernement pourrait être soumis. C'est d'ores et déjà possible, en application de l'article 44 de la Constitution, qui renvoie à une loi organique, qui détermine le cadre dans lequel s'exerce le droit d'amendement. Le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel d'avril 2009 indique clairement que ces dispositions sont de niveau organique. C'est un sujet dont nous aurons l'occasion de traiter plus avant.

Enfin, vous évoquez la volonté de ne pas lier le Parlement en figeant le nombre des commissions, sur lequel vous souhaitez disposer de plus de liberté. J'entends cette volonté mais je rappelle que la fixation du nombre de commissions est un point important qui est aux origines même de la Constitution de 1958. Il y a donc peut-être une certaine prudence à avoir. Il ne faudrait pas aboutir à des commissions très nombreuses avec peu de parlementaires et donc peut-être moins d'efficacité. Mais tout cela est également ouvert à nos échanges.

Madame la rapporteure, vous avez évoqué la double exigence du respect du temps long et de la cohérence politique, et m'interrogez sur trois points précis.

Vous demandez si l'on peut changer le nom du Conseil constitutionnel. Cela se discute. L'évolution qu'a connue le Conseil constitutionnel, notamment depuis la révision constitutionnelle de 2008 et l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, fait que le Conseil constitutionnel est de plus en plus une cour constitutionnelle, à l'instar de bien d'autres de ses homologues européens. La question pourrait être posée, mais je ne sais pas si elle est essentielle et si c'est un point que nous pouvons ouvrir. Je vous en laisse juge. Il me semble que, sur le Conseil constitutionnel, d'autres sujets sont peut-être plus importants.

Vous évoquez par ailleurs la nécessité d'aller vers plus de droit commun encore pour la responsabilité des ministres, et la possibilité d'introduire un double degré de juridiction pour leur responsabilité pénale. Le Gouvernement propose déjà la fin de la juridiction d'exception, et nous allons donc évidemment vers du droit commun. La solution est très complexe à trouver sur la responsabilité ministérielle. Si nous avons choisi de proposer la cour d'appel de Paris comme chambre de jugement, c'est parce que nous voulons éviter des procès à rallonge, d'abord le tribunal, puis la cour d'appel, et que nous estimons que la singularité de la fonction ministérielle suppose sans doute un traitement particulier. Nous voulons au fond éviter les feuilletons judiciaires et nous estimons également que les formations collégiales d'instruction et de jugement seront peut-être composées de juges plus expérimentés, alors que les affaires qui mettent en cause la responsabilité pénale des ministres sont souvent extrêmement complexes. Par ailleurs, autant il est nécessaire qu'il y ait toujours une voie de recours, autant l'appel n'apparaît pas comme une condition constitutionnelle dans notre droit.

Enfin, vous m'interrogez sur l'articulation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Parlement. Nous en proposons une épure dans le texte constitutionnel, notamment autour de deux points : les avis sur les projets de loi économiques, sociaux et environnementaux qui seront déposés par le Gouvernement, et la question des pétitions. Nous disons dans le texte constitutionnel que les pétitions seront analysées et traitées par la Chambre de la société civile mais il va bien falloir trouver une articulation avec le Parlement. Il me semble que cela ressortira de la loi organique, sauf si vous estimez qu'il y a là des précisions à apporter.

Monsieur Fesneau, vous m'interrogez sur le droit d'amendement. Quelle est premièrement la logique qui a présidé aux dispositions affichées dans le texte ? Nous n'avons pas pour volonté de porter atteinte au droit d'amendement. Au contraire, il s'agit de donner toute sa puissance à ce droit qui est inscrit dans la Constitution et constitue un des éléments de la procédure législative. Pour ce faire, nous proposons de lui appliquer strictement toute la Constitution, dès l'amont. Cette rigueur s'appliquera de la même manière au droit d'amendement du Gouvernement. Nous aurons donc les mêmes règles de ce point de vue-là, sanctionnant les amendements non normatifs ou sans lien direct avec un texte.

S'agissant de ce lien direct, le projet vise à recentrer les amendements sur le texte en cours de discussion. Le texte n'est ni un prétexte, ni un contexte. Les amendements doivent donc porter sur le texte en cours de discussion. Le Gouvernement s'appliquera cette même rigueur. Nous ne proposons donc pas une révolution, mais une discipline à partager.

J'y insiste. Comme ancienne membre du Conseil constitutionnel, je me souviens de quelques textes de loi dont il a été conduit à annuler 60 ou 70 dispositions, considérant qu'elles n'avaient pas de lien direct avec le texte. Le travail d'analyse colossal conduit au Parlement se trouve ainsi avoir été mené pour rien. C'est pourquoi je souhaite plutôt faire partager une pratique vertueuse.

Deuxièmement, vous m'interrogez sur un rapprochement entre le Parlement et la Cour des comptes, sujet qui a déjà été porté ici et sur lequel vous ouvrez un débat. Il me semble qu'il est possible d'avoir des liens plus étroits entre les deux, tout en respectant l'indépendance de la Cour. Elle tire en effet sa crédibilité de sa qualité de juridiction indépendante. J'insiste donc sur son indépendance. Mais vous évoquez plutôt, au fond, la possibilité dont pourrait être doté le Parlement de disposer de moyens propres pour réaliser les contrôles qu'on veut renforcer. Nous évoquerons en effet ces questions.

Troisièmement, vous m'interrogez sur le droit à la différenciation. Au moment où nous aborderons le débat en séance publique sur le texte constitutionnel, nous serons en mesure de vous présenter le contenu des projets de loi organique, ce qui contribuera à une clarté accrue. Vous me demandez des exemples concrets : une collectivité pourrait se voir attribuer une compétence générale en matière de voirie, même si c'est un cas hypothétique. Deux départements seraient prêts quant à eux à ce que la région à laquelle ils appartiennent leur transfère une partie de ses compétences économiques.

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