Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Au Bourbon, un café qui se trouve à proximité de l'Assemblée, je rencontrais ce matin des anciens « marcheurs » que j'interrogeais sur la cause de leur déception à l'égard du macronisme. Ils étaient finalement moins déçus par le fond des réformes que par le style politique d'Emmanuel Macron. En gros, alors que pendant la campagne, on leur a vendu du « community », de l'horizontalité, du « coworking », de l'intelligence collective, ils se retrouvent confrontés à une pratique solitaire, autoritaire et verticale du pouvoir. Emmanuel Macron revendique d'ailleurs cette verticalité dans l'entretien qu'il a accordé à la NRF. Il déclare « assumer totalement la verticalité du pouvoir », et il estime que le temps de délibération est un peu du temps perdu – il faudrait quand même pouvoir aller un petit peu plus vite ! Le journal libéral L'Opinion commente : « Cet entretien s'inscrit dans la vision monarchique et assumée comme telle qu'Emmanuel Macron avait développée avant son élection ». Le quotidien rappelle certains des propos tenus alors. En juillet 2015, il disait au Point : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement, un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. » À la veille de l'élection, il confirmait : « Ce moment que nous vivons a quelque chose de napoléonien. »

Pour les députés du groupe La France insoumise, ce projet de loi s'inscrit dans la vision monarchique qui est celle d'Emmanuel Macron. On peut appliquer au « pouvoir législatif » d'aujourd'hui ce que l'on disait hier de l'Union des républiques socialistes soviétiques : quatre mots, quatre mensonges.

La séparation des pouvoirs est aujourd'hui une fiction. La proposition de loi sur les fake news que l'Assemblée examine demain est, à ce titre, une caricature. Que s'est-il passé ? Emmanuel Macron, qui n'a pas supporté d'être attaqué pendant la campagne électorale, a voulu une loi qu'il a annoncée, comme un caprice, à l'occasion d'une conférence de presse. Résultat : il n'y a même pas eu de projet de loi présenté par le Gouvernement, mais une proposition de loi présentée par un parlementaire. Autrement dit, on a trouvé un élu pour porter ce texte afin d'éviter l'étape de l'étude d'impact et de s'assurer de l'adopter avant les prochaines élections européennes. Tout cela montre à quel point, d'ores et déjà, ce Parlement peut être le pantin de l'exécutif et se prêter à un numéro de ventriloquie.

Le projet de loi constitutionnelle vise à exacerber cette tendance. La presse a compris le risque de concentration des pouvoirs qu'il faisait courir. L'Opinion – vous voyez que je ne cite pas des journaux particulièrement à gauche – dit comment le Parlement va être bridé – comme s'il ne l'était pas déjà ! Le Monde estime que le texte réduira les pouvoirs du Parlement – comme s'ils étaient considérables !

J'assistais hier à des échanges entre professeurs de droit constitutionnel à l'Université Picardie-Jules-Verne, dans ma ville d'Amiens. Sur tous les sujets, qu'il s'agisse de la fixation de l'ordre du jour ou de l'exercice du droit d'amendement, les professeurs et les maîtres de conférences présents considéraient à l'unanimité que le texte affaiblissait le Parlement. Pour tous, il était clair qu'il s'agissait de revenir sur les quelques acquis de la réforme de 2008.

Nous ne défendons pas le Parlement pour le Parlement, mais la question posée aux Français, qui se pose aussi à nous-mêmes, est la suivante : voulons-nous plus de démocratie, ou une monarchie, renouvelable tous les cinq ans, voulons-nous un « roi Macron », voulons-nous que toujours plus de pouvoirs soit concentrés entre les mains d'un seul homme ?

Pour nous la réponse est évidemment « non », et nous engageons la bataille pour défendre cette position.

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