Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Monsieur Sacha Houlié, s'agissant du renforcement des droits du Parlement et de l'augmentation du nombre de commissions permanentes, vous reprenez une observation formulée par M. Richard Ferrand. Je vous répète ce qui n'est pas du tout une opposition à bouger sur ce sujet, mais une simple observation : certes, le nombre des commissions a été choisi par les constituants avec des objectifs bien précis, mais je vous demande de réexaminer cette question à l'aune du travail nouveau qui devra être fait en commission. Demain, vous savez que nous allons dans ce sens, le travail sur la loi sera très largement effectué en commission. Nous souhaitons ainsi prolonger la révision constitutionnelle de 2008. À partir du moment où les commissions vont devenir un lieu de délibération assez large où l'on fera la loi grandement, peut-on démultiplier leur nombre à l'infini ? Je sais que ce n'est pas ce que vous proposez, et je vous fais simplement part de ma réflexion.

J'ai déjà répondu à M. Richard Ferrand sur la prévisibilité du calendrier. Nous pouvons progresser ensemble sur ce sujet.

S'agissant du Parlement modernisé, vous m'interrogez sur les thématiques dont le Parlement pourrait s'emparer en évoquant la question du climat. Ce thème pourrait-il figurer à l'article 1er de la Constitution ? Je réponds que rien n'est impossible, et qu'il faut évidemment mesurer ce que cela signifie de deux manières.

L'article 1er de notre Constitution a une forte valeur symbolique. Il comporte très peu de notions qui, toutes, traduisent l'unité de notre République et de notre Nation. Il est évidemment possible d'en diversifier le contenu.

J'ajoute, sans approfondir à ce stade cette observation, que l'enjeu est plus symbolique que juridique. Placer le climat à l'article 1er, pourquoi pas ? Il me semble que la force juridique donnée alors à la lutte contre les changements climatiques n'en sera pas nécessairement singulièrement renforcée. Je pourrais le démontrer, mais je ne veux pas le faire maintenant parce que ce serait peut-être trop long et trop technique. Symboliquement, en tout cas, il est certain que cela serait assez puissant.

Monsieur Guillaume Larrivé, vous m'avez interrogée en particulier sur l'utilisation du référendum à propos des trois textes consacrés à la réforme institutionnelle. Je souligne tout d'abord que ces trois textes ont d'ores et déjà été déposés devant votre assemblée. Cela témoigne du fait que le Président de la République souhaite que le débat s'engage sur ces trois textes devant votre assemblée.

S'agissant du recours au référendum, les choses sont assez claires et découlent du texte de la Constitution. Juridiquement, le référendum de l'article 11 de la Constitution n'est envisageable, s'il en était ainsi décidé, que pour le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, il ne l'est pas pour le projet de loi constitutionnelle. S'il devait y avoir un jour un référendum sur le projet de loi constitutionnelle, ce ne pourrait être qu'un référendum de l'article 89 de la Constitution, qui n'aurait donc lieu qu'après que l'Assemblée et le Sénat auront adopté un texte en termes identiques.

Vous souhaitez ne pas affaiblir l'Assemblée nationale et vous vous opposez aux restrictions du droit d'amendement que vous jugez contraires aux exigences démocratiques. Je crois au contraire, monsieur le député, qu'un droit d'amendement qu'il n'est pas question de réduire, mais que nous entendons centrer sur le texte en discussion, aussi bien pour le Parlement que pour le Gouvernement, constitue une meilleure manière de répondre aux exigences démocratiques.

Enfin, et vous avez déjà eu l'occasion de me présenter cet argument, vous évoquez la question de la combinaison entre la réduction du nombre de députés, à laquelle, si j'ai bien compris, vous ne seriez pas opposé, et l'introduction de la représentation proportionnelle, qui conduit selon vous à un système qui n'est pas du tout satisfaisant, avec deux types de députés. Le Gouvernement entend au contraire permettre une meilleure représentativité de votre assemblée, une représentativité qui la fasse mieux correspondre à ce qu'est la réalité politique des Français. Je pense qu'il s'agit d'une richesse et non d'un handicap.

Je ne reprends pas les autres points que vous avez évoqués car nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir un petit peu plus tard.

Madame Laurence Vichnievsky, vous constatez que nous ne parlons aujourd'hui que de la Constitution. C'est vrai, mais les trois textes déposés à l'Assemblée interagissent : c'est parce que les parlementaires seront moins nombreux, parce que le cumul ne sera plus possible, y compris dans le temps, que les fonctions des représentants de la Nation seront modifiées.

Vous m'interrogez par ailleurs sur les compétences des collectivités. Ne faut-il pas saisir l'occasion qui nous est offerte pour reconstruire un régime complètement cohérent des compétences des collectivités territoriales ? Je rappelle que ces compétences sont fixées par la loi, et qu'elles ont été largement modifiées ces dernières années avec la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », puis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ». Les élus souhaitent aujourd'hui plus de souplesse pour adapter cette évolution des compétences aux spécificités locales. C'est la raison pour laquelle le projet de loi constitutionnelle offre un cadre qui permettra cette différenciation des compétences. L'objet de la Constitution est bien de dessiner ce cadre, et non vraiment de répartir les compétences dans la Constitution – ce serait beaucoup trop rigide.

Madame Cécile Untermaier, vous appuyant sur les écrits remarquables de Pierre Rosanvallon, vous évoquez de manière générale, la question de la représentativité. Vous m'interrogez sur la Cour de justice de la République en considérant, qu'au fond, nous faisons succéder à une juridiction d'exception, une procédure d'exception. Il ne s'agit pas d'une procédure d'exception, mais bien de la procédure de droit commun applicable devant la cour d'appel. Nous prenons seulement acte de la singularité de la fonction ministérielle, et de la stabilité nécessaire à l'exercice de ces fonctions pour introduire une commission spéciale qui filtrera, en quelque sorte, les différentes demandes. Je rappelle que la décision de la cour d'appel fera l'objet, comme dans la procédure de droit commun, si cela est souhaité, d'un recours en cassation. Il me semble que nous respectons au mieux les procédures de droit commun.

S'agissant du CSM, vous faites référence aux propositions qui résultent de la précédente législature et de ce que l'Assemblée nationale a voté. Nous nous calons sur ces propositions, c'est pour nous essentiel.

Vous évoquez enfin la question de l'adaptation des collectivités territoriales en souhaitant le maintien d'une cohérence. Je rappelle que nous revendiquons cette cohérence dans le projet de loi constitutionnelle parce que le Conseil d'État a insisté sur cet aspect à plusieurs reprises dans son avis. Il a constaté que les dispositions, telles qu'elles étaient présentées, répondaient à cette exigence de cohérence. Il précise, s'agissant des dérogations aux dispositions législatives ou réglementaires, que « les mesures prises dans ce cadre par les collectivités territoriales ne pourront porter atteinte au principe d'égalité entre les personnes auxquelles elles s'appliquent. » L'exigence de cohérence et de respect du principe d'égalité est bien présente. Nous ne souhaitons absolument pas aller vers l'éclatement.

Parmi les dispositions relatives à la démocratie participative continue ou « continuée », comme le font valoir certains auteurs, il me semble, par exemple, que les dispositions relatives au traitement des initiatives citoyennes par la Chambre de la société civile méritent considération. Elles tendent précisément à répondre aux exigences de la démocratie participative.

Monsieur Pierre Morel-À-L'Huissier, nous considérons que l'ordre du jour est actuellement trop rigide et que des difficultés naissent de cette rigidité qui découle du système mis en place en 2008. Nous avons pour objectif d'introduire plus de souplesse. On constate aujourd'hui une forme d'arythmie ou de thrombose – je ne sais pas quels termes médicaux peuvent être employés –, et nous devons trouver les moyens de mieux travailler ensemble.

Nous faisons une proposition , puisque, comme vous l'avez vu, en quelque sorte, nous forçons un peu l'ordre du jour sur un certain nombre de textes. Nous serons évidemment attentifs à vos remarques, mais tel est pour nous le problème et tel est l'objectif.

Vous avez également évoqué la question des amendements en me demandant qui déciderait de leur irrecevabilité. Nous souhaitons que soit exactement repris ce qui se fait aujourd'hui au Sénat : les présidents de commission pourraient exercer ce contrôle.

Vous évoquez aussi la Société Française de l'Évaluation (SFE) et France Stratégie. Ce ne sont pas des propositions nouvelles. Elles circulent actuellement. Je ne veux pas y répondre ici.

Vous avez enfin prononcé le mot « omerta » s'agissant de l'administration face aux demandes des parlementaires. Vous me permettrez de le contester en considérant, en tant que chef d'administration, le nombre de réponses que nous fournissons à des parlementaires, et celui des sollicitations auxquelles nous répondons. Je n'ai vraiment pas le sentiment d'une omerta. Je ne parle pas des auditions auxquelles les ministres doivent légitimement répondre, mais des contacts extrêmement fréquents qui se nouent entre le Parlement et les administrations. Je regrette que vous puissiez les analyser ainsi, même si nous pouvons évidemment toujours améliorer les choses. Je ne souhaite pas que l'on puisse considérer que les administrations font obstacle au contrôle du Parlement.

Concernant l'adaptation, l'article 72 permettra que la norme nationale puisse attribuer des compétences différentes aux collectivités à chaque fois qu'il y aura une spécificité et une volonté locale. Il permettra, aussi, d'habiliter les collectivités à déroger aux règles nationales pour adapter les normes aux spécificités des territoires dans le champ des compétences de ces collectivités, le tout évidemment avec un certain nombre de garanties. J'ai évoqué tout à l'heure les limites que le Conseil d'État avait souhaité voir inscrire dans notre Constitution.

Vous avez dit que « j'avais dit » que le Conseil constitutionnel était une cour suprême. En tant qu'ancien membre du Conseil constitutionnel, je le pense. À vrai dire, je pense plutôt que c'est une cour constitutionnelle, et pas tout à fait une cour suprême, ce n'est pas exactement la même chose. Nous n'allons pas mener ce débat maintenant. La question est de savoir s'il est capital de renommer le Conseil constitutionnel : je ne sais pas, je n'en suis pas certaine.

Monsieur François Ruffin, vous ne serez pas étonné que je ne partage par les observations dont vous avez bien voulu nous faire part. Vous avez parlé d'exercice solitaire et autoritaire du pouvoir ; vous avez parlé de vision monarchique du système. Je crois que ce n'est pas exactement ce que nous construisons. Lorsque nous mettons en place la Chambre de la société civile, encore une fois, avec toutes les observations que vous pouvez et pourrez faire sur son fonctionnement, cela ne relève pas d'une vision autoritaire et autocentrée du pouvoir, mais, au contraire, de la volonté de mieux saisir l'horizontalité de ce que nos concitoyens peuvent ressentir.

Lorsque nous cherchons à accroître les pouvoirs de contrôle du Parlement, nous ne sommes pas dans la logique que vous décrivez. Il y a moins d'une semaine, dans cette même salle, j'étais soumise à la question par vos collègues sur la manière dont j'avais géré mon budget. Je devais répondre sur des sujets extrêmement concrets et précis. Il s'agit bien une capacité donnée au Parlement d'accroître son contrôle sur les politiques publiques. Nous donnons en plus la capacité au Parlement de faire des propositions à la suite du contrôle des politiques publiques, ce qui me semble très positif. Je ne crois décidément pas que tout cela relève d'une quelconque vision exclusivement monarchique. Vous observerez par ailleurs qu'aucun des pouvoirs du Président de la République ne fait l'objet d'une quelconque accentuation dans le projet de loi constitutionnelle.

Enfin, je ne partage pas du tout votre expression lorsque vous parlez du Parlement « pantin de l'exécutif ».

Durant la dernière législature, le volume des textes s'est accru de 30 % entre leur entrée et leur sortie du Parlement. Cet accroissement du nombre des dispositions législatives dans les textes n'a pas pour origine le seul Gouvernement, il s'explique aussi par l'adoption d'amendements d'origine parlementaire.

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