Intervention de Nicolas Forissier

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9h05
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Forissier, rapporteur spécial :

Je regrette que le ministre Bruno Le Maire ne puisse pas entendre mes remarques sur le commerce extérieur, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.

Mon rapport spécial porte sur le commerce extérieur et l'internationalisation de nos entreprises. Je m'exprime dans le cadre de la mission Économie, mais les crédits qui concourent à cette politique sont loin de se limiter au programme 134. Ils sont répartis dans douze programmes différents, ce qui illustre que la France manque clairement d'une politique coordonnée en matière de commerce extérieur.

Depuis 2014, la compétence en la matière relève principalement du ministère chargé des affaires étrangères, qui n'est pas représenté ce matin, mais les décrets d'attribution de plusieurs autres ministres, dont le ministre de l'économie et le ministre de l'agriculture, continuent de préciser qu'ils participent à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de commerce extérieur.

Dans les faits, ni le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ni le ministre de l'économie ne peuvent pleinement se consacrer à ces questions. Traditionnellement, le ministre de l'agriculture est davantage pris par Bruxelles que consacré à l'ouverture de nouveaux marchés. Le secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères, M. Jean-Baptiste Lemoyne, s'investit pleinement sur ce sujet mais n'en est pas spécifiquement en charge et manque donc de visibilité. La politique en matière de commerce extérieur souffre d'un déficit de pilotage clair et de l'absence d'un chef de file identifié. C'est la première fois depuis 1995 qu'il n'existe pas de ministre en titre du commerce extérieur. Pour autant, nous sommes tous d'accord pour considérer cette politique comme une priorité nationale. Le déficit du commerce extérieur français est le plus mauvais indicateur de l'économie française. Un défi nous est donc posé, et nous devrions incarner cette politique plus fortement au niveau le plus élevé de l'État.

Cette question se pose d'autant plus que la part de la France dans le marché mondial a été divisée par deux, pour atteindre aujourd'hui 3,7 %. Notre déficit commercial est deux fois plus élevé qu'en 2005. Le solde des biens de la France s'est encore creusé en 2017, pour atteindre un déficit de 65,6 milliards. Le solde global est en déficit de 62,3 milliards, tandis que l'Allemagne connaît un excédent de 240 milliards. L'écart du solde commercial entre l'Allemagne et la France est donc de plus de 300 milliards.

Il y a eu dernièrement des annonces positives, et elles apparaissent lorsque l'on analyse la fin de l'exécution des crédits pour 2017. Le Premier ministre lui-même a annoncé le 23 février dernier une réforme du dispositif public d'appui à l'export.

Cette réforme est ambitieuse et je la soutiens. Cependant, il semble contradictoire de vouloir mener une réforme d'ampleur tout en continuant à diminuer les crédits affectés au commerce extérieur. Cette tendance n'est pas récente, j'ai été rapporteur du budget du commerce extérieur il y a des années et c'était déjà le cas. Il y a là un problème de logique, madame la secrétaire d'État et je voudrais que vous nous apportiez des réponses : la rationalisation de la dépense doit découler d'une réforme réussie et ne pas en être le préalable.

En exécution 2017, les crédits affectés à Business France sont en baisse, une nouvelle fois. La subvention du ministère de l'économie s'établit à 92 millions d'euros, soit 4,2 millions de moins que l'an dernier, alors que la loi de finances initiale prévoyait une dotation de 98 millions. En trois ans, les moyens budgétaires alloués à Business France ont chuté de près de 13 % en exécution. Cette subvention ne peut même plus couvrir ses charges de masse salariale, ce qui veut dire que Business France est obligé d'augmenter ses facturations, en nombre et en tarif, ce qui n'est pas favorable aux entreprises que cet opérateur est censé accompagner. On alourdit donc le coût à la charge des entreprises, notamment les salons d'exports, alors même que nous sommes déjà peu compétitifs comparés à certains de nos concurrents.

Il faut donner un signe fort. Le Gouvernement va-t-il sanctuariser les crédits affectés au commerce extérieur, en particulier le budget de Business France, sachant que son contrat d'objectifs et de performance doit être renégocié en 2018 ? Pouvez-vous me confirmer cette sanctuarisation ?

Enfin, la Cour des comptes a relevé qu'un indicateur de performances sur Business France était extrêmement imprécis. Sans entrer dans le détail, nous n'avons pas de certitudes qu'il soit très efficient. Le Gouvernement est-il décidé à revoir cet indicateur ?

Autre point notable de l'exécution 2017 pour le commerce extérieur : le transfert du système de garanties publiques de la COFACE à Bpifrance Assurance Export. Je souligne, en lien avec les propos du Premier président de la Cour des comptes, que ce transfert a permis une amélioration très conjoncturelle du solde budgétaire avec la reprise du solde de la COFACE de 4,1 milliards parmi les recettes non fiscales de l'État. Évidemment, cela ne se reproduira pas tous les ans.

Seuls les coûts de gestion de ces garanties sont inscrits au programme 134. Ils s'élèvent à 60 millions en 2017, coûts de déploiement informatique compris. Les dépenses et recettes des garanties publiques sont désormais inscrites dans un nouveau compte de commerce Soutien financier au commerce extérieur. Elles sont d'ailleurs en net recul par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale.

Je suis cependant favorable à ce transfert qui permet une simplification de l'accès au financement pour les entreprises. J'ai cependant quelques inquiétudes à propos de l'assurance prospection dont je rappelle toutefois qu'elle est l'un des outils offerts par BPI France, et certainement l'un des plus appréciés, des plus efficaces et des plus pragmatiques, même s'il semblerait que la nouvelle formule soit moins utilisée.

Alors que le développement de cette activité devrait être valorisé et encouragé, il semble qu'au contraire, l'État demande à Bpifrance Assurance Export de maintenir le coût du dispositif à 28,5 millions en 2019 et 26,5 millions en 2020, ce qui reviendrait à freiner dès maintenant la distribution de ce produit efficace pour l'internationalisation des entreprises françaises.

J'avais interrogé le ministre sur ce point en commission élargie à l'automne mais sans obtenir de réponse, pouvez-vous me donner quelques éléments à ce propos ?

Un dernier point a attiré mon attention : la création d'un fonds à l'internationalisation des PME, prévu à l'action 7 du programme 423 de la mission Investissements d'avenir. Les documents budgétaires m'apprennent qu'il est doté de 200 millions en AE et 100 millions d'euros en CP pour 2018, sous forme de participation financière. Sa gestion doit être assurée par Bpifrance. Ce fonds a été lancé en 2017, il n'est pas encore opérationnel, pourriez-vous nous apporter des précisions ?

J'en viens à mon thème d'évaluation, qui pourrait constituer une note d'espoir dans un contexte commercial mauvais pour la France : l'exportation de nos produits agricoles et agroalimentaires, qui constituent le troisième excédent commercial de la France derrière les produits chimiques, parfums et cosmétiques et le matériel de transport, notamment l'aéronautique.

Il s'agit de secteurs où le solde français est encore en excédent. Mais alors que la France représentait 7,7 % des parts de marché mondial en 2000, elle n'en détient plus que 4,5 % en 2016. Nous étions les deuxièmes exportateurs de produits agroalimentaires en 2004 et 2005, j'ai de bonnes raisons de m'en souvenir, nous sommes aujourd'hui les sixièmes.

Lors de ses voeux au monde agricole, le Président de la République a annoncé comme objectif la souveraineté alimentaire de la France. Je pense que nous devons aller beaucoup plus loin, l'objectif ne devrait-il pas consister à être l'un des acteurs majeurs, face au défi alimentaire mondial qui va se présenter à nous ? La population mondiale va augmenter de 3 milliards d'habitants d'ici 2050, et la demande va évoluer qualitativement, puisque les classes moyennes des pays émergents veulent manger comme nous. Les échanges mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires croissent de 8 % par an. La France ne doit-elle pas jouer un rôle majeur ? Le Gouvernement est-il conscient de la nécessité de préparer un plan beaucoup plus ambitieux que celui actuellement mis en oeuvre, notamment sur les exportations agricoles et agroalimentaires et l'internationalisation de nos PME dans ce domaine ?

Nous avons besoin de réponses fortes du Gouvernement : le solde du commerce extérieur agricole et agroalimentaire est encore positif, mais il se dégrade nettement et nous avons perdu des parts de marché. Pour autant, des défis majeurs se présentent, et la France a la compétence et les talents pour tirer son épingle du jeu en contribuant à un défi mondial. La réforme de Business France doit être particulièrement adaptée à ce secteur, quelles sont les intentions du Gouvernement en ce domaine ?

Dernier point d'inquiétude, le Gouvernement a décidé de rattacher le réseau international du Trésor au ministère des Affaires étrangères, sous prétexte de simplification. J'ai peur que cela ne se traduise par une captation de postes budgétaires et un affaiblissement international de la direction du Trésor, qui est extrêmement importante pour les négociations multilatérales et bilatérales, mais aussi pour l'accompagnement des entreprises. Ce qui importe aujourd'hui, c'est de pouvoir compter sur des experts sur la scène mondiale, la diplomatie est souvent moins nécessaire que l'expertise d'un certain nombre de réseaux, et je suis très inquiet, comme d'autres.

Pouvez-vous nous assurer que cette réforme interne, résultat d'une très longue guerre entre le Quai d'Orsay et Bercy, ne va pas affaiblir un réseau essentiel aux négociations du ministre et aux entreprises pour la conquête des marchés extérieurs ?

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