Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du jeudi 14 juin 2018 à 15h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Article 8

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Sur les demandes de rapport, j'ai le même avis que la rapporteure.

Je voudrais néanmoins revenir sur la question de l'âge. Il existe plusieurs options. Pour l'instant – et vous l'avez confirmé tout à l'heure – , nous considérons que l'apprentissage est un véhicule particulier qui relève de la formation initiale, tout en prenant la forme d'un contrat de travail, car c'est en faisant qu'on apprend. La pédagogie part de l'apprentissage des gestes professionnels pour aller vers une qualification et une théorisation. Voilà ce qui est au coeur de l'apprentissage.

Nous nous accorderons, je crois, sur le fait qu'on ne peut pas dire que l'on est en formation initiale toute sa vie – en formation continue, c'est certain, mais pas en formation initiale, à moins de supprimer le qualificatif d'initiale. Cela a été rappelé, il existe déjà un véhicule qui permet d'aller au-delà du seuil de trente ans pour les personnes en situation de handicap, les sportifs de haut niveau et les futurs chefs d'entreprise. Sur 420 000 apprentis, 6 000 relèvent de ces catégories. Or cela prend mal. Pourquoi ? Parce que la pédagogie de l'apprentissage est essentiellement une pédagogie destinée à des jeunes qui sortent de l'école. Même si l'on sort du milieu scolaire, il s'agit quand même d'une découverte du monde professionnel et, de ce fait, cette pédagogie n'est pas forcément adaptée à quelqu'un de cinquante ans qui est en reconversion professionnelle – et qui, d'ailleurs, pourrait fort bien être le père ou la mère d'un autre apprenti, ce qui constituerait une révolution culturelle à laquelle je ne suis pas sûre que nous soyons prêts. Si l'on dilue tout, si l'apprentissage n'est plus une formation initiale, nous risquons de perdre les jeunes et qu'on n'y comprenne plus rien. C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas l'ouvrir aux plus de trente ans.

Pourquoi trente ans ? Dans la vingtaine de centres de formation d'apprentis que j'ai visités depuis le début de l'année, j'ai constaté que la moitié des jeunes étaient de niveau bac +1 à bac +3, tandis que les autres sortaient de troisième. On trouve aujourd'hui en apprentissage de plus en plus de jeunes qui ont fait des études supérieures parce qu'on leur avait dit que c'était ce qu'il y avait de mieux, mais qui, la maturité aidant, après avoir fait des expériences, ont eu un déclic et savent ce qu'ils veulent faire. C'est pour eux qu'il faut adapter les durées et tenir compte des acquis – et c'est pourquoi je crois que le seuil de trente ans a du sens dans le cadre d'une formation initiale prolongée.

Cela étant, vous avez raison : on sait que les métiers vont beaucoup évoluer, donc que les besoins de reconversion vont être importants. On sait aussi que la pédagogie de l'alternance est probablement la plus efficace. La question est : quelle pourrait être la forme d'alternance adaptée à des adultes en formation continue ? Ça, je trouve que c'est une bonne question. Nous disposons déjà d'un outil, qui est le contrat de professionnalisation. En outre, par suite de l'adoption en commission d'un amendement proposé par la rapporteure, le projet de loi va ouvrir aux salariés un nouveau dispositif de reconversion ou promotion par l'alternance. C'est une grande avancée, car cela permettra d'éviter les déqualifications qui conduisent à des licenciements : au lieu que l'employeur aille chercher d'autres personnes qui ont la qualification nécessaire, le salarié pourra s'engager dans une reconversion longue vers de nouveaux métiers, tout en restant sous contrat à durée indéterminée et en conservant son salaire. Il s'agit là d'une reconversion préventive, d'anticipation.

Quant à savoir s'il ne faudrait pas aussi créer d'autres dispositifs destinés aux publics en insertion, on peut y réfléchir, mais je pense qu'il serait bon de ne pas brouiller les signaux et créer de la confusion en ouvrant trop largement l'apprentissage au moment même où nous nous efforçons de délivrer aux jeunes un message clair, à savoir qu'ils disposent de deux voies pédagogiques pour se former professionnellement, que les deux sont intéressantes, et qu'ils peuvent passer de l'une à l'autre et passer les mêmes diplômes dans les deux voies. Cela étant, je le répète, rien n'empêche de réfléchir à d'autres dispositifs allant dans ce sens.

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