Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 15h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête.

Vous savez que la production d'électricité nucléaire constitue l'un des rares avantages compétitifs de notre pays, au service des entreprises et du pouvoir d'achat, et que c'est l'existence du parc nucléaire qui permet à notre pays d'émettre presque deux fois moins de dioxyde de carbone par habitant que nos voisins allemands, grâce à un kilowattheure électrique parmi les moins carbonés du monde. Cette exigence s'inscrit dans l'urgence de la lutte contre le changement climatique, qui a été rappelée avec force par les dirigeants du monde entier et encore récemment par le Président de la République, lors du sommet sur le climat qui s'est tenu au mois de décembre.

Évidemment, cela ne signifie pas que nous ne devons rien changer à ce qui existe, et vous savez combien EDF est engagée dans la transition énergétique. Dans le domaine de la production, le développement des énergies renouvelables est une priorité stratégique, à laquelle nous consacrons des moyens désormais supérieurs à ceux que nous investissons dans le développement de nouveaux moyens de production nucléaire. Sur ce point, notre vision est bien celle qui s'inscrit dans le cadre de la loi de transition énergétique, prévoyant une montée de la part des énergies renouvelables qui doit conduire à terme à un mix équilibré entre nucléaire et renouvelables.

À ce titre, je pourrais vous parler du grand plan solaire et du plan complémentaire de stockage électrique que nous avons lancés récemment, mais je vais plutôt en venir directement au sujet de votre commission d'enquête, en centrant mon propos sur les questions de sûreté et de sécurité.

Pour ce qui est de la sûreté nucléaire, EDF dispose en la matière d'une longue expérience, puisque nous avons commencé il y a près de quarante ans à exploiter un parc actuellement constitué de 58 réacteurs nucléaires. Aucun électricien au monde ne dispose d'un tel parc ni une telle expérience, mondialement reconnue : lorsque je me rends dans des pays étrangers et que je rencontre leurs dirigeants – cela a été le cas dernièrement en Chine, en Russie, en Inde et dans les Émirats arabes unis – je constate la reconnaissance du savoir-faire d'EDF et de la filière nucléaire française, notamment en matière de maîtrise des enjeux de sûreté. C'est cette expérience qui nous permet de signer des contrats avec de grands pays et d'entraîner avec nous les nombreuses entreprises de la filière nucléaire, avec les milliers d'emplois qualifiés qui sont induits par les exportations en résultant.

Comme vous le savez, il y a près de quinze ans, le Royaume-Uni a confié à EDF l'exploitation de ses quinze réacteurs nucléaires, qui fonctionnent sur une technologie le plus souvent différente de celle mise en oeuvre en France, même si nous construisons actuellement deux EPR près de Bristol – j'y vois une autre illustration de la reconnaissance de l'expérience d'EDF en matière de sûreté nucléaire.

Nous avons la conviction que la sûreté doit progresser en permanence. Dès le début des années 1990, nous avons commencé à améliorer le niveau de sûreté de nos réacteurs construits récemment, notamment à l'occasion des visites décennales, qui se sont depuis succédé. Contrairement à d'autres pays où la règle consiste à vérifier qu'une centrale répond tout au long de sa vie aux exigences de sûreté qui lui ont été assignées lors de la mise en service – c'est le cas de la centaine de réacteurs américains –, en France, les centrales ont un niveau de sûreté nettement supérieur à celui qu'elles avaient il y a dix ans, qui était lui-même supérieur à celui qu'elles avaient encore dix ans auparavant. En effet, nous observons un principe – inscrit d'ailleurs dans la loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire – d'évolution permanente de la sûreté. Ainsi, au-delà du contrôle permanent en exploitation de nos réacteurs, nous procédons au moins tous les dix ans à une vérification complète de la conformité des installations, ce qui peut constituer l'occasion de mettre en oeuvre de nouveaux équipements ou de nouvelles procédures afin de répondre au renforcement permanent des exigences de sûreté.

Avec le grand carénage, ce processus continu franchit en ce moment une étape supplémentaire – vous avez vu certains aspects de ce programme lors de vos visites, en particulier sur le site de Tricastin, où votre commission s'est rendue. Engagé en 2014, le programme de grand carénage se compose d'un ensemble d'opérations de maintenance, incluant le remplacement de gros composants. Il représente un grand progrès en matière de sûreté, à deux titres au moins.

Premièrement, il permet l'exploitation des réacteurs après quarante ans de service. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait demandé à EDF d'apporter des améliorations qui, mises en oeuvre, nous permettent de nous approcher autant que faire se peut des objectifs de sûreté des réacteurs de troisième génération, dont l'EPR fait partie. Ce sujet est l'objet d'itérations régulières avec l'ASN et EDF se donne les moyens de répondre à ces exigences dont le détail et les spécificités propres à chaque site seront fixés par l'autorité de sûreté.

Deuxièmement, le grand carénage inclut des modifications dites « post-Fukushima ». Beaucoup a déjà été fait, notamment la mise en place de la force d'action rapide nucléaire (FARN), qui peut se projeter en moins de 24 heures sur n'importe quel site avec des moyens humains et matériels autonomes, permettant de garantir un apport en électricité et en eau, quelle que soit la cause de l'accident. Nous ne connaissons aucun équivalent à la FARN ailleurs dans le monde. Cependant, l'imprévisible devant être envisagé, le principe retenu sera toujours de considérer que si un accident devait intervenir en dépit de tous les moyens mis en oeuvre pour l'éviter, alors il ne devrait avoir pour conséquence aucun rejet radioactif de long terme dans notre environnement.

L'organisation de la sûreté est confiée à EDF au titre de la première responsabilité et à l'ASN au titre de ses pouvoirs de contrôle. En effet, la performance du dispositif de sûreté nucléaire repose aussi sur une organisation claire, dans laquelle les responsabilités des uns et des autres sont bien définies. De ce point de vue, le premier responsable de la sûreté de la centrale, c'est l'exploitant, donc EDF, qui met en place une culture et des pratiques détaillées de sûreté auprès de tous nos salariés et des entreprises partenaires.

L'autorité de sûreté fixe des exigences de sûreté. Elle s'assure que les moyens adaptés à ces exigences sont mis en oeuvre par l'exploitant, et elle vérifie le respect des règles et des prescriptions auxquelles sont soumises les installations du parc nucléaire. Cependant, c'est bien à EDF de définir et de mettre en oeuvre, en tant qu'exploitant, les moyens humains, l'organisation et les moyens matériels qui permettront à tout moment de respecter ces prescriptions. Nous exerçons donc un contrôle interne rigoureux de tous nos équipements, confié à nos équipes d'exploitation, bien sûr, mais aussi à un corps de spécialistes de la sûreté, interne à l'entreprise mais répondant à une hiérarchie indépendante des équipes d'exploitation.

Chaque niveau de management s'appuie sur une filière de sûreté, composée de 200 ingénieurs spécialisés dans le niveau ultime, qui porte un regard indépendant sur la manière dont le rôle d'exploitant est exercé et qui a un devoir d'alerte en cas de manquement. Actuellement, l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection est le vice-amiral François de Lastic Saint-Jal, qui ne rapporte qu'à moi et dont le rapport est rendu public chaque année. Il nous arrive de découvrir des anomalies ou des écarts par rapport aux normes ou aux bonnes pratiques, qu'il nous revient de signaler à l'ASN et de corriger. Tout cela produit des résultats mesurables : à titre d'exemple, le nombre moyen d'arrêts automatiques de réacteur – ce qui constitue l'indicateur clé de sûreté – a été divisé par deux en dix ans.

La transparence est une pratique propre au secteur nucléaire, et je crois qu'aucune autre industrie ne communique autant sur ses écarts par rapport à la norme. La culture de sûreté des salariés d'EDF est aujourd'hui indissociable de notre bonne pratique de transparence. Ainsi, le moindre écart en matière de sûreté, même sans conséquence, doit faire l'objet d'une communication à l'ASN, que nous mentionnons sur la page internet de la centrale – par ailleurs, bien évidemment, nous informons la commission locale d'information (CLI). À ma connaissance, aucune autre industrie, qu'il s'agisse de l'aéronautique, du transport ou de l'industrie agro-alimentaire, ne communique sur ses écarts comme nous le faisons dans le nucléaire en France. Le détail de tous les événements notés est accessible en ligne à tous nos concitoyens. En 2017, par exemple, vous pourrez trouver 621 événements, que l'ASN a tous classés au niveau 0 sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES), qui comprend sept niveaux : aucun de ces événements n'a eu de conséquence en matière de sûreté, mais nous rendons compte de la moindre anomalie.

Je vais maintenant dire quelques mots de la sécurité nucléaire, une dimension essentielle et qui me paraît prise à sa juste mesure, tant par EDF que par les services de l'État. En tant que président d'EDF, je peux vous assurer que ce sujet fait l'objet d'un traitement, tant par l'entreprise que par les services de l'État, à la hauteur des enjeux. Les moyens mis en oeuvre par notre entreprise, déjà considérables, sont en croissance. Notre objectif en la matière est d'éviter tout acte qui pourrait entraîner des relâchements importants de radioactivité dans l'environnement. Si les agressions au titre de la sécurité viennent s'ajouter aux agressions potentielles qui pourraient être constituées par des événements de type séisme ou inondation, de par leur nature, les atteintes à la sécurité relèvent du code de la défense et non du code de l'environnement.

La sécurité repose sur la conception d'installations spécifiques qui font, en ce moment même, l'objet d'un renforcement important, avec le déploiement en cours d'un plan de sécurisation de 750 millions d'euros. Bien sûr, la sécurité repose aussi sur le renseignement et sur les moyens humains disponibles sur les sites. À ce titre, EDF a recours à un millier de gendarmes spécialisés, répartis sur nos dix-neuf sites, et dont l'entraînement par le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et l'équipement leur permettent d'assurer leur mission première, qui est d'éviter toute détérioration d'équipements d'importance vitale. Cette organisation matérielle et humaine est en adaptation permanente pour tenir compte de l'évolution de la menace, notamment depuis les attentats terroristes de 2001. Les scénarios de menace auxquels nous devons faire face sont très diversifiés ; élaborés par les services compétents de l'État, dont c'est la mission, ils sont renouvelés régulièrement.

En matière de sécurité, EDF ne peut pas agir efficacement seule : la sécurité est en quelque sorte une coproduction entre EDF et les services compétents de l'État. Face aux différents types de menaces qui affectent notre société et qui pourraient concerner les installations d'EDF, la nécessaire coproduction de sécurité entre l'opérateur et les services de l'État s'est renforcée depuis quelques années. Elle porte aussi bien sur la complémentarité des mesures prises que sur le partage d'informations ou le déploiement des forces quand il est nécessaire. Certaines mesures de sécurité relèvent de l'exploitant – c'est le cas de la conception, de l'exploitation des installations, du devoir d'information aux pouvoirs publics et de la connaissance précise des mouvements et des quantités de matière fissile. D'autres mesures sont sous la responsabilité de divers services de l'État, notamment celles relatives à la prévention du terrorisme, au renseignement, à l'interdiction de survol des sites sensibles, à la surveillance rapprochée des sites et, bien sûr, à l'intervention en cas d'intrusion.

À l'intérieur de nos centrales, ce déploiement est principalement assuré par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie – les PSPG, désormais bien connus. Les entraînements réguliers des gendarmes permettent de développer de réelles complémentarités de compétences et d'actions entre les PSPG et nos collaborateurs à l'intérieur des sites. Je voudrais souligner qu'aucune intrusion n'a jamais permis aux personnes qui les ont menées d'accéder à la zone vitale d'une centrale nucléaire.

Autant la transparence systématique est la règle en matière de sûreté, autant il existe, en matière de sécurité, des règles de transparence publique qui sont strictement encadrées par la loi et auxquelles EDF ne peut déroger. Ainsi, c'est la loi qui interdit à EDF de communiquer certains contenus protégés par le code de la défense, toute infraction à cette disposition pouvant être sanctionnée par une peine de sept ans d'emprisonnement en vertu de l'article 413-10 du code pénal. Bien sûr, nous signalons tous les événements de ce type au haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de tutelle, qui exerce en matière de sécurité le même type de contrôle sur EDF que l'ASN pour la sûreté.

Je me tiens désormais à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

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