Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du jeudi 21 juin 2018 à 9h30
Vitesses maximales autorisées par la police de la circulation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Chers collègues, je souhaiterais faire un bout de route avec vous l'espace de cette discussion générale. Ce n'est pas une intervention à deux voies, sans terre-plein central, et encore moins une prise de parole à quatre voies, rapide. Elle est au carrefour de nos réflexions collectives, sans interdits. J'avais fait la promesse en commission de ne pas rester au bord de la route, en si bon chemin, pour enjoliver mon intervention de quelques bons mots.

Cheminant votre proposition de loi, chers collègues des Républicains, j'ai bien vu que vous vouliez affirmer la priorité à droite. Une manière de mettre un frein au passage à 80 kmh, décidé à contresens des enjeux. Il faut dire que vous pouvez vous sentir sur la bonne voie après la sortie de route du ministre de l'intérieur qui a, probablement après être revenu d'un bouchon, de Lyon évidemment, résumé son agacement en un mot : « Joker ».

Vous souhaitez par cette proposition pouvoir passer à la vitesse supérieure par une décision locale. Ce n'est peut-être pas le bon véhicule, législatif, mais je ne vais pas me braquer sur ce point, bien qu'il ne soit pas rond. Vous pensez qu'il est plus opportun de céder le passage aux décisions émanant du terrain plutôt qu'à un sens unique venant de Paris. Vous m'autoriserez à dire que l'idée est intéressante et qu'elle en a sous le capot, même si je crains que la proposition ne soit quelque peu giratoire, nous faisant tourner en rond. Point.

Car il ne faut pas se laisser prendre de vitesse par la proposition à sens unique du Gouvernement, visant à réduire la vitesse à 80 kmh sur les routes à double sens sans séparateur central. Cet abaissement permettrait, dit le Premier ministre sans détour, de sauver entre 200 et 400 vies. Circulez, il n'y a rien à voir ! Et pourtant, bien qu'il s'agisse d'obtenir un rétrécissement salutaire du nombre de morts sur nos routes, il ne sera possible de vérifier la réalité de cette affirmation qu'après un tunnel d'une année. Cette acception est carénée d'une étude mathématique suédoise de Goran Nilsson. Le fil conducteur de son analyse le conduit au théorème suivant : une variation de 1 % de la vitesse se couple d'une variation du nombre d'accidents corporels de 2 % et d'une variation du nombre d'accidents mortels de 4 %. Mais il ne faut pas tomber dans le panneau de la prédiction mêlant mathématique et physique. À l'intersection de ces études, le Norvégien Rune Elvik affine ce modèle dans les années 2000 : le passage à niveau de ses chiffres indique que chaque baisse de 1 kmh de la vitesse maximale autorisée fait baisser le nombre d'accidents de 4 %.

Il faut tout d'abord mettre les pleins phares sur les raccourcis brandis par le Premier ministre. Vous avez beau tourner à droite ou retourner à gauche les arguments, faire des doubles demi-tours, un accident est toujours multifactoriel et ne peut se limiter à la seule vitesse. La vérification de la proportion d'accidents mortels dus à la vitesse reste en suspension, et le chiffre de 30 % est avancé sans contournement. Prendre la direction de dire que la vitesse tue est donc faux. Néanmoins, il est vrai de dire que pour une partie des accidentés, c'est le différentiel de 10 kmh qui sera la courroie de transmission qui les fera passer d'une vie abîmée à trépas.

J'embraye sur un autre facteur qu'il est possible de mesurer a posteriori. Sans pour autant en faire un facteur unique qui ferait sens, l'alcool est présent dans 30 % des accidents mortels, avec ligne continue dans les statistiques depuis des années. Pas besoin de doubler par la droite pour reconnaître que la majorité des accidents mortels se produisent sur le réseau secondaire, sans séparateur central. C'est le moteur de la décision prise par le Gouvernement. Pour ne pas rester au point mort, pourquoi ne pas construire des séparateurs centraux ? Je veux freiner cette analyse du Gouvernement à la va-vite, car ce réseau est le plus long avec 380 000 kilomètres. Il est surtout le moins bien entretenu – route comme signalisation – depuis plusieurs décennies, avec une décélération budgétaire, peut-être due à un ralentissement des transferts de crédits avec la décentralisation. Et c'est aussi le plus fréquenté. Bien que l'idée soit moins véhiculée, la nature du réseau est ainsi largement plus en cause dans la survenance d'accidents mortels que la vitesse, par exemple.

Et en même temps, un élément vient hacker le code de la route. Il s'agit d'un réseau, très sûr, et sur lequel le débit est supérieur de 40 kmh à la limitation de 90 kmh : les autoroutes. Elles occupent un tout autre créneau avec la vitesse élevée, un flot unidirectionnel, un entretien et une signalisation suivis. Conséquence de ce passage à niveau supérieur dans les différents rouages : peu d'accidents mortels. La comparaison de ces deux réseaux a un double sens. Les fortunés bénéficient d'un coup de piston économique pour un échappement plus grand aux accidents. Pas de pot pour les catégories sociales les plus fragiles, qui ont parfois des montures fort « tunées », et qui sont aussi les plus touchées par la mortalité routière pour de nombreuses raisons.

Cette mesure de baisse de la vitesse est notamment décriée et combattue par les associations, comme 40 millions d'automobilistes et la Fédération française des motards en colère, qui disent : « Stop ». Elles vrombissent contre ce qu'elles perçoivent comme un simple moyen de mettre de l'huile dans les rouages de la rentabilité du système de contrôle et de sanction automatique – c'est-à-dire, les prunes, non comestibles, des radars automatiques.

Il est par ailleurs clignotant que la majorité de ces équipements ne sont pas installés dans des zones accidentogènes – aux dires des associations d'usagers de la route – et que leur déploiement en 2002 n'a pas modifié par essence la pente de la courbe des accidents mortels. Cette analyse en marche arrière est confirmée par une étude de l'INSEE, conduite à deux voix – pourtant sans terre-plein central, de toute évidence – et publiée au mois de novembre 2013.

Celle-ci conclut – sans faire demi-tour – , en se fondant sur les données enregistrées entre 1998 et 2007 qu'elle extrapole jusqu'en 2011, que les radars à prunes – toujours immangeables – ont permis d'épargner 740 décès, 2 750 blessés graves et 2 230 accidents graves entre 2003 et 2011 – soit 90 décès par an en vitesse de croisière moyenne – , qu'ils sont en fait un cul-de-sac de l'argumentation et qu'ils ne modifient pas la mécanique de la baisse du nombre de morts sur la route.

Cette sécurité rentière retrouvée est sans doute une partie du moteur du Gouvernement, qui trouvera dans cette mesure une soupape efficace pour ne pas reconnaître la faillite du réseau secondaire, ni aborder à aucun moment les questions d'éducation à la sécurité routière auxquelles il faudrait céder le passage budgétaire.

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