Intervention de Bertrand Bouyx

Réunion du mardi 15 mai 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Bouyx, rapporteur :

La dissémination incontrôlée des armes légères et de petit calibre vers des utilisateurs non autorisés constitue un facteur reconnu de déstabilisation des Etats et une menace pour la sécurité. C'est un phénomène qui touche tous les pays du monde. La France n'a pas échappé au phénomène, puisque les attentats de novembre 2015 ont été commis avec des armes issues de trafics en provenance des pays de l'Est.

D'après les Nations Unies, 40 à 60 % du commerce des armes légères dans le monde est illicite à un moment ou à un autre. Le trafic d'armes à feu est alimenté par différentes filières : soit par la fabrication illicite d'armes, soit par le détournement à partir des stocks étatiques ou des flux commerciaux officiels :

– Au Moyen-Orient, dans les Balkans et en Europe de l'Est. Comme me l'a expliqué M. Brunet notre ambassadeur et représentant spécial pour la lutte contre la criminalité transnationale, cette région constitue la première menace pour la France, du fait de la continuité géographique. Les trafics y sont principalement liés aux stocks d'armes importants des Etats dont la surveillance est parfois déficiente. Les conflits, le pillage ou la revente de ces armes ont alimenté les trafics. Les trafics transfrontaliers sont eux majoritairement le fait de groupes criminels organisés, les armes s'ajoutant aux flux d'autres marchandises illicites en direction de l'Europe de l'Ouest ;

– En Afrique subsaharienne, le commerce illicite des armes de petit calibre s'inscrit dans le cadre de conflits armés persistants, sources d'une demande particulièrement forte et stable. La porosité des frontières, la persistance de systèmes de fabrication artisanaux et le contrôle souvent déficient des Etats sur leurs stocks d'armement facilitent le développement du trafic ;

– Dans la région Amérique latine et Caraïbes, le trafic d'armes est directement lié au trafic de drogue et à la rémanence de mouvements de guérilla. C'est sur le continent américain dans son ensemble que la violence par armes à feu est la plus forte.

Au total, ces armes feraient 500 000 victimes par an. C'est donc un vrai sujet de sécurité internationale.

L'engagement de la France

La France soutient donc activement les efforts entrepris par la communauté internationale pour prévenir et lutter contre la dissémination des armes légères et de petit calibre. Elle a elle-même porté plusieurs initiatives dans ce domaine, dont l'obtention de la présidence de la 3ème conférence d'examens du Programme d'action des Nations-Unis contre le commerce illicite des armes légères et de petit calibre, la relance du processus d'adhésion au Protocole sur les armes à feu annexé à la Convention de Palerme de novembre 2000 ; enfin l'adoption de l'Instrument international de traçage ; des « Meilleures pratiques en vue de lutter contre les transferts déstabilisants d'armes légères par voie aérienne » au sein de l'Arrangement de Wassenaar et de l'OSCE et, en 2018, d'un « Guide de bonnes pratiques sur la neutralisation des armes légères et de petit calibre » à l'OSCE.

Quelles sont les principales dispositions du texte ?

Le Protocole « armes à feu » adopté en 2001, et qu'il est proposé aujourd'hui d'approuver, constitue le premier, et à ce jour l'unique, accord international juridiquement contraignant visant spécifiquement à contrôler les armes à feu et à lutter contre les trafics illicites.

Pour précision, il vise les infractions de nature transnationale impliquant des groupes criminels. Il ne s'applique en revanche pas aux transactions entre Etats.

– les Etats parties devront assurer la sécurité des armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions au moment de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et du transit

– les actes intentionnels suivants devront faire l'objet de sanctions pénales : la fabrication illicite et le trafic illicite d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, ainsi que la falsification ou l'effacement, l'enlèvement et l'altération de façon illégale des marques que doivent porter les armes à feu. En outre, le Protocole prévoit que soit pénalisé le fait de tenter de commettre, de se rendre complice, d'organiser, diriger, faciliter, encourager ou favoriser la commission de l'une de ces infractions.

– le texte prévoit des mesures de marquage aux fins de l'identification et du traçage des armes à feu, c'est un élément fondamental. Un marquage unique et d'usage facile est apposé lors de la fabrication des armes à feu, permettant d'identifier le pays de fabrication. Un marquage simple est apposé sur les armes à feu importées définitivement, afin d'identifier le pays importateur et si possible le pays d'importation. Si l'arme importée ne comporte pas de marquage unique apposé à la fabrication, celui-ci est porté lors de l'importation. Un marquage approprié est apposé lorsqu'une arme à feu est définitivement transférée des stocks de l'Etat en vue d'un usage civil permanent.

– les Etats parties devront conserver les informations sur les armes à feu durant une période de 10 ans pour assurer le traçage. J'aurais souhaité pour ma part que cette période soit étendue à une trentaine d'années.

– sur le sujet important de la neutralisation des armes, les Etats parties devront rendre définitivement inutilisables et impossibles à réactiver les parties essentielles d'une arme, faire vérifier les mesures de neutralisation par une autorité compétente, et faire délivrer par ladite autorité un certificat ou un marquage certifiant la neutralisation.

– Enfin, les échanges d'information et la coopération entre les Etats aux niveaux bilatéral, régional et international sont encouragés par le Protocole. Les Etats désignent des points de contact nationaux, et cherchent à obtenir l'appui de tous les acteurs industriels et commerciaux impliqués.

C'est donc un texte relativement complet qu'il nous est proposé d'approuver.

Quelles en seront les conséquences juridiques en droit français ?

Le droit français, en son état actuel, permet de répondre à la grande majorité des obligations introduites par le protocole armes à feu. Il n'est toutefois pas en totale conformité avec 4 dispositions :

– La définition des armes anciennes (article 3 du protocole) : le droit français ne reprend pas la notion d'armes anciennes mais fait référence aux armes historiques et de collection plus large que celle du protocole (je vous renvoie au rapport pour plus de détails). Une réserve devrait par conséquent être formulée au sujet de la définition des armes historiques.

– Les incriminations (article 5 du protocole) : le droit français n'est pas à ce jour conforme aux dispositions du protocole concernant la tentative de trafic ou fabrication d'armes de petit calibre : celle-ci n'est réprimée que pour certains délits du code de la sécurité intérieure ou du code de la défense. Il conviendra de combler ce vide juridique.

– Le marquage (article 8 du protocole) : le droit français ne prévoit pas l'apposition de marquages à l'importation. La France impose un poinçon d'épreuve de toutes les armes fabriquées ou importées qui permet l'identification du banc d'épreuve (pour la France, le Banc d'Epreuve de Saint-Etienne), mais pas directement celle de l'Etat. Une réserve devrait par conséquent être formulée au sujet de l'obligation de marquage à l'importation permettant l'identification de l'Etat importateur. J'invite pour ma part le gouvernement à lever rapidement cette réserve.

– Le courtage (article 15 du protocole) : le droit français n'est à ce jour pas conforme aux dispositions du protocole pour ce qui relève de la réglementation de l'activité de courtage pour les armes relevant des catégories C et D. Sur ce point, je souhaite qu'on aille plus loin. J'ai rencontré dans le cadre de mes travaux Amnesty International et l'Observatoire des armements qui semblaient unanimes : notre législation est insuffisante. Un projet de loi renforçant la réglementation est en cours d'examen depuis 2001 sans être adopté. La transposition de la directive de 2017 sur ce sujet devrait nous permettre d'agir en ce sens.

Que peut-on attendre de ce texte ?

C'est le premier instrument contraignant et non pas simplement politique, qui de plus montre qu'il est important de réunir les deux mondes, le contrôle des armements et la chaîne pénale, pour lutter contre les trafics d'arme. C'est une vraie avancée. Bien sûr, pour ne pas rester une coquille vide, il devra s'accompagner d'une forte entraide judiciaire et policière.

J'estime pour ma part qu'il est grand temps que la France rejoigne ce protocole, les raisons invoquées pour reporter l'adhésion semblaient peu justifiées, d'autant que nous avions signé les autres protocoles à la convention de Palerme. Nous montrerons ainsi que nous avons mis à niveau notre législation, en cohérence avec notre engagement européen et multilatéral. 120 Etats ont ratifié cet accord, nous pourrons ensuite créer une dynamique pour que d'autres Etats nous rejoignent et crédibiliser notre discours pour lutter efficacement contre la menace terroriste.

Il y a enfin un élément d'actualité car la France doit présider la troisième conférence d'examen du programme d'action des Nations Unies visant à éradiquer le commerce illicite d'armes légères qui se tiendra à New York en juin 2018. Il serait évidemment de bonne politique d'avoir ratifié le principal instrument juridique international en la matière avant le début de notre présidence.

Au bénéfice de ces remarques, je vous propose d'adopter ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.