Intervention de Jean-François Naton

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale :

Une des questions qui taraudent le monde du travail, c'est le droit à la parole, le droit de contester, le droit de parler de son travail. C'est la démocratie au travail : comment on organise le pouvoir de dire ce qui va et ce qui ne va pas, sans être suspecté d'être un mauvais travailleur quand on questionne les modes d'organisation du travail. Cela appelle un changement dans l'attitude patronale, pour qu'elle considère les organisations syndicales autrement que – excusez-moi le mot – des « emmerdeuses » mais plutôt comme susceptibles de contribuer à l'efficacité.

Mes homologues ici présents oeuvrent dans des grands groupes. La plupart des salariés ne travaillent pas dans des grands groupes. J'ai l'habitude de dire que les grands groupes organisent beaucoup de colloques sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) parce qu'ils ont sous-traité. Dans les grands groupes, les syndicats sont forts et, par conséquent, les règles respectées, ce pourquoi ils sous-traitent à des TPE-PME.

Depuis de nombreuses années, nous plaidons pour des CHSCT de sites, de zone, c'est-à-dire la mise en commun de lieux où le travail soit mis en débat. Nous avons conduit une expérimentation dans le centre de la Part-Dieu à Lyon, qui réunit trois grands groupes, Carrefour, la FNAC et Décathlon, et des franchisés de moins de dix salariés : 4 000 salariés au total, qui ont les mêmes situations de travail, les mêmes problèmes. La revendication qui est montée a été d'arrêter le jet d'eau central, que tout le monde trouvait pénible. Nous avions créé un lieu où il était possible de revendiquer, quel que soit son employeur.

Peut-être cela figurera-t-il dans votre rapport, mais nous sommes favorables à la création de maisons territoriales du travail et de la santé – lieux qui rassembleraient efficacement l'ensemble des acteurs, au service du monde du travail.

Le monde du travail, ce sont à la fois les employeurs et les travailleurs. Je le dis, j'aime l'entreprise. Cela ne signifie pas que j'aime les patrons, mais j'apprécie la communauté de travail. Pour autant, si toutes les briques sont là, elles ne sont pas encore organisées au service de cet objectif et de priorités déterminées conjointement.

Il s'agit d'un enjeu démocratique important : les organisations syndicales doivent être respectées, tant au niveau de la branche AT-MP qu'au sein du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) ou des comités régionaux d'orientation des conditions de travail (CROCT). Convenablement gérées, ces instances nous permettront de définir des priorités puis d'élaborer des plans d'action. Ce n'est pas encore le cas…

Les moyens sont également importants pour soutenir la transformation. Sans moyens, nous en resterons au stade des bonnes intentions et des excellents rapports, mais il y en a déjà eu…

Vous avez également évoqué les questions de traçabilité, de sous-déclaration et de méconnaissance des droits. Là encore, de nombreux rapports ont été publiés. Des outils existent et permettraient de mettre en oeuvre cette traçabilité. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a parfaitement décrit le concept d'exposome – dont j'ai déjà parlé – dans son rapport sur les inégalités environnementales et sociales : l'espérance de vie n'est pas la même selon les catégories sociales, et les salariés de la classe ouvrière ne vivent pas tous jusqu'à 87 ans… M. William Dab, professeur titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a statistiquement démontré la corrélation entre la carte des cancers et celle des industries. Par ailleurs, l'exposition est cumulative, les salariés vivant également sur ces territoires.

Nous attendons beaucoup de votre commission d'enquête. Soit nous poursuivons dans la voie actuelle, imparfaite, soit vous impulsez un changement de paradigme ! Dans cette nouvelle logique, les excédents de la branche accidents du travail devraient être mis au service de ce changement. Dans le cas contraire, l'incompréhension risque d'être totale. C'est l'ancien vice-président de la branche qui parle : certes, nous acceptons de concourir au bien commun, mais nous devons en voir les résultats, car les équipes s'épuisent.

Enfin, nous préconisons que la médecine du travail soit rattachée à la sécurité sociale. La médecine du travail représente la proximité et le terrain, alors que la sécurité sociale, c'est plutôt la science de l'ingénieur et une vision plus globale des problématiques. Il faut rapprocher les deux points de vue. Nous avions demandé la création d'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Le précédent gouvernement ne l'a pas engagée. Nous le regrettons et continuons de plaider pour le rassemblement des équipes, pour plus d'efficacité.

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